S’alimenter sur la Lune : « Les œufs de poisson voyagent sereinement en environnement spatial » (Ifremer)

Elever des poissons sur la Lune pour nourrir les astronautes, épisode 2… Il y a trois ans, La Tribune dévoilait les coulisses de ce programme de recherche lancé par l’Ifremer dans l’Hérault, en partenariat avec le Centre Spatial Universitaire de Montpellier. De nouveaux résultats de recherche, positifs qui plus est, viennent de tomber : les œufs de poisson voyagent sereinement en environnement spatial.
Cécile Chaigneau
Le programme Lunar Hatch évalue le potentiel des oeufs de poissons à voyager pour aller éclore sur la Lune.
Le programme Lunar Hatch évalue le potentiel des oeufs de poissons à voyager pour aller éclore sur la Lune. (Crédits : DR)

Nourrir les astronautes en mission sur la Lune (et plus tard sur Mars) est un enjeu majeur pour la réussite de ces voyages dans l'espace. Les produits lyophilisés ne peuvent être une solution durable, et si les scientifiques de la NASA expérimentent depuis plusieurs années le jardinage en microgravité, ce régime ne serait pas suffisant car carencé, notamment en vitamines K, B12 et oméga 3.

Cyrille Przybyla est chercheur en biologie marine à l'Ifremer (centre européen d'excellence en aquaculture marine) de Palavas-les-Flots (Hérault) et rattaché à l'UMR Marbec (MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation), et son travail, c'est d'étudier les poissons marins, leur génétique, leur système de reproduction, et plus globalement tout ce qui peut favoriser l'aquaculture durable. Rappelant que « l'objectif de l'Europe, c'est d'envoyer 40 personnes sur la Lune en 2040 », le chercheur a eu l'idée de travailler sur des apports nutritionnels d'origine animale et fait le pari que « le premier animal élevé dans l'espace sera un animal aquatique, et probablement un poisson » en raison de ses atouts : un très bon indice de conversion alimentaire, des animaux qui consomment trois fois moins d'oxygène que les animaux terrestres et produisent trois fois moins de dioxyde de carbone.

Depuis 2019, l'Ifremer travaille ainsi main dans la main avec le Centre Spatial Universitaire de Montpellier (CSUM) au sein du programme Lunar Hatch pour remédier à cette problématique de l'alimentation des astronautes et imaginer faire de l'aquaculture sur la Lune, ce qui suppose d'installer un système d'élevage dans l'espace. Le programme Lunar Hatch travaille ainsi sur l'envoi dans l'espace d'œufs fécondés sur Terre pour éclore sur la Lune.

En microgravité

Il y a trois ans La Tribune dévoilait les coulisses de ce programme de recherche. De nouveaux résultats viennent de tomber.

Huit espèces robustes et souples ont été retenues pour le programme Lunar Hatch, comme la truite, le saumon, le bar, la morue, le maigre ou le flétan. Le premier étage du projet, c'était l'expérimentation, avec le CSUM et le laboratoire LMGC (Laboratoire de Mécanique et Génie Civil), de la simulation d'un lancement de fusée sur des œufs embryonnés de poissons pour tester leur bonne résistance aux vibrations subies, notamment au moment du décollage. Les premiers résultats sur deux stades de développement embryonnaire s'étaient révélés très concluants, montrant la flexibilité de l'organisme aquatique face aux contraintes des conditions de lancement d'un vaisseau spatial.

Cyrille Przybyla vient de faire une deuxième publication, dans la revue Frontiers in space technologies, portant sur le résultat de ses expérimentations concernant les changements d'environnement qu'auront à subir les poissons pendant le voyage. En sachant qu'aller sur la Lune prend trois à six jours pour parcourir les 400.000 km... Des résultats positifs et encourageants.

« Le poisson modèle est le bar et nous avons voulu observer les effets de la gravité altérée sur les œufs, raconte-t-il. Quand la fusée accélère, elle passe de 1 à 5 g (unité de mesure de l'accélération utilisée en aéronautique - NDLR) en quelques minutes. Nous avons mis les œufs dans une installation de simulation spatiale de la plateforme GEPAM à l'université de Nancy pour simuler une microgravité pendant 39 heures, ce qui correspond à la dernière moitié de leur embryogénèse... Nous avons observé que le taux d'éclosion dans l'accélération et en microgravité ne présentait pas de différence avec la gravité terrestre. Conclusion : les œufs peuvent voyager sans se dégrader. C'est une première bonne nouvelle ! Maintenant, pour aller plus loin, il faudra une expérimentation en orbite basse terrestre, par exemple dans une mission avec un satellite, car nous avons fait tout ce que nous pouvions faire sur Terre. »

Evaluer les rayonnements cosmiques

Une autre question se pose : les œufs de poissons seront-ils stressés lors du voyage ? Le chercheur explique être allé « chercher l'expression des gênes de stress et nous n'en avons pas trouvé ». Une deuxième bonne nouvelle, confirmée par l'étude de la consommation d'oxygène des œufs  qui est identique à celle des œufs sur Terre.

« Les œufs de poisson voyagent sereinement en environnement spatial, se réjouit Cyrille Przybyla. Nous avons même remarqué qu'en microgravité simulée, les œufs de bar ont tendance à éclore quelques heures avant le moment prévu... Par ailleurs, nous avons pu voir l'activation des gênes acteurs dans la mise en place du système immunitaire, même si sur cette partie-là, l'expérimentation ne permet pas de fortes conclusions en l'état. »

Reste également à évaluer les rayonnements cosmiques, c'est-à-dire l'impact des particules chargées en énergie parcourant l'espace et qui peuvent être dommageables pour l'ADN d'un être vivant.

« On est en plein dedans, répond le chercheur. Le CNES finance la partie sur l'exposition aux rayonnements cosmiques car il s'agit de plusieurs particules en même temps. Autrement dit une douche de neutrons, de protons, etc., qu'on ne sait pas simuler sur Terre, on ne peut que simuler particule par particule. L'an dernier, nous avons travaillé sur les neutrons et cette année sur les protons, probablement les plus dangereux pour la biologie. »

L'étape suivante : « Le vol en orbite basse à moyen terme avec la Station spatiale internationale ou un satellite... L'Agence spatiale européenne est intéressée pour envoyer, probablement en 2032 mais cela dépendra du retard d'Ariane 6, un rover (robot mobile en capacité d'effectuer des prélèvements, analyses ou photographies à la surface d'astres éloignés de la Terre, NDLR) sur la Lune incluant une expérimentation de biologie. Les œufs de poisson de Lunar Hatch sont présélectionnés mais on est encore en discussion ».

Cécile Chaigneau

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