« Sur ce sujet vital de l’eau, on a besoin d’intelligence collective » (E. Servat)

INTERVIEW - Deux ans après le Nouveau Sommet Afrique-France, Montpellier se fait à nouveau le carrefour de synergies entre l’Europe et l’Afrique avec, du 8 au 15 octobre, la première édition de la Biennale Euro-Africa. Au centre des sujets à enjeux, l’eau, dont les problématiques trouvent des similitudes entre le continent africain et le pourtour méditerranéen. Echange avec Eric Servat, directeur du Centre International UNESCO sur l'Eau ICIREWARD à Montpellier, et co-organisateur, avec la Métropole de Montpellier, des Euro-Africa Water Days qui se tiennent les 9 et 10 octobre dans le cadre de la Biennale.
Cécile Chaigneau
Eric Servat, directeur de l'ICIREWARD, Centre International UNESCO sur l'Eau, à Montpellier (capture d'écran).
Eric Servat, directeur de l'ICIREWARD, Centre International UNESCO sur l'Eau, à Montpellier (capture d'écran). (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quel a été votre rôle et celui du centre ICIREWARD dans l'organisation de ces deux jours Euro-Africa Water Days ?

Eric SERVAT, directeur du Centre International UNESCO sur l'Eau ICIREWARD à Montpellier, et co-organisateur des Euro-Africa Water Days - Dans le cadre de la Biennale Euro-Africa, la Métropole de Montpellier souhaitait qu'il y ait une séquence thématique autour d'un sujet très actuel, correspondant à un problème majeur pour l'ensemble des sociétés méditerranéennes et africaines, et qui permettent de réunir des scientifiques mais aussi des représentants d'entreprises ou de collectivités territoriales. La thématique de l'eau est apparue comme faisant le lien entre le bassin méditerranéen et le continent africain. C'était dans la philosophie de la Biennale d'être un pont entre ces régions.

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Quels sont les enjeux africains autour de l'eau et leur lien avec ceux du pourtour méditerranéen ?

La rive sud du bassin méditerranéen est en stress hydrique depuis longtemps, et sur la rive nord, la ressource en eau sera tout sauf abondante à l'avenir. Il y a donc des similitudes avec l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale, mais aussi avec l'Afrique australe dans les zones désertiques ou subdésertiques, comme le désert namibien. Les enjeux sont la raréfaction des ressources en eau, la confrontation au stress hydrique et les tensions que cela génère et qui iront croissant.

Les sujets sur l'eau sont nombreux. Quelle était votre ambition avec ces Euro-Africa Water days ?

Il y avait deux objectifs. Tout d'abord, nous voulions mettre l'accent sur le sujet des mégapoles. Il y a, en Afrique, des villes qui connaissent un développement invraisemblable ! Par exemple Lagos (20 millions d'habitants, au Nigeria, NDLR), Abidjan (5 millions d'habitants, en Côte d'Ivoire, NDLR) ou Dakar (2,3 millions d'habitants, au Sénégal, NDLR). Elles sont confrontées à des problématiques de ressources en eau, d'infrastructures, de réseaux d'assainissement, et même parfois de protection des habitants contre les inondations. Par ailleurs, nous ne voulions pas organiser un colloque scientifique mais réunir l'ensemble des acteurs de l'eau car je crois qu'aujourd'hui, si on veut trouver des solutions, il faut arrêter de travailler en silo, mais partager des expériences, analyser des situations, travailler sur la résilience et l'adaptation à partir de ce que font les uns et les autres. Raison pour laquelle nous voulions rassembler les scientifiques, les entreprises, les collectivités territoriales ou les ONG. Car sur ce sujet vital de l'eau, on a besoin d'intelligence collective... Mais la démarche doit être de travailler avec les gens, pas pour eux. C'est un principe de base dans mon travail : s'inscrire dans un partenariat, et dans un partenariat durable dans le temps car une fois qu'on a trouvé des solutions et qu'on les a installées, il faut des investissement pour maintenir les infrastructures, et cette question doit être présente dès le début du projet.

