Dominique Seau, du grand groupe (Danone, Eminence) à la PME cévenole (ErgoSanté)

PORTRAIT - A la tête du groupe Eminence pendant quatorze années, Dominique Seau avait fait tressaillir l’écosystème économique régional quand il avait été débarqué, il y a deux ans, par le nouvel actionnaire israélien. Au printemps dernier, il a pris le poste de directeur général de la PME gardoise ErgoSanté, fabricant d’exosquelettes, de sièges et autres équipements ergonomiques, au moment où, coïncidence, son fondateur Samuel Corgne était contraint à une pause forcée pour des raisons de santé. Un pilotage à deux têtes et quatre mains démarre maintenant, s’appuyant sur un corpus de valeurs communes.
Cécile Chaigneau
Dominique Seau, désormais directeur général d'ErgoSanté à Anduze (Gard).
Dominique Seau, désormais directeur général d'ErgoSanté à Anduze (Gard). (Crédits : DR)

C'est une personnalité très connue de l'écosystème régional d'Occitanie mais pas seulement, qui partage volontiers son expérience et défend avec conviction l'industrie française... Dominique Seau, 58 ans, a été durant quatorze ans (2007-2021) le président du groupe Eminence, fabricant de sous-vêtements dont le siège est dans le Gard. Ce qui lui a valu une notoriété dans le mundillo (pas si petit) de l'industrie mondiale du textile. En 2018, le groupe israélien Delta Galil rachète le groupe Eminence. A la fin de l'été 2021, Dominique Seau est brutalement débarqué par le nouvel actionnaire.

S'ouvre alors une période de transition et Dominique Seau crée le cabinet-conseil Roc Fleuri Management en mai 2022. C'est avec cette casquette qu'il commence une mission de conseil pour la PME gardoise ErgoSanté, fabricant d'exosquelettes, de sièges et autres équipements ergonomiques, basée à Anduze (Gard). En avril 2023, le président fondateur d'ErgoSanté, Samuel Corgne, lui fait signer son contrat de directeur général avant de s'effondrer, vaincu (provisoirement) par de durables douleurs dorsales.

« Le jour où nous avons signé son contrat, je suis tombé par terre de douleur, se remémore Samuel Corgne. J'ai fêté les dix ans de l'entreprise à l'hôpital et j'ai pris une pause forcée de cinq mois... Heureusement que Dominique était là. Je le considère comme un semblable, un pair avec qui échanger. »

« J'ai vécu le meilleur et le pire »

En ce mois de septembre, Samuel Corgne est d'attaque pour la rentrée, plus combattif que jamais, et désormais, Dominique Seau, qui durant l'été a pris quelques parts au capital d'ErgoSanté, est à ses côtés. L'entreprise compte près de 250 salariés (dont 170 à Anduze, les autres dans ses 16 agences en France, à Madagascar et aux Etats-Unis) et annonce un chiffre d'affaires 2022 de 22,7 millions d'euros. Les deux hommes affûtent leur stratégie...

Le nouveau directeur général arrive porteur de multiples expériences managériales. Car avant Eminence, il a successivement été directeur marketing et directeur général de L'Oréal en Russie et au Danemark, directeur marketing d'OPAVIA-LU (groupe Danone) en République Tchèque puis de LU France, avant de retrouver ses racines gardoises en 2007 en prenant la présidence du Groupe Eminence.

« J'ai une longue expérience du comité de direction, notamment chez Danone où je faisais partie des 100 premiers dirigeants du groupe, raconte aujourd'hui Dominique Seau qui, modestement, précise qu'il parle l'anglais, le russe, le danois et l'allemand. J'ai vécu le meilleur et le pire. J'ai expérimenté différentes tailles d'entreprises, avec des situations très politiques, j'ai connu une révolution de palais, j'ai travaillé en Scandinavie à l'opposé du management russe, j'ai travaillé sur une acquisition au Portugal pour Danone. Puis j'ai négocié mon départ. J'ai été recruté par Triumph International en 2004 pour un poste en Alsace, avant qu'on me propose la présidence d'Eminence, une entreprise extraordinaire pour son savoir-faire et sa volonté de garder une industrie en France, ce qui était parfaitement iconoclaste dans le secteur du textile... Mon management a été un métissage de toutes ces expériences. Le fil rouge que je retrouve avec ErgoSanté aujourd'hui, c'est ce côté patriote, cette défense de l'économie régionale, surtout dans les Cévennes, avec cette volonté de trouver des talents sur place et de donner un emploi aux salariés locaux, y compris les personnes en situations de handicap. »

« Lorsque j'étais aux limites de l'empire »

Le passage de grands groupes à une PME lui semble aujourd'hui une évidence, même s'il récuse le dicton populaire selon lequel « qui peut le plus peut le moins » : « Je pense être meilleur en ETI qu'en grande entreprise. Je n'ai jamais autant aimé travailler pour Danone et L'Oréal que lorsque j'étais aux limites de l'empire, sur des marchés que le groupe ne connaissait pas, car cela donnait beaucoup de liberté. Dans un grand groupe, vous gérez de plus en plus d'abstractions, or j'ai besoin de la proximité. J'aime bien être capable d'aller de l'idée à la réalisation. Mais attention, je n'ai jamais fondé d'entreprise et j'ai beaucoup de respect pour Samuel Corgne. Je ne suis pas et ne serai pas donneur de leçons ».

