Comment les festivals d’Occitanie se verdissent

Avec l’été arrive la période très attendue des festivals, dans un climat économique qui fait plutôt grise mine, entre hausse des coûts généraux, cachets d’artistes mirobolants et subventions en baisse. Malgré tout, certains font le pari de défendre des valeurs environnementales fortes, s’engageant avec ferveur dans la décarbonisation du secteur de la culture. Décryptage des enjeux comme des difficultés avec trois événements culturels engagés dans le Gard et l’Hérault : le festival de Thau, le festival Émergences et le 2030 festival.
Le festival de Thau, qui se déroule jusqu'au 23 juillet sur le port de Mèze et autour du bassin de Thau, se revendique « événement éco-responsable ».
Le festival de Thau, qui se déroule jusqu'au 23 juillet sur le port de Mèze et autour du bassin de Thau, se revendique « événement éco-responsable ». (Crédits : Festival de Thau)

Être à la fois un festival populaire et un événement écolo, est-ce vraiment possible ? Une question d'autant plus d'actualité que sont pointés du doigt de gros événements musicaux comme le Hellfest qui, avec environ 240.000 festivaliers en quatre jours, fait de la ville de Clisson (Loire-Atlantique) le site le plus consommateur en énergie de France. Début juin, le festival I We Love Green, qui se revendique "vert", créait quant à lui la polémique en faisant venir 95.000 personnes dans le bois de Vincennes en pleine période de reproduction des oiseaux... Qu'en est-il en Occitanie ?

Pour la deuxième année consécutive, le média en ligne Vert publie une cartographie des festivals écolos et indépendants en France, soulignant à l'occasion la nécessité de surmonter les contradictions du secteur.

 « Rassembler des milliers de personnes en un seul point n'est jamais anodin, peut-on lire dans l'article publié par le média Vert. Selon comment ils sont conçus, ces festivals peuvent être des énormes machines à CO2 et à déchets. En outre, certains sont aussi des mannes pour les ogres de l'industrie médiatique, comme Vincent Bolloré. »

Sur cette carte, quelques festivals d'Occitanie seulement, qui se revendique pourtant comme « la région aux 1001 festivals » : le festival Émergences dans le Gard, le festival itinérant Convivencia le long du canal du Midi, le festival de Mourèze, le Festival de Thau et le 2030 Festival dans l'Hérault, le festival Détours du Monde  en Lozère, L'Ecaussystème dans le Lot. Comment ces festivals réussissent-ils à verdir là où d'autres échouent ? Est-ce durable ?

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Festival de Thau : pionnier de la culture durable

La 33e édition du festival de Thau se déroule jusqu'au 23 juillet sur le port de Mèze et autour du bassin de Thau, donnant à entendre des artistes venus des quatre coins du monde. Les berges de la lagune de Thau, sur lesquelles il s'installe, sont aussi fragiles que menacées. Fondé en 1991, le festival l'affirme pourtant haut et fort être un « événement éco-responsable ».

Sa démarche : Dès 2013, l'événement a mis en place un Agenda 21, puis la certification ISO 20121 "management responsable des événements". L'année suivante étaient lancés les Éco-dialogues, des rencontres grand public autour de thématiques éco-citoyennes engagées (cette année, "L'eau, source de toute vie"). En 2022, le festival de Thau participait à la création du cahier des charges du label régional Événements Détonnants (voir encadré).

Ses engagements : Pionnier dans sa démarche écologique, le festival du Thau se prépare naturellement à passer au niveau 2 du label Événements Détonnants. Soit pas moins de 70 critères d'éco-responsabilité à mettre en place, de la gestion des déchets à l'alimentation en passant par la préservation des ressources. Et la mobilité : des navettes fluviales sont déployées entre Sète et Mèze, la plateforme de covoiturage Mobicoop est mise en avant... Le festival de Thau participe aussi à la phase-test de deux dispositifs nationaux.

« Porté par la Fédération des lieux de musique actuelle et par le Syndicat des musiques actuelles, Déclic vise à réduire l'empreinte environnementale de la filière des musiques actuelles, détaille Stéphane Herb, coordinateur Développement durable sur le festival de Thau. 18 structures ont été sélectionnées pour effectuer des bilans carbone, dont 5 festivals, nous sommes les seuls en Occitanie. Nous avons aussi été sélectionnés par l'initiative Festival en mouvement lancée par le collectif R2D2, un projet national autour de la mobilité dans les festivals, le déplacement du public et des artistes étant un des gros points noirs de la culture. »

Le coût supplémentaire du respect du cahier des charges du label régional est encore « en cours d'évaluation » pour l'édition 2023 (budget total d'environ 600.000 euros) qui se targue d'être « subventionné à hauteur d'environ 35% seulement ».

Ses projets : Persuadé qu'il est important de dialoguer pour avancer, le festival de Thau organise le 21juillet une journée professionnelle sur l'éco-responsabilité événementielle à destination des acteurs de la culture d'Occitanie.

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Émergences : l'eau pour mémoire d'un territoire

Émergences, le festival de l'eau se déroulera du 8 au 10 septembre à Aramon (Gard). Il a été créé en 2022 par Sabine Châtel, productrice de musiques du monde et spécialiste des musiques arabes, faisant écho à un événement qui a traumatisé les habitants du Gard : les inondations meurtrières de 2002, qui ont fait cinq victimes dans le village d'Aramon.

« J'était persuadée qu'il y avait matière à proposer un festival musical qui parle d'eau et de transition écologique, insiste celle qui voyage depuis vingt ans entre l'Europe et le Moyen-Orient. Je voulais relier le domaine musical avec mes questionnements sur l'eau. »

Sa démarche : En 2021, la productrice a participé à la mini-convention climat lancée par Zone Franche, réseau associatif autour des musiques du monde, ce qui a donné lieu à un rapport listant 140 propositions pour aller vers plus d'éco-responsabilité.

