Le thermalisme en Occitanie, un secteur à forts enjeux qui doit se réinventer

Le moteur économique du thermalisme (de soins ou de bien-être) irrigue les territoires. En Occitanie, première destination de France de cette filière, les enjeux autour de ces activités, mises à mal par la crise sanitaire, sont de taille et devront être largement considérés par les candidats aux élections régionales de juin prochain. Décryptage d’un secteur très stratégique.
Cécile Chaigneau
Les thermes de Balaruc-les-Bains, dans l'Hérault, sont la première destination thermales de France, avec 53.000 curistes par an.
Les thermes de Balaruc-les-Bains, dans l'Hérault, sont la première destination thermales de France, avec 53.000 curistes par an. (Crédits : DR)

Les thermes espéraient rouvrir fin avril 2021. Ils auront attendu le 19 mai... En Occitanie, région reine du thermalisme en France, avec 28 stations thermales (dont 11 sous gestion publique ou parapublique), 200.000 curistes et 3 millions de nuitées par an, le secteur est un pilier économique important, drainant des retombées pour tous les territoires concernés.

Après une année 2020 inédite, ayant enregistré une baisse de fréquentation de 70% en raison de la crise Covid-19, les acteurs de la filière espèrent bien faire une année 2021 de meilleure facture. Grâce aux différents dispositifs de soutien et aides perçues pour traverser la crise sanitaire, dont un plan de relance de 40 millions d'euros en 2020 opéré par la Région Occitanie, la filière thermale a résisté tant bien que mal. Mais elle sait qu'elle va elle aussi devoir se réinventer en partie.

« Le soutien de la Région Occitanie a été efficace sur l'urgence, le court et moyen terme, et aujourd'hui avec le travail du CRTL (Comité régional du tourisme et des loisirs, NDLR) sur des campagnes de promotion qui semblent efficaces car les réservations sont là, on espère 50% de ce qu'on a fait en 2019, soulignait, le 19 mai dernier, Guillaume Dalery, maire de la petite commune héraultaise de Lamalou-les-Bains, trésorier de l'association nationale des maires des communes thermales et président de la Fédération thermale d'Occitanie. La filière est une des solutions de relance de l'activité touristique du territoire. Notre objectif, c'est de rester les n° 1 ! Nous devons diversifier notre offre et notre clientèle, mais je suis optimiste ! Plus on se diversifie, plus de gens viendront sur le territoire et feront tourner le moteur thermalisme. »

Une vitrine web commune

L'offre thermale de l'Occitanie est déjà très vaste et permet de répondre à beaucoup de demandes : « De Barège, la plus haute station thermale de France, à Balaruc-les-Bains, la plus grande de France, en passant par le bord de mer ou l'arrière-pays comme Lamalou-les-Bains, nous avons tout ce qui faut sur place ! », énumère président de la Fédération thermale d'Occitanie.

Les professionnels ont lancé, le 15 mars dernier, une nouvelle vitrine web donnant à voir (et à contacter) les 28 stations et les douze pathologies traitées dans la région. Une volonté de gagner en visibilité tout en mutualisant leurs moyens. En un mois, le site a reçu 11.000 visites...  Mais ils savent qu'ils doivent aussi travailler la diversification pour élargir la palette de services et le spectre de patientèle.

Ainsi, Guillaume Dalery a-t-il déjà avancé sur le sujet concernant la station thermale de Lamalou-les-Bains, qui accueille habituellement environ 13.000 curistes par an : « Nous travaillons sur la création d'un centre de bien-être avec un éco-resort sur un autre site, avec hébergement, restauration et soins. Nous visons un public sportif et nos activités de bien-être seront proposées en lien avec les activités sportives du secteur, comme la randonnée, par exemple. Nous avons lancé une étude de faisabilité en juillet dernier... Le projet, qui nécessitera un investissement d'environ 15 millions d'euros, sera porté par la mairie de Lamalou, la Région Occitanie et la Banque des Territoires, et nous irons aussi voir des financeurs potentiels privés. Cela prendre quatre ou cinq ans ».

Hautes-Pyrénées : mutualiser ?

Le département des Hautes-Pyrénées ne compte pas moins de sept établissements thermaux. Donc celui de la petite commune de Barèges (168 habitants), avec 50 ETP (dont une quarantaine de saisonniers), 2 millions d'euros de chiffre d'affaires et en moyenne 2.500 curistes par an qui viennent pour des affections de la sphère ORL et pour des soins en fibromyalgie, traumatologie, rhumatologie et algodystrophie.

En 2020, les thermes n'ont accueilli que 1.000 curistes. Une situation qui a fragilisé l'établissement mais aussi les communes du Syndicat d'équipement et de modernisation des thermes.

