Comment la culture du sorgho va révolutionner le monde céréalier

À l’heure du réchauffement climatique et de son impact majeur sur la production agricole, il est urgent de trouver des solutions pour continuer à nourrir la planète. À Montpellier, du 5 au 9 juin dernier, plus de 400 professionnels venus du monde entier se sont penchés sur la culture du sorgho, une plante qui passe du statut d’outsider discret des céréales à celui de jeune pousse prometteuse aux multiples atouts. De quoi devenir la star de nos assiettes et de nos champs dans les décennies à venir.
Étude de la culture de sorgho dans la serre Abiophen du Cirad à Montpellier, avec Claire Billot, directrice de l'unité Agap.
Étude de la culture de sorgho dans la serre Abiophen du Cirad à Montpellier, avec Claire Billot, directrice de l'unité Agap. (Crédits : Cirad)

Et si le sorgho pouvait contribuer à sauver l'industrie céréalière à travers le monde ? C'est l'espoir qui ressort en filigrane de la deuxième Conférence mondiale sur le sorgho du 21e siècle, laquelle a réuni à Montpellier plus de 400 scientifiques et professionnels du milieu agricole du monde entier, des Etat-Unis à l'Afrique en passant par à l'Australie, et l'Europe. Un événement d'envergure, qui s'est déroulé du 5 au 9 juin à Montpellier, co-organisé par le CIRAD, l'organisme de recherche agronomique spécialisé dans le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes (basé à Montpellier), en partenariat avec la Collaboration mondiale sur le sorgho et le millet de l'Université du Kansas, l'association européenne Sorghum ID, l'institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre régional d'étude pour l'amélioration de l'adaptation à la sécheresse (CERAAS) situé au Sénégal.

Signe que les choses bougent : il s'agit d'une deuxième édition, la précédente s'étant déroulée en 2018 à Cape Town en Afrique du Sud, alors qu'il n'y avait pas eu de conférence globale sur le sujet depuis les années 1980.

Une denrée du quotidien en Afrique

Malgré tout, cette plante demeure peu connue, en dépit de ses nombreuses qualités.

« De la même famille que le maïs, le sorgho est la cinquième céréale la plus cultivée dans le monde après le blé, le riz, le maïs et l'orge, détaille Jean-François Rami, généticien à l'unité Agap du CIRAD. On la trouve aux-Etats-Unis, en Europe, en Chine et en Afrique. Cette plante est cultivée depuis très longtemps, c'est pourquoi sa grande diversité génétique est associée à une grande variété d'usages. »

Quels sont donc ces fameux atouts qui pourraient rapidement faire grimper sa cote de popularité ? La réponse se trouve en Afrique. En Chine, aux Etats-Unis et en Europe, le sorgho est principalement utilisé en tant que fourrage pour les bêtes. Ce n'est pas le cas sur le continent africain, qui compte trois des cinq plus gros producteurs au monde* (au Nigeria, en Ethiopie et au Soudan) et pour lequel le sorgho est une denrée importante au quotidien. Ce qui en dit long sur ses capacités d'adaptation, notamment au stress hydrique.

« Le sorgho est parfaitement adapté à nos conditions climatiques, c'est la troisième céréale la plus cultivée en Afrique, après le riz et le millet dans certaines régions du continent, explique Ndjido Ardo Kane, chercheur au CERAAS. Délicieux et riche en nutriments, il constitue un aliment de base pour des millions de personnes en Afrique, où il est utilisé dans de nombreuses préparations de galettes, bouillies ou pain. C'est aussi très bon pour les animaux sous forme de fourrage. Tout se mange, de la plante aux grains ! On peut même en faire du biocarburant... »

Un "maïs de court cycle" adapté aux températures élevées

Souvent surnommé le "maïs de court cycle", le sorgho a moins besoin d'eau que le maïs puisque son cycle est plus rapide. Ce qui le rend de fait moins sensible aux aléas du réchauffement climatique. Et lui permet de s'adapter aux zones tempérées comme tropicales.

« C'est une plante très proche du maïs mais dont le mécanisme photosynthétique la rend moins dépendante de l'eau, explique Vincent Vadez, écophysiologiste à l'IRD, basé au Sénégal. Le manque d'eau et les températures élevées font qu'un jour ou l'autre, on va avoir besoin de développer davantage cette culture. »

Malgré ses qualités, la plante a longtemps été éclipsée par les "big 3" (blé, riz, maïs) et a bénéficié, par ricochet, de très peu d'investissements en recherche, en comparaison avec les céréales majeures.