« J'ai décroché trois missions longues avec mon cabinet de consultant, évoque-t-il. Pour la startup de recyclage textile Renaissance Textile, basée à Laval et pionnière de l'économie circulaire dans le secteur des vêtements professionnels. Elle a été créée à l'initiative de trois industriels du textile, dont l'entreprise Coisne et Lambert (PME familiale spécialisée dans la fabrication des textiles techniques destinés aux vêtements professionnels, NDLR). Un des actionnaires de Coisne et Lambert m'a proposé d'entrer au comité de rémunération en avril 2022 et à partir de cet automne, je serai membre du conseil d'administration pour accompagner le management de transition... Et enfin ErgoSanté. »

Samuel Corgne se souvient : « ErgoSanté arrivait bientôt à 30 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 200 salariés, j'étais au bout du rouleau et il fallait que je m'entoure... Un ami m'a soufflé le nom de Dominique Seau. Je n'y croyais pas mais je lui ai proposé de venir travailler avec moi, d'une manière ou d'une autre. J'ai commencé par l'emmener en randonnée. C'est une stratégie que j'aime bien pour découvrir qui sont vraiment les gens (sourires)... Et j'ai découvert qu'on avait un corpus de valeurs aligné et qu'on était très complémentaires ».

Chef d'orchestre

« Ça a été un choc de personnalités mais on s'est bien entendu, souligne de son côté Dominique Seau. ErgoSanté est une entreprise engagée, et je suis membre des Entrepreneurs et dirigeant chrétiens. Il y avait un alignement de valeurs... Nous avons commencé en prestation à raison de deux jours par semaine. »

Les deux hommes s'accordent à dire qu'ils se complètent : à Samuel Corgne le développement, les nouvelles technologies et l'innovation, à Dominique Seau l'organisation et le marketing.

« Mais il y a des poutres dans la charpente donc je peux m'appuyer dessus, déclare Dominique Seau, friand de paraboles imagées. J'ai en quelque sorte le rôle de chef d'orchestre. Samuel, lui, a un nez incroyable pour les nouvelles tendances et les nouveaux marchés, par exemple, le reconditionnement de sièges de bureaux ou les exosquelettes, mais aussi pour la validation des nouveaux talents. »

Un marché de l'exosquelette exponentiel

ErgoSanté est née, en 2003, de la conviction de Samuel Corgne qu'il était possible de protéger et de soulager les travailleurs en leur offrant des outils, équipements ergonomiques et exosquelettes adaptés. D'abord distributeur, il rapatrie et intègre la production de sièges et exosquelettes dans les Cévennes. En 2019, l'entreprise obtient le statut d'entreprise adaptée et aujourd'hui, elle emploie 36 salariés en situation de handicap sur la partie production. La PME a investi dans une activité de recyclage-reconditionnement de sièges, et lancé son outil d'analyse posturale LEA à base d'intelligence artificielle.

L'ancien président d'Eminence arrive donc dans l'entreprise à ce moment charnière de forte croissance : « En dix ans, le chiffre d'affaires d'ErgoSanté a été multiplié par dix, et il est passé de 14,5 millions en 2021 à 22,7 millions d'euros en 2022, il faut gérer cette croissance », souligne Dominique Seau.

Pour expliquer ce bond en avant, il énumère un nombre grandissant de salariés handicapés dans les entreprises et le besoin de fidéliser les salariés qui nécessitent des aménagements de postes et des améliorations de conditions de travail, mais aussi le développement de la prévention dans les entreprises et les besoins de matériels amplifiés par le télétravail.

« On estime que le marché des exosquelettes passera de centaines de millions de dollars aujourd'hui à 3 à 5 milliards de dollars d'ici à 2028, précise le nouveau directeur général. Nous sommes donc en train d'écrire la feuille de route pour 2028. Notamment, nous démarrons une activité de fabrication en Caroline du Nord, aux Etats-Unis, et nous réfléchissons à une future levée de fonds. »

Le statut d'ETI dans le viseur

« Nos deux axes prioritaires sont de devenir leader mondial du marché des exosquelettes passifs (sans moteur ni batterie, NDLR) - et c'est pour ça qu'on ouvre une unité aux Etats-Unis - en nous sourçant en matières premières locales, et de devenir leader français du siège où on est encore un petit acteur, ajoute le dirigeant. L'objectif est de multiplier le chiffre d'affaires par dix en cinq ans pour passer à un statut d'ETI. »

En juin 2021, ErgoSanté avait levé 3 millions d'euros auprès du fonds Mutuelles Impact, pour investir dans l'innovation et dans ses capacités de production. Sa nouvelle usine (1.200 m2) est désormais opérationnelle et les dirigeants songent déjà à l'agrandir avec un 2e bâtiment d'ici la fin de l'année. Cet été, la PME a racheté une menuiserie à Anduze « dans la logique d'intégrer les savoir-faire », indique Dominique Seau.

« Dominique m'aide à ne pas m'éparpiller et à mettre mes idées en pratique, note Samuel Corgne à la veille de sa rentrée. Nos enjeux sont le développement à l'international et l'activité reconditionnement que nous allons muscler, ainsi que de nouveaux exosquelettes. »

Dominique Seau attaque le mois de septembre avec enthousiasme et conviction : « Je suis le chaînon manquant pour permettre l'étape suivante sans perdre l'agilité ni l'ADN originel de l'entreprise. Notre ambition, c'est de protéger l'entreprise adaptée tout en passant le surcoût qu'elle entraîne et celui du "made in France" ».

Fidèle à son goût pour les images, l'ancien officier de réserve de la Marine nationale file la métaphore : « Ce n'est pas parce que vous avez le vent dans le dos que vous n'allez pas casser le spi ! Et ce, alors qu'on a de plus en plus d'équipage ! Il faut apprendre à gérer les vagues... ».

Cécile Chaigneau

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