« L’économie circulaire des énergies bas-carbone est un enjeu de souveraineté et un modèle de société »

INTERVIEW – La première édition du Forum Economie circulaire des énergies bas carbone pour la transition énergétique (FEET) se tient du 20 au 22 avril à Montpellier. La manifestation est organisée par le CEA, le BRGM, l’ADEME, l’Institut national de l’économie circulaire (INEC), la Région Occitanie et Montpellier Management. Durant trois jours, elle interroge les pratiques, les freins et les perspectives de l’économie circulaire des énergies bas carbone. Rencontre avec Philippe Prené, directeur de l’Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (ISEC) du CEA Marcoule.
Cécile Chaigneau
Philippe Prené, directeur de l'Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (ISEC) au CEA Marcoule.
Philippe Prené, directeur de l'Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (ISEC) au CEA Marcoule. (Crédits : DR)

La transition énergétique nécessite de réduire drastiquement la consommation des ressources fossiles. Mais le développement des énergies bas carbone (nucléaire, hydraulique, hydrogène décarboné, solaire, éolien) entraîne une demande croissante de matières premières de plus en plus diverses, notamment des métaux critiques : argent, silicium ou cadmium pour le solaire, terres rares pour l'éolien, platine et palladium pour la production d'hydrogène, lithium, cobalt et nickel pour les batteries.

C'est là que l'économie circulaire peut jouer un rôle majeur. Et c'est pour traiter de toutes les dimensions de l'économie circulaire appliquée à la transition énergétique que le CEA, par le biais de son Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (ISEC), le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), l'ADEME, l'Institut national de l'économie circulaire (INEC), la Région Occitanie et Montpellier Management ont organisé le FEET : Forum Economie circulaire des Energies bas carbone pour la Transition énergétique.

LA TRIBUNE - Vous dirigez l'Institut des sciences et technologies pour une économie circulaire des énergies bas carbone (ISEC) au CEA Marcoule, dans le Gard. Quelle est sa vocation ?

Philippe PRENÉ, directeur de l'Institut ISEC - L'ISEC a été créé en février 2020 et rassemble les activités de R&D du CEA sur l'économie circulaire des énergies bas carbone. Notre histoire, c'est celle du cycle du combustible nucléaire, qui date des années 1980 où on faisait de l'économie circulaire avant d'en parler... Dans ce domaine, la R&D porte sur le procédé de retraitement du combustible et de fabrication du MOX, le combustible recyclé utilisé en centrales. Nous travaillons aussi sur les technologies de conditionnement des déchets radioactifs. Tous ces savoir-faire, développés ces quarante dernières années dans le nucléaire, nous les appliquons aujourd'hui aux autres énergies bas carbone.

Comment votre action s'inscrit-elle dans les enjeux impératifs de la transition énergétique d'aujourd'hui ?

En tant qu'organisme de recherche, le CEA fait de la transition énergétique l'un des quatre piliers de sa feuille de route. L'économie circulaire est un levier majeur pour permettre la transition vers des sociétés et des économies plus sobres en émissions de carbone. Forts de notre expérience dans le nucléaire, nous regardons comment contribuer à la transition énergétique dont l'un des enjeux est le besoin en matières critiques - l'une des voies est l'économie circulaire - et contribuer à structurer et adapter les filières industrielles. La fabrication des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes nécessitent de grandes quantités de matériaux critiques. Nous développons des approches pour valoriser ces équipements en fin de vie et récupérer les matières d'intérêt qu'ils contiennent. Mais il va falloir accompagner les industriels dans cette évolution...  Ces exigences de transition énergétique vont contribuer à la réindustrialisation nationale. Aujourd'hui par exemple, on récupère des métaux, on les renvoie en Asie pour faire des batteries qui reviennent ensuite en Europe. On veut remettre l'Europe et la France en aval de la chaîne de valeur. Et la dimension de souveraineté, qui apparaît à la faveur du conflit en Ukraine notamment, sert cette ambition.

Quels sont les principaux enjeux scientifiques autour des besoins de matières dans la transition énergétique ?

Notre enjeu, c'est de valoriser des déchets et de monter des filières industrielles, alors qu'on voit bien que les industriels, encore aujourd'hui, ont du mal à investir ces sujets car il s'agit de matières à faible valeur ajoutée qui auront un coût de traitement avant d'être réintroduits dans le circuit. Cela demande de l'innovation dans les têtes de procédés et implique que les industriels acceptent d'aller chercher des matériaux parfois un peu moins purs, mais sans impact sur le produit final. Pour que cette innovation soit intelligente, notre ambition, à l'ISEC, est de les accompagner en intégrant l'analyse du cycle de vie des matériaux, par exemple.

