Contact-tracing : un "vaccin numérique" par beacon mis au point à Montpellier

Dans le dispositif global de déconfinement, figure le projet d’une application de traçage numérique afin de casser au plus tôt la chaîne de contamination. Deux entreprises montpelliéraines - Bulane et ELA Innovation - et la SATT AxLR ont travaillé sur la technologie du contact-tracing par beacon (balise Bluetooth), qui pourrait équiper les personnes n'ayant pas de smartphones.
Cécile Chaigneau
ELA Innovation a mis au point un balise Bluetooth qui pourrait intégrer le dispositif numérique de contact-tracing destiné à entraver la chaîne de contamination du Covid-19.
ELA Innovation a mis au point un balise Bluetooth qui pourrait intégrer le dispositif numérique de contact-tracing destiné à entraver la chaîne de contamination du Covid-19. (Crédits : ELA Innovation)

Le projet d'application de "tracing" StopCovid (ou Alerte Covid, comme le préconise le Conseil national du numérique), sur lequel planche le gouvernement français pour enrayer la propagation du virus, vise à utiliser le Bluetooth d'un smartphone pour enregistrer l'identifiant de chaque personne avec laquelle on interagit dans nos déplacements. L'application de traçage numérique permet ensuite d'être prévenu si l'une des personnes croisées se déclare malade du Covid-19 grâce à une notification.

A Montpellier, la question d'utiliser les outils numériques pour casser la chaîne de contamination du virus a mobilisé trois acteurs locaux très tôt dans l'histoire de la pandémie. A l'origine, il y a une observation faite par Nicolas Jerez, le président et cofondateur de Bulane (inventeur de la flamme industrielle propre à base d'hydrogène), dont le métier d'origine est la data.

« On faisait du post-traumatique »

« Début février, on ne compte que quelques cas de malades du coronavirus en France et je suis frappé de voir qu'aux Contamines-Montjoie (en Haute-Savoie, où a éclaté l'un des premiers clusters en France - NDLR), ce sont les gendarmes et l'ARS qui remontent le fil des contaminations, raconte Nicolas Jerez. On faisait du post-traumatique... J'ai alors l'idée d'un balisage préventif, une sorte de "vaccin digital" qui permettrait de tracer les contacts mais pas les personnes. »

Une sorte de task-force se constitue alors, avec la SATT (société d'accélération de transfert de technologie) AxLR et l'entreprise montpelliéraine ELA Innovation, fabricant de puces RFID mais aussi de beacons BLE (bluetooth low energy), balises bluetooth basse consommation qui diffusent leur identifiant sur des appareils électroniques portables à proximité.

ELA Innovation (32 salariés, 2,2 M€ de chiffre d'affaires 2019) adresse le marché de l'industrie avec ses balises, pour faire de la traçabilité et de la localisation de biens ou d'actifs (par exemple du suivi d'outils dans l'aéronautique ou le ferroviaire, de pièces détachées dans l'industrie automobile). ELA Innovation est également bien positionnée sur le people-tracking dans les métiers difficiles pour la protection des personnes (localiser les équipes et aller les chercher en cas d'accident, sur des chantiers de construction de tunnels par exemple).

23 % de la population n'ont pas de smartphone

La technologie Bluetooth retenue par le gouvernement, caractérisée par le protocole "Robert" établi par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) en collaboration avec les chercheurs de l'institut allemand Fraunhofer, s'utilise via un smartphone. Or les Montpelliérains font un constat simple en préambule à leur réflexion : tout le monde n'a pas un smartphone dans la poche.

« Nicolas Jerez a fait le lien entre les balises BLE et la détection de personnes, explique Pierre Bonzom, P-dg de ELA Innovation. On sait que 77 % des plus de 12 ans ont un smartphone. Que fait-on des 23 % de la population et des moins de 12 ans qui n'en ont pas ? Plusieurs initiatives ont vu le jour, dont la nôtre avec le beacon. »

L'équipe fait rapidement remonter son projet aux plus hautes instances du gouvernement. Et finit par intégrer le groupe de travail mis en place par l'État sur le sujet, dans lequel figurent le consortium de six grands groupes français (Orange, Capgemini, Accenture, Dassault Systèmes, Sopra Steria et SIA Partners).

