Numérique responsable : « Les choses bougeront par l'usage ou la contrainte » (R. Garcia)

INTERVIEW - Organisé par le Digital 113, cluster régional de professionnels du numérique, la 9e édition du Green IT Day, qui se déroule à Montpellier et Toulouse ces 5 et 6 octobre, est l’occasion de réfléchir de manière collective sur la question du numérique responsable. Et de s’interroger sur les défis à venir d’un secteur dont la dématérialité fait trop souvent oublier un impact environnemental qui est loin d’être négligeable. Quitte à révolutionner ses usages.
Ronnie Garcia, copilote de la factory Numérique responsable et durable de Digital 113 et dirigeant-fondateur d'OVEA, lors de la 9e édition de The Green IT Days, le 5 octobre à la Cité de l'Économie et des Métiers de Demain à Montpellier.
Ronnie Garcia, copilote de la factory Numérique responsable et durable de Digital 113 et dirigeant-fondateur d'OVEA, lors de la 9e édition de The Green IT Days, le 5 octobre à la Cité de l'Économie et des Métiers de Demain à Montpellier. (Crédits : Digital 113)

« De plus en plus de gens se posent la question : à quoi doit-on renoncer ?», remarque Diego Landivar, directeur d'Origens Media Lab, en préambule de sa keynote « Ralentir pour sublimer nos usages numériques », donnée à l'occasion de The Green IT Day à Montpellier, jeudi 5 octobre. Ce docteur en sciences économiques prend pour exemple les « patrons effondrés » qui « vivent une vraie crise intellectuelle et émotionnelle à la lecture des rapports du GIEC ».

Pour sa 9e édition, The Green IT Day est organisé à Montpellier (le 5 octobre) et Toulouse (le 6) par le cluster régional des professionnels de la filière numérique Digital 113. Il s'agit de sensibiliser les entreprises à l'impact du numérique et à l'urgence d'un numérique responsable et durable. Et il y a urgence. Le thème de cette édition est en phase avec les questionnements de société actuels : « Et si nous accélérions le ralentissement ? ».

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LA TRIBUNE - Est-il encore nécessaire aujourd'hui de sensibiliser au numérique responsable ?

Ronnie GARCIA, copilote de la factory Numérique responsable et durable de Digital 113 et dirigeant-fondateur d'OVEA, fournisseur d'hébergement et d'accès Internet engagé - J'ai souvent l'impression de rabâcher quand je parle de numérique responsable. Nous avons commencé par faire de la sensibilisation, puis nous avons incité à passer à l'action... Aujourd'hui, j'ai l'impression que nous devons à nouveau sensibiliser sur des sujets plus précis car les entreprises ne sont pas toutes au même niveau de connaissance sur la question. Il y a des personnes qui ne se sont rendues compte de l'empreinte du numérique que très récemment.

Pensez-vous que c'est l'aspect dématérialisé du numérique qui fait oublier son impact bien réel sur l'environnement ?

Le numérique c'est du virtuel et du non-matériel pour la plupart des gens, alors que la réalité est toute autre. Il y a bien du matériel et des ressources qui sont utilisés pour produire des services numériques. La sensibilisation continue sur ce volet-là pour donner des chiffres, des preuves et faire des analogies entre l'utilisation d'un service numérique et la réalité de l'utilisation des ressources que cela représente. On peut citer deux chiffres : le numérique, c'est 4% des émissions de gaz à effet de serre et 10% de la consommation électrique mondiale. Des chiffres qui ne montrent qu'une petite portion de l'impact réel, cela ne parle que de gaz à effet de serre de de consommation énergétique. En réalité, les impacts du numérique sont multiples et concernent notamment l'épuisement des ressources non vivantes. C'est le cas de minerais et de métaux qui sont extraits dans des pays et de conditions qui sont loin d'être idéales, dans des pays menacés par la corruption.

Est-ce que ralentir veut dire renoncer ?

