Baromètre des dirigeants d’entreprises : un sur deux en risque de burn-out

Le service de santé au travail AIPALS, qui suit 3.600 entreprises et 40.000 salariés sur le territoire du Grand Montpellier, livre les résultats d’un bilan de l’état de santé des dirigeants d’entreprises réalisé à l’automne 2020. Une photographie jugée suffisamment inquiétante pour déclencher un suivi systématique de cette catégorie professionnelle habituellement peu observée.
Cécile Chaigneau
(Crédits : DR)

« Les petits patrons sont au cœur de la machine : sans eux l'économie ne tournerait pas. Ils devraient être considérés a minima comme des travailleurs comme les autres, et pourtant non. En effet, s'ils ne sont pas salariés de leur entreprise, les dirigeants sont exclus de tout dispositif de prise en charge de leur santé. Avec la crise de la Covid-19, nombreux sont en danger de burnout. L'État impose (légitimement) aux chefs d'entreprise de prendre soin de leurs salariés, mais il a "oublié" leur santé à eux. Cette situation est profondément illogique, injuste et contre-productive. Il est grand temps d'enclencher une véritable démarche de prévention pour le dirigeant. Il y a même urgence ! La santé du dirigeant est le premier maillon d'une entreprise en forme. »

Pierre-François Canet, le président de l'AIPALS contextualise ainsi la décision de ce service de santé au travail de lancer, à l'automne 2020 et en partenariat avec l'observatoire Amarok*, une vaste enquête auprès des chefs d'entreprise de ses 3.600 entreprises adhérentes du Grand Montpellier (soit le suivi de 40.000 salariés), afin de dresser un état des lieux. L'enquête s'est déroulée entre le 19 octobre et le 18 novembre 2020. Pour rappel, le 2e confinement a été décrété le 28 octobre 2020. Certains chefs d'entreprise ont répondu avant, d'autres pendant ce confinement. 256 chefs d'entreprises ont répondu, dont la majorité (53,2 %) sont dirigeants d'une TPE et 54% non-salariés.

89,9 % des dirigeants se déclarent stressés

Six dirigeants sur dix décrivent leur santé physique comme "bonne", voire "très bonne et excellente". En revanche, plus de la moitié d'entre eux estiment que leur santé mentale n'est pas bonne. Le signal le plus inquiétant vient de la mauvaise qualité du sommeil dont souffre près de 65% des répondants.

Globalement, 42,5 % des répondants se décrivent comme "isolés", voire "très isolés", et la grande majorité des chefs d'entreprise (89,9 %) se déclarent « stressés », dont même 11,9 % "extrêmement stressés".

Un dirigeant sur deux (50,9%) présente un risque de burn-out, dont 17,3% un risque élevé et 9,7% un risque très élevé. Soit une nette dégradation par rapport à l'enquête Amarok de mars 2019. Les signes de risque de burn-out qui s'observent le plus dans les réponses sont la fatigue, la déception vis-à-vis de certaines personnes et le sentiment d'en avoir marre. En revanche, les signes de risque de burn-out qui s'observent le moins dans les réponses sont le fait d'être physiquement faible ou malade, le désespoir et le fait d'être sans valeur. C'est le sentiment d'impuissance qui a le plus progressé par rapport à 2019 (+ 35%).

Baromètre santé du dirigeant réalisé à l'automne 2020 et révélé en juin 2021

Selon le baromètre réalisé à par l'AIPALS et l'observatoire Amarok à l'automne 2020, 50,9% des dirigeants présentent un risque de burn-out.

« Ces résultats témoignent d'un sentiment de lassitude et de fatigue, mais aussi d'une bonne forme physique et d'une bonne considération de soi de la part des répondants, analyse l'AIPALS. Le risque de burn-out varie en fonction des plusieurs facteurs. Il est légèrement plus important chez les femmes (3,8) que chez les hommes (3,2). Les femmes dirigeantes non salariées sont les plus exposées (score moyen le plus élevé à 4,21). Le risque de burn-out semble diminuer avec l'âge : il est particulièrement faible chez les répondants qui ont plus de 65 ans (2,04). Il est plus élevé chez les répondants qui n'ont pas eu le choix de s'impliquer dans leur entreprise, augmente lorsque la charge de travail est importante, et est plus important chez les individus qui se sentent isolés. Les individus qui ressentent du stress présentent un risque plus important. »

Le nombre de chefs d'entreprise exposés à un risque de burn-out est nettement supérieur dans les TPE : 13% contre 6% pour les entreprises entre 10 et 49 salariés, et 9% pour les entreprises de plus de 50 salariés.