« Malheureusement, nous n'avions pas droit au PGE car nous sommes en régie municipale, souligne Pascal Arribet, le maire de Barèges qui est aussi le président le syndicat. Nous avons reçu de l'aide du Fonds L'OCCAL de la Région Occitanie, et les communes du syndicat thermal ont accordé 400.000 euros de subventions d'équilibre. L'impact de la crise sanitaire sur nos comptes 2020, c'est autant en moins pour faire de l'investissement. »

Sur l'établissement, qui compte déjà un espace bien-être, la diversification va être compliquée à opérer : « Nous avons déjà un centre bien-être, donc nous proposons des mini-cures de bien-être. Nous n'aurons pas les moyens d'investir mais les communes feront tout pour sauver les thermes, et nous avons déjà engagé une réflexion sur le fonctionnement de l'établissement, notamment envisager une mutualisation plus importante avec les autres établissements thermaux de la vallée, comme celui d'Argelès-Gazost, et voir s'il y a d'autres économies d'échelle à faire ».

Monter en gamme

Toujours dans les Hautes-Pyrénées, la petite station de Bagnères-de-Bigorre (7.900 habitants) est gérée par une SEM parapublique à majorité municipale, présidée par Nicole Darrieutort, médecin et élue à la mairie. De 8.600 curistes par an habituellement, les thermes sont tombés à 5.000 en 2020, entraînant une chute de 65% du chiffre d'affaires (7 millions d'euros en 2019 pour 110 salariés avec les saisonniers, dont 90 ETP).

« Un curiste c'est 1.600 euros dépensés sur le territoire, soit une perte de 32 millions d'euros de retombées économiques directes et indirectes en 2020 sur le département des Hautes-Pyrénées, rien que sur le thermalisme et thermo-ludisme, analyse Nicole Darrieutort. Malgré une santé financière 2019 très correcte, et même si nous avons bénéficié de toutes les aides possibles en tant que société d'économie mixte, notre établissement va retrouver en difficulté, car nous avons mangé la moitié de nos fonds propres en 2020. »

Une des conséquences immédiates de la crise sanitaire, ce sont les investissements que devait faire la SEM sur les Thermes de la Reine, un établissement privé racheté en 2019 et qui doit être rénové pour monter en gamme et intégrer des hébergements. Le projet triennal est reporté.

La question de la diversification de l'offre est au cœur des préoccupation de la dirigeante : « Il y a eu beaucoup de souffrance psychologique durant la crise sanitaire et ici, nous avons une indication psychologique pour répondre aux affections psychosomatiques, fibromyalgie ou burn-out. Nous proposons aussi des soins en pneumologie ou rhumatologie... Nous travaillons aussi sur la patientèle de proximité pour le thermalisme de soin et le thermo-ludisme. Nous sommes dans une région sportive, très culturelle, donc nous pouvons apporter une réponse à l'envie de bien-être, y compris par des séjours courts pour des actifs ».

Thermalisme équin

Mais le projet de diversification de la station thermale va bien au-delà, confinant à l'innovation thermale : se positionner comme un centre thermal de rééducation pour chevaux de courses avec l'idée que les chevaux deviennent de nouveaux patients.

« Ces chevaux à prix d'or sont aujourd'hui l'objet de toute l'attention de leur propriétaire, fait observer Nicole Darrieutort. Le bénéfice des soins en hydrothérapie est déjà démontré par un centre de recherche implanté en Normandie. Sur le reste du territoire national, il existe de toutes petites structures qui commencent à dispenser ce type de soins. Mais pour l'heure, les propriétaires envoient leurs chevaux soit à Dubaï, où se trouve les grands spécialistes de ce type de soin depuis plusieurs années, soit plus dernièrement en Hollande... Nous souhaitons donc créer une structure de plus grande envergure, dont la plus-value serait l'utilisation de l'eau hyper thermale, des boues thermales de Bagnères-de-Bigorre qui ont des propriétés myorelaxantes et antalgiques reconnues. Géographiquement, nous sommes idéalement placés, à 80 km de Pau qui abrite les deux plus grands entraîneurs français en plat et en obstacle, et qui est le 2e hippodrome de France en obstacle. Nous avons aussi les Haras nationaux à Tarbes. »

L'établissement a répondu à un appel à projets innovants de la Région Occitanie pour financer une étude de faisabilité sur le thermalisme équin commandée au cabinet EY.

Cures post-cancer et mini-cures

Les thermes de Balaruc-les-Bains, dans l'Hérault, sont les premiers de France, avec 53.000 curistes par an, soit un tiers des curistes de l'Occitanie et un dixième des curistes en France. L'établissement dispose également du spa thermal O'Balia (plus de 100.000 entrées par an) et a développé la production d'une gamme de cosmétiques à base d'eau thermale. Soit un chiffre d'affaires annuel de 9,26 millions d'euros en 2020, dont près de 95% par le thermalisme médicalisé.

