Réservation des billets en ligne, bornes libre-service pour s'enregistrer, portiques pour les embarquements, déploiement de scanners 3D lors des contrôles de sécurité, recours à la reconnaissance faciale pour les caméras de surveillance... La digitalisation du parcours du passager aérien fait son chemin à grands pas de manière inéluctable. L'humain disparaît progressivement au profit des applications numériques et autres outils digitaux dans les aéroports. Avec quelle perception pour les principaux intéressés, les passagers ?
Plus de 35% des passagers aériens français déclarent être réticents à la digitalisation croissante du transport aérien. C'est la conclusion d'une étude* intitulée « Digitalisation du transport aérien : réel progrès ou source de stress pour les passagers ? », dont les résultats viennent d'être présentés, ce 22 mai à Paris, par la Chaire Pégase. Rattachée à Montpellier Business School et développée en collaboration avec plusieurs institutions scientifiques dont l'Université de Montpellier, la Chaire Pégase** se dit première chaire française dédiée à l'économie et management du transport aérien et de l'aérospatial. Elle regroupe une vingtaine d'enseignants-chercheurs, dont les travaux ambitionnent de renforcer les liens entre le monde académique et les entreprises du secteur.
Neuf étapes du parcours passager scrutées
« Un ressenti et des observations a priori anecdotiques nous ont fait percevoir des signaux faibles sur l'impact de la digitalisation du parcours passager, que nous avons voulu objectiver, explique le Pr Paul Chiambaretto, fondateur et directeur de la Chaire Pégase, en amont de la présentation de cette première étude du genre, en présence de Edward Arkwright, directeur général exécutif du groupe ADP, et de Fabrice Pelous, directeur de l'expérience client chez Air France.
L'étude approfondie explore ainsi les diverses réactions des consommateurs face aux technologies numériques dans le contexte du voyage aérien. Un questionnaire permet de comprendre les usages, les préférences et les attitudes, positives ou négatives (aisance, peur de faire une erreur, autonomie, perte de temps, etc.), des répondants envers chacune de ces technologies lors de neuf étapes : la réservation du billet d'avion, l'enregistrement, le dépôt du bagage enregistré, le passage des contrôles de sécurité, le passage aux frontières, l'attente pour l'embarquement, l'embarquement, le vol et l'expérience à bord, et enfin la récupération des bagages.
Enthousiastes, optimistes, nostalgiques ou sceptiques
En moyenne, le parcours passager est aujourd'hui digitalisé à hauteur de 55%, avec notamment 90% des réservations de billets effectuées en ligne et 80% des passagers qui s'enregistrent en ligne. Les contrôles de sécurité suscitent le plus d'anxiété (31%), ainsi que la récupération des bagages (30%) et l'enregistrement des bagages (27%), tandis que, paradoxalement, les passagers sont les moins stressés pendant le vol (17%), faisant confiance à l'avion et au pilote. La reconnaissance faciale, quant à elle, est plutôt bien perçue car rassurante.
L'étude segmente les passagers en quatre groupes principaux : les enthousiastes (19,5%) et les optimistes (45%) qui perçoivent la digitalisation comme une avancée positive, et les nostalgiques (25%) et les sceptiques (10,5%) qui montrent des niveaux de stress plus élevés et une préférence marquée pour les interactions humaines lors de leur voyage.
« Bien que la majorité des répondants reconnaissent les bénéfices apportés par la digitalisation, comme l'efficacité et la personnalisation du parcours, 35,5% des répondants rejettent la digitalisation de l'expérience client, en la considérant comme une régression, détaille Paul Chiambaretto. Ces passagers évoquent la peur de faire des erreurs et le stress lié aux technologies digitales comme principales sources de leur résistance. »
« Attention au risque d'exclusion »
Un techno-stress qui se combine souvent au stress du voyage en avion : « Nous ne sommes pas véritablement surpris par ces chiffres mais nous y voyons une manière de mettre panneau "attention" pour que la digitalisation du transport aérien ne devienne pas un facteur d'exclusion d'un certain nombre de passagers, pointe le directeur de la chaire Pégase. D'autant qu'on observe un vieillissement de la population et que l'on sait que ce sont les plus âgés qui ont tendance à souffrir de techno-stress plus encore que de la peur de l'avion ».
L'étude révèle que plus un passager est stressé, moins il verra cette digitalisation du transport aérien comme une source de progrès. De la même manière, il apparaît que les passagers aériens les moins éduqués et les plus modestes peuvent se retrouver en difficulté face à ces innovations : « Moins un passager prend l'avion et plus ce techno-stress augmente, le passager ayant une méconnaissance des technologies qui lui sont imposées sur son parcours », souligne Paul Chiambaretto, qui fait observer que le genre n'a pas d'impact significatif sur le techno-stress.
L'importance du contact humain
Pour contrer les effets négatifs du stress d'un voyage en avion combinés au techno-stress, la chaire Pégase préconise notamment de faire coexister numérique et humain. Car l'étude relève un paradoxe : malgré 66% de bonne appréciation de la digitalisation, 66% des répondants expriment le souhait d'avoir davantage d'interactions humaines à l'aéroport ou à bord de l'avion.
« D'où l'importance de maintenir un contact humain, insiste Paul Chiambaretto. Dans l'aéroport, les passagers regardent les écrans d'affichage mais préfèreraient demander à quelqu'un, tout comme certains sont embarrassés quand ils sont en difficulté sur une borne d'enregistrement et qu'ils ont l'impression de retarder tout le monde ! Il ne faut pas attendre qu'un passager vienne demander de l'aide, ce qui est ressenti comme de l'embarras technologique voire de la honte, mais qu'un agent de l'aéroport vienne spontanément lui en proposer... Les aéroports et les compagnies aériennes doivent renforcer formation sur l'identification des passagers les plus vulnérables et former leurs personnels à aller les voir de façon proactive. Ce qui pose un défi supplémentaire : celui de l'attractivité de ces entreprises pour recruter du personnel, en particulier en Ile-de-France, qu'on avait déjà mis en évidence sur la génération Z il y a deux ans. »
* L'étude s'appuie sur un échantillon représentatif de 1.022 passagers aériens français, la collecte des données ayant été réalisée entre le 20 et le 29 mars 2024.
** La Chaire Pégase bénéficie du soutien d'Air France, du Groupe ADP, de Predictive Mobility, de l'Aéroclub de France, de France Spectacle Aérien et d'Aéroport le Mag pour le développement et la diffusion de ses recherches.
L'étude a permis de noter huit innovations. Les écrans à bord des avions permettant de choisir un repas sont les plus plébiscités (4,18/5). Viennent ensuite trois innovations digitales relativement bien acceptées (principalement pour le gain de temps qu'elles autorisent) : le déploiement des scanners CT/3D permettant de ne pas avoir à sortir les affaires de sa valise (3,79), le passage à la frontière automatisé (3,80) et le recours à des étiquettes bagages permettant de suivre sa valise (3,84). Les bornes d'enregistrement en libre-service sont relativement bien tolérées (3,44), mais c'est moins le cas pour celles permettant de déposer ses bagages de manière autonome (3,18). Quant au scanner à reconnaissance faciale permettant d'embarquer plus vite, il est plutôt bien accepté (3,46), contrairement aux robots informatifs qui semblent mettre les passagers mal à l'aise (3,22).Les technologies les mieux (et moins bien) notées
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