Le commerce et les services plus touchés

Logiquement, le baromètre de l'AIPALS, qui couvre majoritairement dans les secteurs des services, du transport et de la logistique, du commerce, et de l'industrie, révèle des différences selon les secteurs d'activité. Les secteurs les plus affectés sont ceux du commerce et des services.

Dans le commerce, où deux dirigeants sur trois sont non-salariés (ce qui est bien supérieur à la moyenne), 72 % n'étaient pas en télétravail (contre 50% en moyenne), les activités de commerce permettant plus difficilement le travail à distance. La proportion de dirigeant en risque très élevé de burn-out est nettement plus importante dans le commerce :16% contre 9,7% en moyenne.

Dans les services, la majorité des répondants (33%) se situant dans le risque de burn-out dit moyen. Mais selon le baromètre, la santé des dirigeants se dégrade.

« Le taux de satisfaction dans la vie menée juste après le 2e confinement baisse à 4,6 sur une échelle de 10, analyse l'AIPALS. L'impact le plus fort relevé est donc constaté dans le secteur des services. Plus d'un dirigeant sur 5 (21,9%) estime "probable" un dépôt de bilan suite au Covid-19, contre une moyenne à 16,9%. Il faut dire que la moitié des entreprises de service ont fermé plus de deux mois... Plus de la moitié des répondants estiment leur santé mentale mauvaise ou passable (54%) et 2/3 estiment leur sommeil passable ou mauvais. »

Dans l'industrie, le baromètre révèle des dirigeants moins à risque, avec notamment un risque "très élevé" de burn-out inférieur à la moyenne (6% contre 9,7%). Dans ce secteur, le niveau d'étude est supérieur aux autres branches (64% ont un bac+4 et plus, contre 41%) et le taux de dirigeants salariés nettement plus important (73% contre une moyenne de 46%).

L'AIPALS indique que « le taux de satisfaction baisse moins dans l'industrie qu'ailleurs, et cela s'explique par le fait d'être salarié de son entreprise et d'avoir davantage pu poursuivre l'activité ». 56 % des répondants du secteur de l'industrie ont conservé un chiffre d'affaires à l'équilibre ou en progression (contre 40% ailleurs) et la probabilité de dépôt de bilan est de 11,9% contre une moyenne de 14,8%. 


Un suivi médical des dirigeants, comme pour les salariés

Dès le premier confinement de mars 2020, le service de santé au travail avait mis en place une cellule d'écoute dédiée aux dirigeants, composée de cinq professionnels : un psychologue, un médiateur, une infirmière santé au travail, un médecin du travail et l'animatrice QVT (Qualité de Vie au Travail). Parallèlement, de façon trimestrielle, un questionnaire est transmis aux dirigeants d'entreprise afin qu'ils puissent évaluer leur niveau de stress. En fonction de son score, le dirigeant en difficulté est contacté et accompagné par ces spécialistes.

« Une démarche inhabituelle parce que les chefs d'entreprise n'ont pas l'habitude de demander de l'aide, souligne Cyril Giraud, psychologue du travail pilotant ce dispositif. Ce n'est, quelque part, pas dans leur ADN. Fondamentalement, ils dirigent seuls, doivent tout gérer et se répètent que, quoiqu'il arrive, ils vont y arriver. Sauf qu'être dirigeant n'est pas de tout repos ! À notre cellule d'écoute, nous observons un grand besoin de parler de leur part : stress, fatigue, solitude et parfois détresse. Ils viennent se décharger d'un poids... Le principal conseil qu'on puisse leur donner est qu'ils pensent davantage à eux, qu'ils s'accordent du temps pour revenir plus efficace. »

Forte de ce nouveau diagnostic, l'AIPALS annonce qu'elle mettra en place un suivi des dirigeants d'ici la fin 2021 en étendant ses prestations de prévention à l'ensemble des dirigeants en leur proposant un réel suivi médical au travail.

« Il ne s'agit pas d'un dispositif d'urgence individuel lié à la crise du Covid-19, mais bien de la mise en place d'une véritable démarche de prévention pour le dirigeant et son entreprise sur le long terme, insiste l'AIPALS. Les chefs d'entreprise auront ainsi accès à l'ensemble de nos services, au même titre que leurs salariés : visite médicale santé-travail avec des examens complémentaires, accès aux spécialistes du pôle technique - assistante sociale, psychologue, ergonome, infirmière santé travail -, un temps d'échanges sur les risques professionnels dans leur entreprise, participation aux ateliers prévention, webinaires dédiés à la santé du dirigeant et campagnes de prévention au sein de l'entreprise. »

* Créé en 2009 par Olivier Torrès, professeur des Universités à Montpellier et spécialiste des petites et moyennes entreprises, l'observatoire Amarok fédère une quinzaine de chercheurs qui étudient les liens entre la santé de l'entreprise et celle de son dirigeant.

Cécile Chaigneau

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