Mais en 2020, année Covid, les thermes ont enregistré une fréquentation en chute de 70% (15.975 curistes en 2020 contre 52.870 en 2019) et un déficit inédit de 8 millions d'euros.

« Nous avons pu faire face grâce à une trésorerie en bon état fin 2019, au prêt garanti par l'État de 8,5 millions d'euros, au dispositif de chômage partiel, à une enveloppe de 2 millions d'euros débloquée par Sète Agglopôle Méditerranée (actionnaire de la SPL des thermes, avec la Ville de Sète et le CD 34, NDLR) et aux aides du fonds L'OCCAL accordées par la Région Occitanie, indique leP-dg des Thermes de Balaruc, Thierry Cours. Néanmoins, l'établissement a dû mettre en œuvre un accord de performance collective en fin d'année, touchant primes d'engagement et sur objectifs, que 25 salariés ont refusé et qui sont partis ou vont partir (sur les 400, NDLR). »

Alors les thermes ont boosté les activités para-thermales (ateliers nutrition, équilibre, sophrologie, etc.) notamment au travers de programmes de prise en charge des réactions de stress, d'anxiété ou de déprime.

« Nous étudions la mise en place de prise en charge des cures post-cancer, et puisqu'à Balaruc, il existe une maison Sport Santé, nous travaillons sur l'idée de proposer des soins thermaux classiques couplé avec des activités physiques, des démarches nationales étant en cours sur le sport sur ordonnance, ajoute Thierry Cours. Nous avons mis en place un partenariat avec Sète Agglopôle Méditerranée afin de proposer en juillet et août 2021 deux formules de mini-cures, "les escales thermales", soit cinq jours de soins à 239 euros, réservées aux résidents de l'agglomération. Et en partenariat avec la Fédération thermale d'Occitanie, nous mettons en œuvre des plans d'action pour aller chercher une patientèle et clientèle locale. »

La commune, elle, porte un projet de rénovation du spa thermal avec création d'un hôtel 4* (dont l'exploitation serait confiée à un groupe privé). Les travaux pourraient démarrer en 2023 pour une livraison en 2025.

Accompagner les mutations

Le CRTL Occitanie, la Fédération thermale d'Occitanie et les comités départementaux du tourisme ont défini un plan d'actions coopératif pour booster la réouverture des stations thermales : un site web, un dispositif de communication pour accompagner la réouverture des stations thermales, la valorisation du thermalisme et du bien-être dans le programme Occ'Ygène de la Région, ou la mise en place d'une opération auprès des médecins généralistes, prescripteurs de cures thermales.

« L'eau qui soigne doit aussi être accessible à des gens qui ne sont pas malades, dans la dimension bien-être, renchérit Jean Pinard, le directeur du Comité régional du tourisme et des loisirs d'Occitanie. Il y a un grand mouvement qui fait que là où on était mono-produit, on soit moins dans la dépendance. »

Les professionnels espèrent bien sûr que les candidats aux élections régionales ont bien en tête les enjeux économiques liés à leur filière et que la collectivité continuera d'accompagner les mutations nécessaires.

 « La crise a démontré la dépendance de certains territoires au thermalisme et il faut poursuivre la dynamique entamée sur les prochaines années, souligne Guillaume Dalery. C'est la 1e destination de France, l'enjeu est important. La Région porte une responsabilité sur cette activité. Nous nous lançons dans des projets longs donc nous avons besoin d'une collectivité qui nous suive et nous soutienne. »

La présidente de Région sortante, Carole Delga, a annoncé avoir adapté le Fonds L'OCCAL aux stations thermales. Quant au candidat EELV, Antoine Maurice, il a inscrit dans ses ambitions ferroviaires régionales la création de nouvelles lignes RER, dont une qui desservirait la station thermale de Balaruc-les-Bains sur une ligne désaffectée existante...

À retenir


  • 28

    stations thermales en Occitanie, 1e destination de France

  • 30

    centres thermoludiques ou spas thermaux

  • 183.291

    curistes, soit 3.299.238 nuitées (en 2019)

  • 120 millions d'euros

    de retombées directes injectées dans l'économie locale (chiffres 2019)

  • 180 millions d'euros

    de retombées indirectes (hébergements, commerces, activités - chiffres 2019)

  • + de 3.000

    emplois directement liés à ce secteur d'activité

  • 69.21%

    de baisse de fréquentation en 2020 en Occitanie, soit une perte d'exploitation directe se chiffre ainsi à 84 millions d'euros en 2020

Cécile Chaigneau

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