Biennale Euro-Africa de Montpellier : les enjeux de l’eau au peigne fin et un maître mot, la coopération

Les Euro-Africa Water Days, qui se tenaient dans le cadre de la Biennale Euro-Africa de Montpellier, se sont terminés le 10 octobre après deux jours d’intenses échanges autour des problématiques liée à l’eau (inondations, sécheresse, niveau de la mer, trait de côte…). Les acteurs du pourtour méditerranéen ont partagé avec ceux du continent africain état des lieux et solutions. Une stratégie a fait consensus : coopérer.
Cécile Chaigneau
Durant les Euro-Africa Water Days à Montpellier, les 9 et 10 octobre 2023, les acteurs du pourtour méditerranéen et du continent africain ont partagé état des lieux et solutions possibles pour réduire les risques et les impacts liés à l'eau.
Durant les Euro-Africa Water Days à Montpellier, les 9 et 10 octobre 2023, les acteurs du pourtour méditerranéen et du continent africain ont partagé état des lieux et solutions possibles pour réduire les risques et les impacts liés à l'eau. (Crédits : Adam Ján Figeľ - Fotolia.com)

« L'eau, c'est la vie, l'environnement ultime pour vivre, et en la matière, les défis sont énormes. Mais ces défis sont aussi des opportunités pour un avenir plus durable. En Afrique, de nombreux pays ont des problèmes d'accès à l'eau, d'irrigation, de gestion des ressources, de sécheresse, etc. Or la croissance démographique fait que la demande en eau augmente. La gestion de cette croissance est essentielle. Il y a un besoin urgent de développer des politiques publiques cohérentes, des politiques efficaces de gestion durable de l'eau. Par exemple, nous devons aller très tôt dans les écoles pour que les enfants comprennent les enjeux de ce bien commun qu'est l'eau... Il ne faut pas attendre que la maison brûle pour apporter de l'eau. Les prochaines guerres seront des guerres de l'eau ! Il faut trouver des solutions pour éviter ces conflits. Les coopérations internationales sont essentielles. Nous devons bâtir des ponts entre nos continents... Tout est possible quand on se parle ! »

C'est ainsi que résumait et concluait Cheick Keita, ancien ministre de la République de Guinée, à l'issue des deux journées Euro-Africa Water Days qui se sont déroulées les 9 et 10 octobre dans le cadre de la Biennale Euro-Africa de Montpellier (qui se clôturera le 15 octobre). Cheick Keita est aussi ambassadeur du WUSME (World Union of Small and Medium Enterprises), chairman de OBA (Open Business Africa) et de BOI (Bridge of Innovation), président fondateur de l'OPND (Observatoire panafricain du numérique pour le développement), fondateur de l'initiative CEFMA (Coalition pour l'éradication des faux médicaments en Afrique) et président de Juristes sans frontières.

Les Euro-Africa Water Days étaient consacrées aux problématiques de l'eau rencontrées tant sur le pourtour méditerranéen que sur le continent africain (pluies extrêmes, inondation, submersion, érosion du littoral, recul du trait de côte mais aussi sécheresse). Un maître-mot se s'est rapidement révélé fédérateur et a fait consensus : coopération.

1,8 milliards de personnes menacées par les inondations

De nombreux enjeux sont liés au risque hydrologique ainsi qu'à ses impacts sur les activités humaines et sur les infrastructures. L'augmentation des précipitations accroît l'érosion et la mobilité des polluants. Le ruissellement accru provoque une érosion dangereuse pour les écosystèmes naturels mais aussi pour les populations humaines, notamment avec les glissements de terrain. Les précipitations extrêmes saturent les systèmes de récupération et de traitement des eaux usées et rendent leur gestion par l'homme plus complexe. Et la liste est longue...

Pour contextualiser, sur l'une des tables rondes, on rappelait quelques chiffres frappants : dans le monde, 1,8 milliards de personnes sont menacées par les inondations, 7.398 décès causés par les inondations ont été enregistrés en 2022, des inondations qui ont provoqué 520 millions d'euros de dégâts en France. Et sur le seul continent africain en 2022, les aléas climatiques et hydrologiques ont touché plus de 110 millions de personnes, causé 8,5 milliards de dollars de dommages économiques, 5.000 décès dont 48% en raison de la sécheresse et 43% des inondations... Au risque d'inondations, s'ajoute le phénomène inverse et malheureusement pas incompatible de la sécheresse, qui génère lui aussi de nombreux impacts et dégâts.

