Sobriété énergétique : « Notre facture d’électricité va passer de 1,2 à 9 millions d’euros » (SIRAP)

SERIE (1/4) - C’est l’équation insoluble pour les industriels électro-intensifs : continuer de produire tout en absorbant les colossales augmentations des factures d’énergie. En Occitanie comme partout, les entrepreneurs cherchent des solutions. Tour d’horizon chez SIRAP (emballages plastique) dans le Gard, Rochette Industrie (pièces complexes et des sous-ensembles mécaniques et hydrauliques pour les secteurs pétrolier et aéronautique) et Optitec (traitement de surfaces) dans l’Hérault.
Cécile Chaigneau
Le groupe biterrois Rochette Industrie est un équipementier qui fabrique des pièces complexes et des sous-ensembles mécaniques et hydrauliques, notamment pour les secteurs pétrolier et aéronautique.
Le groupe biterrois Rochette Industrie est un équipementier qui fabrique des pièces complexes et des sous-ensembles mécaniques et hydrauliques, notamment pour les secteurs pétrolier et aéronautique. (Crédits : Rochette Industrie)

Le groupe SIRAP est spécialisé dans la fabrication d'emballages plastique pour l'industrie alimentaire. Filiale française d'une entreprise italienne, SIRAP compte trois sites à Remoulins (Gard), Noves et Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui emploient 225 salariés. Des usines qui font partie des sites qualifiés d'électro-intensifs en raison des fortes consommations d'électricité requises.

Dans le contexte actuel, le groupe s'inquiète fortement de l'envolée des prix de l'énergie. Sa facture d'électricité a déjà grimpé dans des proportions qui ne tarderont pas à être intenables.

« En 2022, notre chiffre d'affaires global sera d'environ 62 millions d'euros, explique Franck Dumasdelage, le directeur général de SIRAP. Avant la crise géopolitique, notre facture énergétique, pour les trois usines, se situait autour de 1,2 million d'euros. En 2022, elle va monter à 4 millions d'euros. Nous avons procédé à des augmentations de prix sur le marché, mais on est à la limite. Et l'an prochain, la facture devrait monter à 9 millions d'euros. Ce n'est pas soutenable, le marché ne pourra pas accepter cette hausse. On est face à un vrai mur pour 2023 ! »

« Nous consommons 18 GW par an »

Franck Dumasdelage ajoute que le groupe n'a pourtant pas attendu la crise géopolitique et énergétique pour déployer des mesures d'optimisation énergétique : « Nous avons déjà un plan de sobriété, ce qui nous a notamment permis de diminuer de 15% notre consommation d'électricité en quatre ans, mais on arrive au bout du bout ! Car ce qui consomme, ce sont les machines. Or soit elles tournent, soit elles ne tournent pas ! »

L'industriel ne voit pas d'issue à cette situation. SIRAP ne bénéficie pas du bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement pour les entreprises dont la facture d'électricité dépasse les 3% du chiffre d'affaires : « Nous sommes à plus de 4% mais notre activité de négoce contribue à faire redescendre cette part à 2,9% ». Et l'installation de panneaux photovoltaïques en autoconsommation serait insuffisante : « Nous consommons 18 GW par an, il faudrait presque une mini-centrale à côté des usines ! ».

« Le seul espoir qu'on ait, c'est que le gouvernement prolonge et améliore le bouclier tarifaire... », conclut-il.

Produire son électricité en autoconsommation

A Béziers (Hérault), Pierre-Damien Rochette est le directeur général du groupe Rochette Industrie. Son entreprise est un équipementier et fabrique des pièces complexes et des sous-ensembles mécaniques et hydrauliques, notamment pour les secteurs pétrolier et aéronautique. Il emploie 150 salariés pour un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros. Il vient d'être retenu par l'entreprise biterroise Genvia* pour la fabrication de pièces destinées à ses électrolyseurs.

« L'énergie pèse pour environ 1,5% de notre chiffre d'affaires, indique l'industriel. Sur une ligne de production, ça représente une part importante... Nous pouvons réduire soit la consommation d'électricité, soit la facture. Chez Rochette Industrie, nous pouvons réaliser 5 à 10% d'économie mais ça restera marginal. Et nous ne sommes pas bénéficiaires du bouclier tarifaire car nous sommes en-dessous des 3% du chiffre d'affaires. Alors nous travaillons sur trois pistes. »

La première, c'est l'installation de panneaux photovoltaïques : « Nous avions fait une étude il y a quelques années mais ça n'était pas suffisamment rentable. Aujourd'hui, lancer un projet d'investissement devient intéressant à huit ans au lieu de 15, donc il faut que les industriels le fassent. Nous avons la chance d'avoir, sur notre territoire régional, des opérateurs comme Total-Quadran. Cela va représenter un investissement entre 400.000 et 500.000 euros, pour un équivalent de consommation d'énergie de 20 à 30% sur la facture. Avec la garantie d'utiliser de l'énergie verte. Nous ferons de l'autoconsommation et le week-end, nous revendrons à EDF mais pas à un bon prix... L'autre solution serait de mettre en place des électrolyseurs qui produisent de l'hydrogène qu'on peut ensuite utiliser quand on veut. Nous ne sommes pas encore allés voir si ce serait rentable... ».