Pourquoi le Forum Economie circulaire des énergies bas carbone pour la transition énergétique (FEET) et pourquoi à Montpellier ?

Nous avons choisi Montpellier tout d'abord parce que l'ISEC est basé à Marcoule, donc en Occitanie. Cela fait sens également car la région est à la pointe en matière d'économie circulaire et de transition énergétique. On a par exemple Genvia à Béziers, avec la nécessité d'une supply-chain derrière pour répondre aux besoins en matériaux qu'il faudra recycler. Il y a peut-être moins d'industrie dans la partie Est de l'Occitanie mais on a des universités, des écoles, un historique minier...  L'économie circulaire est trop souvent réduite à la notion de recyclage. C'est en réalité bien plus que cela, un changement de paradigme, un défi de société rendu plus essentiel encore à l'aune de l'urgence climatique. Dans ce Forum FEET, il y a une dimension économique, sociétale. C'est pourquoi nous avons voulu rassembler toutes les composantes de l'économie circulaire des énergies bas carbone : les sciences humaines et sociales, les économistes, les industriels, les scientifiques, les technologues, mais aussi les territoires et la société civile. Car l'économie circulaire des énergies bas-carbone nous concerne tous, elle est un enjeu de souveraineté et un modèle de société que nous devons tous contribuer à façonner. Or on aura beaucoup de mal à imposer des choix si la société ne les comprend pas. Et il faut aussi préparer les territoires, qui sont des acteurs majeurs, et la société civile au fait que nous allons devoir nous passer des énergies fossiles et qu'il va falloir en passer par une forme de réindustrialisation des territoires, il faudra l'accepter. Cela nécessitera de travailler aussi sur les compétences dont on va avoir besoin pour les nouveaux métiers induits par la transition énergétique, et on observe que les choses évoluent. Par exemple, à Montpellier Management, le Master Management de la transition écologique et de l'économie circulaire a été lancé il y a deux ans et la première promotion sort cette année. Il propose 25 places et reçoit 400 candidatures ! Les jeunes s'intéressent à ces questions...

Des industriels sont-ils présents au FEET ?

Oui bien sûr. Nous soulignons un point de vigilance : tout comme on a assisté à du green-washing, il faut faire attention au risque "d'économie circulaire washing"... Mais on observe que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à travailler sur la RSE pour leur image, leur réputation, et c'est un levier assez fort. Par ailleurs, les marchés s'intéressent aujourd'hui aux indicateurs extra-financiers. Et on sent venir la contrainte environnementale et réglementaire. L'Europe regarde les matières critiques qu'on ne pourra pas se passer d'importer et il faudra s'assurer de l'éthique sur la collecte et le raffinage de ces matières.

Que se passe-t-il durant ces deux journée et demie de FEET et vers quoi tendez-vous ?

Il s'agit bien sûr de phosphorer ensemble sur ces sujets, mais il s'agit d'abord d'apprendre à se connaître les uns les autres. Le FEET n'est ni un forum scientifique et technique, ni un forum sciences humaines et sociales mais un forum à mi-chemin de ces deux cultures, qui va permettre à tous les participants d'échanger au travers d'ateliers. Nous espérons qu'il s'agit du premier forum d'une série et qu'à terme, cela débouche sur des projets communs. D'ailleurs, désormais, on voit de nombreux appels à projets scientifiques et techniques qui font appel à des SHS en incluant une dimension sociétale. Jusqu'à présent, on abordait l'économie circulaire sous le seul prisme de l'économie. L'objectif est de parvenir à proposer des solutions intégrant toutes les dimensions de la société. On est au début de quelque chose.

Le FEET a prévu un challenge qui va mettre en compétition neuf projets entrepreneuriaux (devant un jury composé de représentants de grands groupes, de responsables territoriaux et du réseau d'accompagnement entrepreneurial de la Région Occitanie). De quoi s'agit-il ?

L'un des objectifs du CEA est de faire du transfert de technologie et l'ISEC dispose d'une cellule dédiée. L'objectif du challenge est aussi de rappeler que le CEA a les compétences pour dire si le projet est viable. Ces neuf projets innovants vont peut-être intéresser des industriels ou des business angels.

Cécile Chaigneau

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