Yves Tramblay, chercheur à l'IRD-laboratoire HydroSciences de Montpellier et co-auteur du rapport du GIEC, campe le décor d'un avenir préoccupant : « Oui, les pluies vont continuer à s'intensifier, causant des dommages en milieu urbain et des problématiques de réseaux d'assainissement. Par ailleurs, de nombreuses régions qui n'étaient pas sèches le deviennent, et on s'attend à ce que ce risque devienne plus important en Europe du sud et en Afrique de l'ouest, principalement en raison de l'évapotranspiration liée à la hausse des températures ».

Des solutions existent

Mais au-delà des problématiques nombreuses liées à l'eau, ce que sont venus souligner les Euro-Africa Water Days, c'est que des expériences du bassin méditerranéen et du littoral africain démontrent que des solutions existent.

« L'un des principaux effets du changement climatique, c'est l'élévation du niveau de la mer, rappelle Jean-Philippe Luc, responsable Solutions et services pour CLS (Collecte Localisation Satellites) Groupe à Toulouse. Une des missions de CLS est de créer une courbe d'augmentation du niveau de la mer et des cartes de l'aléa et de l'impact. Nous travaillons par exemple sur un cas d'usage de risque de submersion marine à Palavas-les-Flots (Hérault, NDLR), reproductible ailleurs : le niveau de la mer a augmenté de 2,42 mm par an depuis 1993, soit +7 cm en 2050 et +19 cm en 2100 ».

La ville de Limbé, ville balnéaire de l'ouest du Cameroun, connaît des épisodes de pluies torrentielles et d'inondations. Maurice Barth, ingénieur, responsable du groupe technique à l'international de l'Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF), évoque le travail partenarial développé avec les acteurs locaux : « Les digues qui ont été construites sont aujourd'hui inopérantes et régulièrement débordées. Nous avons donc arrêté l'approche par le tout-digues au profit d'un relevé de terrain pour définir les zones inondables et leur niveau de protection, avec un travail d'assainissement de ces zones et un travail sur les rivières avec des pièges à embâcles. Sur la partie glissement de terrain, nous avons travaillé sur l'urbanisme, et notamment sur l'existence de forêts avec des pentes de plus en plus défrichées et habitées, ce qui augmente le risque de glissement de terrain. Nous nous sommes aussi inspirés de ce qui se fait ailleurs et avons travaillé par tranchées drainantes sillonnant les quartiers, et planté des vétivers dont les racines sont très profondes et stabilisent les sols. C'est un projet pilote sur 18 quartiers de 25.000 habitants... En parallèle, nous avons réussi à monter ensemble, avec la population, un PPRI avec des zones clairement inconstructibles et un phasage dans le temps. Et derrière un système d'alerte ».

« Moins d'un pays sur deux dispose d'un système d'alerte précoce »

Le système d'alerte précoce est un enjeu majeur pour lutter contre les risques météorologiques extrêmes. A Montpellier, l'entreprise Predict Services, spécialisée dans la gestion de ces risques, a déjà beaucoup travaillé sur le sujet.

« Nous voyons se développer des phénomènes météorologiques de plus en plus intenses et localisés, déclare Alix Roumagnac, le président de Predict Services. Le premier niveau de l'adaptation, c'est donc de développer des solutions d'alerte précoce grâce à une meilleure connaissance du risque et une meilleure préparation pour en réduire les conséquences... Or le secrétaire général des Nations-Unies a souligné que moins d'un pays sur deux dispose d'un système d'alerte précoce aujourd'hui. Il a lancé un programme pour que dans cinq ans, tous les citoyens de la planète soient couverts et Predict Services y travaille... (l'entreprise a notamment accompagné le Maroc dans cette démarche, NDLR). On parle beaucoup de catastrophisme mais nous disposons de capacités à apporter des solutions pour aider à construire un monde plus résilient ! »

Benjamin Larroquette, global advisor Early Warning System pour le programme des Nations-Unies pour le développement, confirme une situation à améliorer en Afrique : « Beaucoup de pays africains n'ont pas de système d'alerte précoce car ils n'ont pas suffisamment de moyens ni suffisamment de matériels d'observation météorologique pour faire des prédictions justes auxquelles les gens croient. Car il est crucial que les gens y croient pour que ça fonctionne... ».

« Un systèmes d'information météo seul ne va pas fonctionner, sans connaissance du risque, sans protocole préparé en amont, sans alerte, insiste Alix Roumagnac. Attention à éviter le travail en silo et les systèmes qui ne se parlent pas ! Un système d'alerte précoce doit faire travailler ensemble météo, hydraulique, sécurité civile et acteurs locaux. »

Données manquantes

Les Euro-Africa Water Days ont toutefois souligner un problème majeur sur certaines parties du monde, notamment sur le continent africain : des trous dans la raquette en matière de données, rendant difficiles l'élaboration de stratégies d'adaptation.