« Grâce aux efforts des ingénieurs agronomes, la densité de semis du maïs a été triplée en un siècle, ce qui a énormément contribué à une amélioration du rendement, alors que cette intensification n'a pas eu lieu pour le sorgho, complète Vincent Vadez, à l'IRD. L'idée est d'essayer d'aller un peu plus vite. Des modèles de simulation nous permettent de tester des hypothèses sur les aspects génétiques à améliorer et quelles nouvelles variétés développer. »

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Une alternative intéressante au maïs

Dans les pays de l'Union Européenne, la culture du sorgho est évaluée par le Cirad à 309.000 ha de surfaces totales d'exploitation (grain et fourrage), portée par un trio de tête composé de la Hongrie, de la France et de l'Italie. Si, par comparaison à d'autres acteurs, l'Europe fait figure de "petit Poucet", l'obligeant à importer 160.000 tonnes de sorgho pour ses besoins en 2021, une dynamique y a émergé ces dernières années, donnant naissance à Sorghum ID, une association regroupant 27 opérateurs européens (semenciers, agriculteurs, instituts de recherche, entreprises de l'agroalimentaire).

Selon Valérie Brochet, ingénieure agricole et déléguée de Sorghum ID, « nous avons des challenges à relever afin de développer la filière en Europe, mais nous avons la chance d'avoir un pool de variétés adapté à l'Europe, notamment en termes de précocité. C'est important de pouvoir adapter nos marchés dans le contexte du changement climatique en comptant sur une céréale comme le sorgho ». D'autant plus qu'avec le réchauffement climatique, les problèmes se mondialisent.

« Les Etats-Unis commencent à avoir les mêmes problèmes que l'Afrique, remarque Timothy J. Dalton de l'Université du Kansas. L'idée est d'avoir une option pour les agriculteurs, car les années où le climat est sec et chaud, le maïs souffre beaucoup et sa qualité nutritive en est détériorée. »

Une alternative dont la fiabilité est intéressante pour la France, également grand producteur et exportateur européen de maïs (1,5 million d'ha), dont la récolte de maïs grain en 2022 a été fortement affectée par une sécheresse précoce et prolongée, chutant à son plus bas niveau depuis 1990.

« Le maïs a besoin d'eau en raison de son cycle très long, soit de cinq-six mois, contre trois-quatre mois pour le sorgho, ce qui veut dire qu'on est de plus en plus contraints d'irriguer une culture de maïs pour aller jusqu'à la fin du processus, note Vincent Vadez. Avec la crise de l'eau qui se pose actuellement en France, il va falloir questionner l'irrigation du maïs, notamment dans une région comme l'Occitanie. »

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Occitanie, premier producteur de sorgho de l'Hexagone

Grande terre céréalière de l'Hexagone, l'Occitanie est aussi le premier producteur de sorgho du pays, concentrant 26% de la production nationale avec 24.000 ha recensés en 2000 (selon des chiffres de la chambre régionale d'agriculture publiés en 2021) dont une grande partie en Haute-Garonne. Ce qui reste une culture mineure par rapport aux 134.000 ha du maïs grain et aux 287.000 ha du blé tendre.

Bien que de nombreux indicateurs semblent démontrer l'importance grandissante des nombreux atouts du sorgho, auxquels se rajoute son faible indice glycémique et son statut attractif d'aliment sans gluten, son sort est loin d'être validé par les consommateurs de par son absence sur ses tables et dans ses magasins.

« Pour les consommateurs, cette plante a de nombreux avantages en termes d'alimentation humaine, argumente Valérie Brochet. Il est important d'en faire découvrir les usages aux consommateurs européens, car ce n'est pas tout d'avoir un produit à proposer, il faut aussi le démocratiser afin d'amener le sorgho dans leurs assiettes sous différentes formes, le grain ou les farines, mais aussi la malterie pour les bières ou le whisky... »

En Afrique, la question est autre. Malgré tout, l'évolution de sa culture peut donner des idées à d'autres pays dont le climat se réchauffe, et mettre en lumière l'importance de la réflexion sur la souveraineté nationale. Dont la nécessité de produire pour sa propre filière.

« Le sorgho est notre aliment de base et notre plante prioritaire, conclut Ndjido Ardo Kane. Pour nous, c'est le maïs qui est une option. Si nous démontrons que le sorgho peut prendre la place du maïs, il nous faut convaincre nos décideurs que nos politiques agricoles doivent soutenir la chaîne de valeur du sorgho plutôt que de faire la promotion du maïs que nous importons. »

* Les principaux producteurs de sorgho dans le monde sont : les pays africains (Nigeria, Ethiopie et Soudan), les Etats-Unis, l'Inde, l'Amérique centrale et du Sud, la Chine et l'Australie.

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Commentaires 2
à écrit le 14/06/2023 à 21:06
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Espérons le parce que la production d'insectes a démarré en trombe et sachant qu'ils adorent générer des énormes pompes à fric il vaut mieux déjà faire sa place dans le domaine.

à écrit le 14/06/2023 à 19:21
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En effet l'idée fait son chemin mais à l'heure actuellement il n'existe pas encore de filières dédiées ; coopératives , transformateurs, commercialisation et techniciens pour épauler les producteurs car cela ne s'improvise pas sachant que les rendem...

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