Comment les mathématiques permettent d’identifier des prédispositions à certaines maladies : une première mondiale

A Montpellier, des chercheurs viennent de mettre au point une méthode mathématique et informatique permettant d’identifier de manière exhaustive, chez des humains ou des plantes, des prédispositions à certaines maladies. Une première mondiale qui vaut à l’équipe de chercheurs une publication dans la revue scientifique Genome Biology, ce 25 mars.
Cécile Chaigneau
Pour trouver dans l'ADN les marqueurs qui prédisent ces maladies, les chercheurs sont convaincus qu'il faut considérer les combinaisons d'interactions entre les variants, ce que permet désormais la technologie développée par une équipe de chercheurs du CNRS de l'université de Montpellier, du laboratoire IINS de Bordeaux et de la startup montpelliéraine BionomeeX.
Pour trouver dans l'ADN les marqueurs qui prédisent ces maladies, les chercheurs sont convaincus qu'il faut considérer les combinaisons d'interactions entre les variants, ce que permet désormais la technologie développée par une équipe de chercheurs du CNRS de l'université de Montpellier, du laboratoire IINS de Bordeaux et de la startup montpelliéraine BionomeeX. (Crédits : DR)

Selon un sondage de l'Ifop pour Sanofi* réalisé début février, 92% des médecins jugent qu'il est difficile de diagnostiquer une maladie rare et 81% pensent que les solutions d'intelligence artificielle peuvent être une aide diagnostique intéressante. Les quelque 7.000 maladies rares connues à ce jour touchent parfois seulement quelques centaines de personnes... En matière de diagnostic médical, les progrès sont constants et l'irruption des nouvelles technologies, sans cesse renouvelées, vient améliorer le travail du corps médical.

Pour mieux soigner et mieux connaître les maladies, les chercheurs tentent d'identifier les prédispositions des patients à certaines maladies, avec toutefois un plafond de verre : l'impossibilité d'étudier les combinaisons de variants de manière exhaustive.

« Les chercheurs ont recours à des tests génétiques, comme ceux fournis par les sociétés 23andme, AncestryDNA, MyHeritage notamment, explique Gabriel Krouk, biologiste et directeur de recherche au CNRS-INRAE à Montpellier. Pour trouver dans notre ADN les marqueurs qui prédisent ces maladies, ils utilisent le Genome-Wide Association Study (GWAS), une méthode de recherche explorant les relations entre des variations génétiques (appelées polymorphismes ou variants, NDLR) et des traits spécifiques tels que des maladies chez les humains ou des caractéristiques agronomiques chez les plantes. Ils collectent des données génétiques de nombreux individus et les comparent pour repérer des régions spécifiques du génome où les variations génétiques sont associées à des traits particuliers, indiquant une susceptibilité à des maladies, un cancer, du diabète, une calvitie, etc. »

En utilisant des techniques statistiques avancées, les chercheurs identifient les variants qui se trouvent plus fréquemment chez les individus présentant le trait étudié : « Jusqu'à présent, la recherche se faisait à raison d'un variant à la fois. Mais les chercheurs sont convaincus depuis des années que ce ne sont pas seulement les variants pris un par un qui ont un effet mais plutôt leur combinaison.Or,il existe un nombre exponentiel de combinaisons possibles d'interactions entre ces variants, ce qui rend la recherche exhaustive de toutes les interactions potentielles très difficile ».

Des cartes de plus de 60 milliards d'interactions

A Montpellier, c'est ce plafond de verre qui vient de sauter, après huit ans d'un travail de recherche opéré par une équipe constituée de chercheurs du CNRS de l'université de Montpellier (laboratoires IMAG et IPSiM), du laboratoire IINS de Bordeaux et de la startup montpelliéraine BionomeeX. Cette dernière a été créée en 2020 à Montpellier, et commercialise des logiciels destinés aux laboratoires de recherche en biologie pour l'analyse de données par l'IA (images de microscopie par exemple) et pour l'analyse de données génétiques.

« L'outil mathématique que nous avons développé, qui utilise notamment des calculateurs graphiques utilisés pour le jeu vidéo ou pour entraîner des modèles d'intelligence artificielle, permet de compresser le problème dans un monde plus petit, réduisant ainsi la taille du problème, afin ensuite de le décompresser sur des valeurs plus importantes, détaille Gabriel Krouk. Les chercheurs peuvent maintenant fournir des cartes de plus de 60 milliards d'interactions entre variants pour comprendre un trait donné... C'est une première mondiale. Cette méthode est validée mathématiquement et informatiquement. »

Ce travail vient de valoir à l'équipe de chercheurs une publication, ce 25 mars 2024, dans la revue scientifique Genome Biology.

Trouver des variants explicatifs de l'autisme

La technologie est exploitée par BionomeeX dans le cadre d'une licence transférée par la Société d'accélération et de transfert de technologie (SATT) AxLR. Pour l'heure, les chercheurs l'appliquent sur les plantes mais annoncent déjà des collaborations pour l'étude de traits liés à des maladies humaines.

« Nous travaillons en collaboration avec l'université de Montréal et l'université de Bordeaux pour appliquer cette méthode sur des cohortes de patients atteints de troubles du comportement afin de trouver des variants explicatifs de l'autisme, indique Gabriel Krouk. Les applications sont extrêmement nombreuses et ouvrent la voie à des applications en médecine, en agronomie et au-delà ».

Le biologiste annonce que cette technologie est prête à être commercialisée dans le secteur agronomique : « Elle intéresse les semenciers pour la résistance des plantes au changement climatique et à des maladies... Pour pouvoir l'utiliser sur l'humain, il faudra encore environ une année et demie de travail. C'est un outil qui intéressera les CHU, les entreprises qui cherchent des variants, les laboratoires de recherche comme Pasteur ou Sanofi. Mais aussi pour faire de la médecine personnalisée car on n'est pas tous égaux devant les traitements, et les laboratoires ont besoin de trier les patients sur leur réceptivité à un traitement, et cette méthode donnerait une puissance d'analyse supérieure ».

L'outil tourne non pas sur des supers calculateurs mais sur des ordinateurs « pour être utilisable par le plus grand nombre », souligne Gabriel Krouk.

« Nous sommes à contre-courant : même si BionomeeX compte des experts en la matière, il n'y a pas d'intelligence artificielle dans cette méthode de détection des interactions entre gènes mais des mathématiques et un code informatique très pointus », ajoute-t-il.

* Étude réalisée du 22 janvier au 7 février 2024, auprès d'un échantillon de 600 médecins représentatif de la population de médecins généralistes et de pédiatres en activité, et d'un échantillon national représentatif de 1.000 Français âgés de 18 ans et plus.

Cécile Chaigneau

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