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Que va-t-il se passer après les Euro-Africa Water Days ?

Je ne sais pas si nous serons capables d'écrire un Livre blanc, démarche dont je m'en méfie un peu car pas mal servent à créer des armoires... Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y aura une suite car un one-shot ne serait pas suffisant sur un tel sujet ! Je veux inscrire cette action sur du long terme. On se donne là un point initial et dans deux ans, on renouvellera ces rencontres, on regardera comment les choses ont évolué, si des solutions on été mises en œuvre et on continuera à se projeter. L'idée de ces Water Days, c'est aussi de mettre en place un réseau, de faire en sorte que les gens se sentent porteurs de quelque chose de collectif. Et faire que chacun quitte son entre-soi et sorte de sa zone de confort, discute, trouve des opportunités de monter des projets ensemble. Ce qui va dans le sens de ce qui est aussi à la base de la Biennale : créer une dynamique, créer des ponts.

Comment estimez-vous la prise de conscience autour de la rareté de l'eau, en France et ailleurs sur la planète ?

La prise de conscience, en tout cas en France, est assez forte. Des choses bougent depuis deux ans. Cela peut sembler un peu symbolique mais les symboles sont importants : le gouvernement a lancé un plan Eau et on voit par exemple des décrets qui vont sortir sur la réutilisation des eaux usées. Aujourd'hui, la question de l'eau est au premier plan. Ce que j'espère, c'est qu'elle va rester sur le haut de la pile ! Mais je suis un optimiste : il faut se dire que l'accent mis sur l'eau va se traduire par des décisions... En mars dernier à New York, s'est tenue la conférence des Nations-Unies sur l'eau, pour la première fois depuis 1977. On a l'habitude de ces grandes messes onusiennes et souvent, on s'interroge sur les suites. Mais là, même si on n'en est pas encore au stade d'avoir une COP Eau, ce qui est dommage, nous avons déjà les dates pour les prochaines conférences sur l'eau, en 2026 et 2028, ce qui signifie qu'un agenda se met en place. Et on saura bientôt qui est désigné Emissaire des Nations-Unies pour l'eau.. Il était important que la question de l'eau soit politisée au niveau mondial et cette conférence l'a permis. Les Etats vont s'en emparer. Cela signifie qu'on a changé de braquet aux Nations-Unies.

Quelles sont les priorités de la recherche autour de l'eau aujourd'hui ?

On ne peut pas vraiment mettre des priorités sur ce sujet. Dans les laboratoires du Centre International UNESCO sur l'Eau ICIREWARD, à Montpellier, nos équipes travaillent dans tous les domaines : sur la ressource en eau et sur l'accès à cette ressource, sur la contamination de l'eau - notamment autour des polluants émergeants ou des résidus de médicaments -, sur l'irrigation, sur des problématiques de santé publique liées à l'eau, sur les politiques publiques - car la question de gouvernance est essentielle -, sur la réutilisation des eaux usées traitées et la question de l'acceptabilité sociale, etc. La recherche s'est vraiment mobilisée sur tous les fronts !

Considérez-vous que la guerre de l'eau a démarré ?

Quand on voit certaines images de ce qui s'est passé au printemps en France, on pourrait dire que oui... Des guerres de l'eau véritablement peut-être pas, mais on est déjà dans des situations de tension extrême en certains endroits sur la planète. Les conflits n'ont pas encore éclaté mais les Nations-Unis ont identifié au moins 300 points de telles tensions qu'on peut parler de situation très critiques en matière de conflits potentiels... Mais pour être optimiste, on peut regarder la manière dont certains bassins sont cogérés, par exemple sur le continent africain dans la vallée du Sénégal où on s'appuie sur l'intelligence collective pour s'assurer que la ressource du fleuve Sénégal puisse être partagée, et ça fonctionne. Ou encore l'autorité du bassin du fleuve Niger qui rassemble neuf pays riverains, dont certains disposent de peu d'autres ressources, avec une structure qui est un outil de cogestion de la ressource.

Cécile Chaigneau

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