Groupe électrogène au biocarburant

 « La seconde piste de travail, c'est l'achat d'un groupe électrogène, ajoute Pierre-Damien Rochette. Dans notre métier d'usinage de pièces, les coupures de courant sont catastrophiques... Aujourd'hui, Airbus et Safran savent faire voler des avions au biocarburant, donc pourquoi pas un groupe électrogène au biocarburant ? Quelques entreprises le proposent en location ou à l'achat, à environ 100.000 euros pièce, plus le coût du biocarburant. Cela nous paraît une solution intéressante dans l'hypothèse de coupures d'électricité en fin d'année. »

Troisième piste : « L'UIMM Occitanie essayé de grouper nos achats d'électricité pour aller chercher des prix mais elle n'a pas réussi à obtenir un véritable effet de levier, ajoute Pierre-Damien Rochette, qui est aussi le président de l'UIMM Méditerranée Ouest. On pourra probablement le faire quand le prix de l'électricité aura retrouvé un niveau plus cohérent... Enfin, la Région Occitanie, via une subvention de l'Ademe, va nous permettre de lancer un audit pour identifier ce qui consomme le plus - machines, mauvaise isolation des locaux, etc. - et voir si on peut bouger le curseur sur certains postes de consommation ».

« Ça vient casser notre dynamique de rentabilité »

Le groupe Optitec (dont le siège est basé à Vendargues dans l'Hérault), compte quatre sites (deux à Vendargues, un à Chassieu près de Lyon, et un dans l'Ain) et deux sites en Tunisie. Il emploie 250 salariés (dont 120 en France), pour un chiffre d'affaires consolidé de 17 millions d'euros. Spécialisée dans l'application de peintures industrielles (poudre et liquide) pour les secteurs de l'industrie et du bâtiment, l'entreprise traite des matériaux tels que l'aluminium, l'acier, le bois ou le plastique. Une activité elle aussi très énergivore.

« Nous utilisons notamment des fours qui consomment beaucoup, et il y a le traitement de surfaces, explique Luc Martin, le président d'Optitec. Le poids de l'énergie, c'est normalement 4,3% de notre chiffre d'affaires France (12 millions d'euros, NDLR) dont 1,7% pour l'électricité. Aujourd'hui, gaz et électricité représentent 16,7% du chiffre d'affaires, soit 1,46 million d'euros supplémentaires ! Jusqu'où ça va aller ? Heureusement, j'ai fait le choix de rester chez EDF et Engie, et j'ai un contrat de 40 mois à compter de maintenant... »

Le dirigeant évoque plusieurs solutions : « Nous allons ajouter des centrales photovoltaïques, notamment des ombrières de 500 MW, en autoconsommation pour couvrir une partie de nos besoins. Nous avons commencé à consulter des fabricants régionaux pour le faire mais il faut compter un an pour leur mise en service. Il y a un gros décalage avec l'urgence de la situation... Nous allons aussi prendre des groupes électrogènes qui tournent au biocarburant. Et nous réfléchissons, à moyen terme, à un système de biomasse. Quant à faire des économies, dans notre process, il existe des formulations de peinture qui cuisent avec moins d'énergie, permettant des baisses de 20 à 30° dans les fours ».

Optitec a droit au bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement pour les industries électro-intensives. Mais le dirigeant ne décolère pas : « Nous avions déjà entamé des réflexions sur le sujet mais là, nous sommes acculés à le faire plus rapidement. Nous n'avons pas eu le temps de travailler le fonds. Ça bousille notre équilibre, et ça vient casser notre dynamique de rentabilité, de positionnement et de croissance et de compétitivité ».

« Heureusement, comme il y a de moins en moins de compétences et d'offreurs sur nos métiers, les clients sont sensibles à notre pérennité dans le temps », se rassure-t-il.

Vers une souveraineté

A l'UIMM Occitanie, Christophe Meyruey, le directeur général, s'efforce de voir le côté positif des choses : « Aujourd'hui, la hausse des prix est une menace, mais à long terme, cela engage les entreprises dans une démarche vertueuse... Le rôle de l'UIMM, dans cette situation, est d'accompagner les entreprises, et notamment d'aller chercher les PME qui comptent entre 10 et 100 salariés, qui ont besoin de financements mais qui ne sont pas identifiées ».

« On ira vers moins de mondialisation et donc vers une stratégie de régionalisation et de souveraineté, confirme Pierre-Damien Rochette. C'est une opportunité. La difficulté est de prendre le virage, qui coûte de l'argent... »

* Genvia est une société conjointe entre Cameron-Schlumberger Béziers, le CEA Grenoble, Vinci Construction, Vicat et l'AREC Occitanie. Cette future gigafactory développera à l'échelle industrielle une technologie de rupture de production d'hydrogène décarboné par électrolyseurs haute température.

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