Deux verrous technologiques levés

« Nous avons travaillé d'abord à définir les spécifications du protocole pour les transposer du smartphone à la balise, précise Pierre Bonzom. Il restait alors à lever deux verrous techniques : les beacons ont un identifiant qu'il fallait rendre tournant pour que le beacon soit anonymisé. L'autre verrou, c'est que le beacon est initialement fait pour émettre uniquement, contrairement aux smartphones. Il a donc fallu permettre que les beacons se voient et se parlent entre eux. »

Les beacons peuvent prendre la forme d'une grosse pastille, mais aussi d'une petite plaquette de la taille d'une clé USB que l'on peut porter autour du cou ou accrochée à un porte-clés.

Pierre Bonzom insiste sur un point : cette technologie n'a pas vocation à avertir en temps réel, « sinon on s'inscrit dans un schéma de chasse aux sorcières et ça ne permet pas une bonne acceptabilité sociale ».

« Le beacon est afféré au smartphone d'un aidant ou d'un parent d'enfant par exemple, qui recevra alors une notification si le beacon a détecté la présence d'un malade à proximité, explique-t-il. La personne porteuse du beacon sera alors avertie par l'aidant ou le parent. »

Quid des atteintes aux libertés individuelles ?

« La seule façon de localiser rapidement les clusters de contamination et de limiter la circulation du virus est de faire du tracing - et non du tracking - de patients en utilisant technologie Bluetooth qui ne permet pas de géolocaliser, déclare Philippe Nérin, président de la SATT AxLR et président du réseau national des SATT. D'où aussi cette appellation de "vaccin numérique" pour qu'un maximum de personnes soient dotées de cette technologie embarquée et ainsi avoir une image statistiquement représentative de la population... Mais nous avons rapidement été conscients qu'un dispositif numérique poserait un problème de confidentialité et d'atteinte aux libertés des personnes, du point de vue légal et éthique. »

Aux personnes craignant que cette technologie soit dévoyée par la suite, il rappelle que « évidemment ces applications sur mobiles ou balises doivent être encadrées par les pouvoirs publics, et utilisées uniquement en cas d'épidémie ou pandémie ». Et il rappelle que « les progrès sont font souvent en période de crise - comme une guerre par exemple - quand il y a menace de la nation et mobilisation générale. Là, ce n'est pas l'armée mais les ingénieurs de tous secteurs qui se mobilisent ».

Pierre Bonzom ajoute que « un beacon n'a rien pour héberger des données personnelles »...

« Il faudra alors industrialiser »

Les trois acteurs économiques montpelliérains du projet ont déposé la propriété intellectuelle du concept. Sans savoir à ce jour si la technologie sera retenue ou non par le gouvernement.

« A ce stade, nous n'avons aucune information sur ce que le gouvernement veut faire, affirme Nicolas Jerez. Peut-être que la partie balise viendra après le lancement de l'application Stop-Covid... »

Pierre Bonzom, qui produit plus de 65 000 beacons par an pour le secteur de l'industrie, assure qu'ils sont prêts : « Nous considérons n'avoir aucun acquis sur un potentiel marché à ce jour, mais si la technologie est retenue, il faudra alors industrialiser. ELA Innovation n'est pas dimensionnée pour adresser un tel marché grand public. Nous fournirons notre concept à notre écosystème industriel ayant la capacité à produire ».

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 16/05/2020 à 8:10
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Première étape du pucage numérique systématique. Et ça vient de France ! Orwell réveille toi, ils sont devenus fous !

à écrit le 14/05/2020 à 11:05
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en priorité virer le pdg de Sanofi ainsi que le directeur commercial et tout ceux qui ont signe pour la priorité aux usa quand le dit pratiquement tous nos décideur son inféodé aux usa jusqu'à la justice qui donne priorité aux dollar

à écrit le 14/05/2020 à 10:32
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"qui pourrait équiper les personnes n'ayant pas de smartphone(s)" ça pourrait m'intéresser même si je suis casanier, pour le principe d'information. Aller faire des courses ça crée un risque même à l'ouverture, on n'est jamais seul. Moins les foyers...

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