Non, ralentir n'est pas forcément renoncer. Comme la décroissance n'est pas forcément la privation de notre confort, de notre qualité de vie et du développement de manière générale. Ralentir, c'est juste se reposer la question des usages. Ce n'est pas se priver, mais peut-être renoncer à des choses qui sont futiles ou devenues absurdes. L'exemple d'avoir un catalogue d'une centaine de sports disponibles sur une zone ne permettant pas de les pratiquer est très parlant.

En cela, faut-il opposer low-tech et high-tech ?

Le low-tech a l'avantage de nous faire réaliser que nous n'avons peut-être pas besoin d'inventer un nouveau système ni de fabriquer un nouvel appareil puisque, à côté de nous, nous avons déjà tout ce qu'il faut. Quand on a besoin de faire un trou dans un mur, on peut être poussé à acheter une perceuse bas de gamme car on sait qu'on va rarement l'utiliser. Alors qu'on pourrait à la place acheter une perceuse plus qualitative et durable, fabriquée en France, qui coûte quatre ou cinq fois plus chère mais qui sera utilisée par tous les voisins.

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Quand on pose la question "ralentir ou accélérer", on se retrouve vite à s'interroger sur la vraie problématique : la réinvention des usages.

La question des usages est venue tardivement, car son aspect immatériel et virtuel pouvait faire croire que le numérique était infini. L'innovation, qui est beaucoup subventionnée dans ce domaine, fait qu'on inventait, on produisait de nouveaux services, on augmentait les fonctionnalités... Alors qu'en réalité, les usagers n'utilisent qu'une toute petite portion de ce qui est proposé. Pour autant, il a fallu produire le reste, c'est-à-dire ce qui n'est pas ou moins utilisé. Cette production a généré des impacts. Il nous faut désormais réfléchir à partir de la question centrale de nos usages et nous dire : ne produisons que ce qui est nécessaire ! Ce qui est transposable à d'autres domaines. On ne peut pas demander au citoyen seul de se transformer sans l'imposer, on ne peut pas demander aux entreprises seules de se transformer sans l'imposer, et l'imposer reste une forme de privation de liberté. Nous sommes dans une problématique systémique dans laquelle je crains que nous n'ayon pas d'autre choix que de demander à l'État d'intervenir pour reposer la question des usages aux usagers eux-mêmes. Et y intégrer des questions éthiques, morales, démocratiques.

LT - Il reste encore beaucoup de mythes à debunker sur le numérique ?

R.Garcia - Selon moi, il faut arrêter de ne croire qu'en l'empreinte carbone. Ce n'est qu'un élément de l'impact global du numérique. S'il y avait un coup de pied à donner dans la fourmilière, ce serait inciter les entreprises à ne pas communiquer que sur l'empreinte carbone. Même si se lancer dans un bilan carbone est sans doute une bonne démarche pour une entreprise qui démarre. Mais croire qu'en faisant de la compensation carbone, on peut revenir aux affaires et faire du business as usual, ce n'est pas la bonne démarche. C'est ce qui contribue au greenwashing, poussant certaines entreprise à communiquer de façon ouverte sur des démarches largement insuffisantes par rapport à la vraie problématique de l'impact du numérique sur l'environnement. Posons-nous la question de l'impact environnemental dans son ensemble.

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 Finalement, un numérique vraiment responsable impacte de nombreux autres secteurs. Qu'est-ce qui peut faire changer les choses ?

Cela impacte tous les domaines industriels au niveau mondial. Les choses bougeront par l'usage ou la contrainte. La contrainte de l'épuisement des ressources fera qu'à un moment donné, on ne pourra plus construire d'appareils comme on le fait aujourd'hui. On sera obligés soit de construire moins et différemment, et d'augmenter les prix... Un vrai dilemme. Tant qu'on pensera que tout est illimité, on ne pourra pas résoudre ce problème. La prise de conscience peut aussi faire changer les consommateurs, donc les entreprises : arrêter de consommer, acheter ou produire des services inutiles. Je suis partisan de dire que ce sont les entreprises qui peuvent faire bouger les choses. Les citoyens n'étant que les utilisateurs des produits ou des services proposés par les entreprises.

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