La région se place en pointe dans la lutte contre le Bisphénol A

Des chercheurs de Montpellier annoncent la fabrication de 200 kg de résines biosourcées à base de vanilline, en substitution au Bisphénol A. Ce projet impliquant 9 industriels français (Colas, Resipoly-Chrysor, Nouvelle Sogatra...) pourrait impulser dès 2016 la création d’une filière régionale de valorisation de la biomasse, à très haute valeur ajoutée.

C'est, de l'avis des industriels consultés, « une avancée scientifique historique ». Après trois ans de R&D, une équipe de chercheurs de l'Institut Charles Gerhardt de Montpellier, en relation étroite avec la Chaire européenne de chimie nouvelle pour un développement durable (ChemSuD), rentre en phase finale de ses tests industriels sur les résines biosourcées à base de vanilline (extraite du bois), un substitut naturel aux résines époxydes à base de Bisphénol A (BPA).

Deux nouvelles molécules

Les dérivés de la vanilline représenteraient un substitut d'avenir au BPA, un intermédiaire chimique classé CMR (cancérogène, mutagène, réprotoxique) largement utilisé notamment dans l'industrie des polymères et dont l'interdiction dès 2011 pour la fabrication des biberons a été étendue au 1er janvier 2015 aux contenants alimentaires (*).

« Le Bisphénol A a une structure chimique semblable aux œstrogènes dont il mime l'activité, ce qui a pour conséquence de perturber tout le système endocrinien », explique Bernard Boutevin, à l'origine du projet.

Avec des chercheurs associés au Cnrs, ce spécialiste des polymères, professeur émérite à l'École nationale supérieure de chimie de Montpellier, a cherché et trouvé dans la nature « deux molécules biosourcées issues du bois pouvant être à la base de la substitution du Bisphénol A : les tanins et la lignine de laquelle peut être extraite la vanilline. Les deux voies d'obtention de ces molécules ont fait l'objet de 2 projets de recherche, un premier sur la vanilline et un deuxième sur les tanins avec le FUI « Green Resin Epoxy » (pour lequel un brevet a été déposé en 2009, NDLR) ».

Les premiers tests ont été effectués sur des échantillons de l'ordre de la centaine de grammes courant 2014, impliquant une PME régionale (Spécific Polymers) et trois multinationales, notamment des secteurs aéronautique et agroalimentaire. La phase finale des tests industriels commence avec la fabrication de 200 Kg de résines epoxy à partir d'alcool vanillique issu de la vanilline.

« Dans un premier temps, pour laisser le temps à la filière Bois-Chimie de se mettre en place, des matières premières pétrosourcées seront utilisées », précise Bernard Boutevin.

Financé pour moitié par la Région, le projet qui représente un investissement de 75 000 €, implique une association de neuf industriels dont des multinationales (Colas, Resipoly-Chrysor, etc.) et des PME pour la majorité régionales (Nouvelle Sogatra, Spécific Polymer, Cop chimie, Sicomin, etc.). Lancée en décembre, la fabrication des 200 kg a été confiée au chimiste PCAS, spécialiste du développement de molécules complexes pour les technologies innovantes. Ils devraient être livrés mi-2016 et permettront d'étendre les essais finaux à grande échelle et réaliser les tests de toxicologie associés.

L'aval des industriels

« Si on a investi sur cette phase finale des tests, c'est qu'on y croit déjà... Nous avons testé un premier vernis en substitution aux résines époxy à base de Bisphénol A sur des revêtements industriels. Les caractéristiques étaient tout à fait intéressantes, avec une bonne résistance notamment à l'élévation de température », explique Marc Maliszewicz, P-dg de Resipoly-Chrysor (CA : 18 M€).

Le N°1 français des revêtements en résines synthétiques coulées in situ fournit, via 650 sociétés applicatrices, l'aéronautique, le nucléaire, les industries automobile et pharmaceutique. L'industriel va à présent étendre les essais avec 20 Kg de résine de substitution.

« Il nous faudra six mois pour affiner la formulation en testant notamment la bonne résistance du vernis à l'abrasion, aux ultraviolets, aux produits chimiques de nettoyage. Avec 20 kg nous pourrons couvrir plusieurs types d'application et réaliser un chantier d'essai sur 400-500 m2 », annonce Marc Maliszewicz.

Même engouement chez les industriels du secteur agroalimentaire : « La résistance aux contenus, la propriété mécanique des films testés au centième de gramme étaient suffisamment proches des standards époxy pour continuer dans cette voie-là », confirme le directeur technique d'une multinationale (CA de 63 M€ en 2014) spécialisée dans la conception de revêtements pour emballages alimentaires pour le compte de grands donneurs d'ordre (Bonduelle, Coca-Cola, Orangina). Bien que partie prenante du projet, cette société cotée en bourse souhaite conserver l'anonymat.

La course aux brevets

« Les enjeux sont colossaux pour une entreprise comme la nôtre. On ne souhaite pas donner d'indications à la concurrence », poursuit le technicien, qui confirme le dépôt d'une « protection intermédiaire du brevet d'application », avant même les tests finaux validés.

Car d'autres industriels impliqués dans le projet ChemSuD sont déjà « en ordre de bataille » dans cette course au brevet. C'est le cas de Resipoly-Chrysor qui confirme de son côté le dépôt d'une enveloppe Soleau à l'Institut national de la propriété intellectuelle (qui certifie la date d'une idée, d'un projet ou d'une invention, permettant ainsi de prouver son antériorité).

«  Même si nous suivons d'autres pistes, c'est notre projet N°1, en tout cas le plus avancé, précise Marc Maliszewicz. Les produits issus du Bisphénol A sont interdits depuis le 1er janvier 2015 pour les contenants alimentaires. On ne sait pas si cette interdiction va s'étendre un jour à d'autres revêtements. L'enjeu est majeur : il faudra tôt ou tard sortir de la spirale du Bisphénol A. »

Une filière régionale de valorisation de la biomasse

«  Ce passage de témoin des quelques grammes aux kilos représente une belle réussite de palier », se félicite de son côté Bernard Boutevin.

La phase finale du projet - le passage à une fabrication industrielle - prévoit la création d'une filière de valorisation des déchets issus de la biomasse. Le projet vanilline représenterait à cet égard un débouché à très forte valeur ajoutée pour la filière bois régionale.

« C'est dans la lignine (elle représente ¼ de la matière végétale aux côtés de la cellulose et des sucres, NDLR) que l'on va chercher la vanilline par procédé chimique, explique Bernard Boutevin. L'utilisation à grande échelle de cette matière biosourcée permettrait ainsi de valoriser les déchets végétaux, le bois, la paille, les résidus agricoles. »

Un contrat pourrait être noué avec la Compagnie industrielle de la matière végétale (CIVM). Le spécialiste toulousain de la chimie verte, qui prévoit l'implantation en 2016 d'une bioraffinerie pilote sur l'ère toulousaine, annonçait en juin dernier, un investissement de 55 M€ (20 M€ d'aides européennes dans le cadre du projet européen de démonstration « 2G-Biopic ») pour ce projet industriel de production de bioéthanol de 2e génération à partir de paille ou de résidus de bois.

  •  (*) Reconnu comme un perturbateur endocrinien important, le Bisphénol A rentre dans la fabrication de nombreux conditionnements alimentaires (conserves, canettes, châteaux d'eau, cuves de vin, etc.), revêtements (sols industriels, routes), plastiques durs (fontaines à eau, hublots d'avions, biberons) ou tickets de caisse, où il était jusqu'à il y a peu utilisé comme révélateur.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.