« On essaie de faire en sorte de couvrir ces manques d'ici trois à cinq ans via un minimum standard, annonce Benjamin Larroquette. Par exemple, au Malawi, il existe une trentaine de stations mais qui ne sont pas connectées au serveur de Genève donc pas utilisées... L'idée est d'installer des stations météo tous les 200 km2, connectées aux serveurs globaux, via des financements européens notamment, et ensuite on soutiendra ces pays avec des paiements contre performances. »

Copernicus, le programme d'observation de la Terre de l'Union européenne qui collecte et restitue des données sur l'état de la Terre, est aussi une piste car encore peu utilisé par les scientifiques africains.

La pédagogie de l'eau

A l'issue de deux journées d'échanges intenses, un constat qui fait l'unanimité : pour faire face à des risques multiples avec des degrés d'urgence différents selon où on se trouve sur la planète, la voie du partage et de la consolidation des échanges autour de l'eau doit s'inscrire durablement entre les pays pour faire émerger des solutions qui, elles aussi, sont forcément multiples et sur plusieurs temporalités, fondées sur des projets de partenariat.

« La réflexion collective et l'action collégiale sont les conditions sine qua none pour relever ces défis », conclut Sami Yassine Turki, du City Diplomacy Lab.

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre et aujourd'hui président de la Fondation Prospective et Innovation, est intervenu en visioconférence lors de la conclusion des Euro-Africa Water Days. Lui aussi s'accorde avec l'ensemble des intervenants sur une nécessaire coopération.

« Oui il faut éviter la guerre de l'eau, lance-t-il. Il faut développer des stratégies de coopération internationale. Certains sont aujourd'hui possibles, par exemple la planétisation de la politique chez les jeunes : on combat pour la planète ! Cette logique de planétisation des politiques touche notamment l'eau... Entre l'Afrique et l'Europe, nous avons une communauté de destin, notamment sur les questions environnementales, et il nous faut travailler ensemble sur un certain nombre de solutions, en s'appuyant entre autres sur les jeunes. Il nous faudrait une école de l'eau où on développe une pédagogie de l'eau pour faire émerger des consensus sur la base de vérités scientifiques. C'est la société civile, les jeunes, les femmes, toutes ces énergies nouvelles qu'il faut mobiliser, pas seulement les forces politiques. Avec Michaël Delafosse (maire de Montpellier, NDLR), nous partageons le sentiment qu'un pessimisme envahit la rue, avec une tendance soit à se mettre colère et à s'engager dans des protestations radicales, soit à être indifférent et à baisser les bras de désespoir... Mon trépied de l'espoir, ce sont trois éléments stratégiques. Tout d'abord, avoir une ambition, c'est à dire une destination, celle de la protection de la planète et de son sang, l'eau. Le 2e élément, c'est la force, l'énergie des jeunes pour assurer les transitions. Et enfin la méthode, celle de vos travaux : la coopération. (...) Il y a une conviction que nous pouvons partager avec Saint-Exupéry : "on n'a pas le droit d'être responsables et désespérés ! ". »

Lire aussi« Sur ce sujet vital de l'eau, on a besoin d'intelligence collective » (E. Servat)

« Montpellier, capitale de l'eau »

Eric Servat, directeur de l'ICIREWARD, Centre International UNESCO sur l'Eau à Montpellier, et co-organisateur, avec la Métropole de Montpellier, des Euro-Africa Water Days, insiste quant à lui sur la méthode et sur la prospective au-delà de ces deux journées d'échange.

«  L'horizon ne peut pas s'arrêter là. Nous sommes tous concernés par les problématiques de l'eau et les axes de travail touchent au comportement sur la ressource en eau, au social - par exemple la place des femmes -, au scientifique pour donner un cadre le plus exact possible, et aux éléments techniques et technologiques car on ne sauvera pas l'eau contre la science mais avec la science ! Nous avons démontré la nécessité d'aborder la question par le partenariat, il faut apprendre à travailler et raisonner autrement qu'en silo. (...) Dans l'agenda international de l'eau, il n'y a pas de rencontre de cette nature, c'est à dire pluri-acteurs, qui se focalise sur bassin méditerranéen et le continent africain. Se réunir tous les deux ans pour les Montpellier Water Days permettra de poursuivre les échanges sur les solutions à mettre en œuvre. L'idée est aussi de souligner la place de Montpellier et d'en faire la capitale de l'eau ».

Cécile Chaigneau

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