Ses engagements : Sabine Châtel s'est inspirée de ces référentiels pour créer son festival, tout en participant à la phase test du label régional Événements détonnants. Pour cette deuxième édition, l'événement se déroule dans le village sans installation d'infrastructure spécifique, les tables rondes se déroulent sur la place, les gens consomment dans les café et restaurants locaux, ce qui limite les déchets. Les concerts se déroulent dans l'enceinte du château, tout se fait en plein jour pour éviter une surconsommation d'énergie. Un partenariat est mis en place avec le festival Arabesques, lequel se déroule à Montpellier à la même période, pour faire venir des artistes ensemble. Des tables rondes sont organisées avec des spécialistes, notamment du Centre de l'eau de l'UNESCO de Montpellier.

Malgré tout, le budget actuel de 100.000 euros n'est pas tenable sur le long terme.

 « Il faudrait que l'on puisse atteindre 150.000 voire 200.000 euros pour rémunérer les équipes, faire des créations musicales, sortir du village..., reconnaît la fondatrice du festival Émergences. J'ai besoin du soutien des pouvoirs publics et du privé, sinon je vais m'essouffler humainement et financièrement. Le modèle est fragile, surtout si je reste sur l'idée de faire des concerts de 200 places. »

Ses projets : Il est prévu de déployer le covoiturage et le vélo - un vélo-bus est déjà à l'essai avec l'association Gard au vélo - et étendre le festival à la communauté de communes du Pont du Gard, territoire très rural autour d'Aramon. À terme, Sabine Châtel aimerait que les lieux accueillent « un centre de création autour des thématiques de l'eau et de la musique ».

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2030 : le festival engagé du futur

La première édition du 2030 festival s'est déroulée à Montpellier du 26 juin au 2 juillet dernier. Le résultat d'une rencontre de ses trois fondateurs : David Coste (agence de communication montpelliéraine Patte Blanche), Jean-Paul Deniaud (média culturel Pioche!), et Lucas Defossé (agence événementielle Pléiade). Le festival allie culture et écologie, son nom faisant directement référence à 2030, l'année visée par les 17 Objectifs de Développement Durable de l'ONU. Cette édition 2023 se veut surtout l'élan fondateur d'un festival conçu en « 8 éditions, 1 prologue, 6 actes, 1 dénouement pour amplifier et célébrer l'engagement ».

« 2030, c'est suffisamment loin pour rêver grand, suffisamment près pour voir une finalité, ce qui justifie de se mettre en mouvement, déclare David Coste. Notre intention est de générer de l'impact sur le territoire. Un festival c'est bien, mais les gens viennent surtout y faire la fête. Notre volonté est de mettre l'impact et l'utilité en premier plan. »

Sa démarche : Déterminé à être labellisé Événements détonnants, le festival veille de près à son impact carbone à tous les niveaux. Côté programmation, des personnalités comme le botaniste et biologiste montpelliérain Francis Hallé, la cheffe étoilée Nadia Sammut, ou l'artiste électro engagé Fakear.

« Il était important de fédérer au plus vite les écosystèmes et lancer la dynamique : notre intention est de générer de l'impact sur le territoire sans se substituer à l'intelligence collective des acteurs locaux », précise le directeur de l'agence Patte Blanche.

Ses engagements : Faute d'exemples à suivre, le modèle économique de la version 2024 du festival reste à créer. Le festival a été monté sans équipe dédiée, avec 20.000 euros, ce qui correspond à la billetterie, en tablant sur 1.000 entrées par soir de concert. Dès 2024, il est prévu que le festival soit financé non par la billetterie mais par « des actes d'engagement » : une personne ne pourrait venir à un concert que si elle a fait une fresque du climat, planté un arbre, ramassé des déchets, participé à une action sociale, etc.

« Si l'année prochaine, nous disposons de 5.000 places de concert, nous allons financer 5.000 actes d'engagement après de fondations d'entreprises et d'entreprises intéressées par cette démarche, détaillent les fondateurs du 2030 festival. Il serait cohérent de travailler avec une multitude d'entreprises locales, petites et grosses, avec des paniers de financement à partir de 100 euros. C'est un système de financement innovant, mais nous savons qu'il est possible d'avoir des tickets à 50.000 euros. De notre côté, nous leur fournirons des indicateurs d'impact. »

Ses projets : Les organisateurs souhaitent faire venir le parrain du festival, Rob Hopkins, initiateur du mouvement international des villes en transition. Et ouvrir au grand territoire de Sète-Montpellier-Lodève-Lunel. Tout en développant les interactions avec les professionnels et les structures locales.

« Nous voulons aussi mobiliser des entrepreneurs tournés vers une économie au service de l'environnement, affirme David Coste, co-fondateur du 2030 festival. En 2024, nous allons proposer des parcours axés sur l'inspiration et l'ouverture des imaginaires tout en mettant en place des parcours d'accompagnement autour de l'économie régénérative. Et contribuer à inventer les entreprises de demain ! »

Le label écolo que les festivals d'Occitanie attendaient

Événements Détonnants est un tout nouveau label régional des événement éco-responsables en Occitanie. Porté par l'association toulousaine Elémen'terre, il est co-construit par plusieurs structures d'Occitanie, dont le festival Émergences, le festival de Thau, Paloma, Le Printemps des Comédiens...

L'objectif : inciter les événements culturels, sportifs ou de loisir à s'inscrire une démarche éco-responsable globale. Il a été officiellement lancé en mars 2023, après un an d'expérimentation auprès de 7 événements : Festival de Thau, et What a trip ! Festival dans l'Hérault, Détours du monde en Lozère, Watt the Funk et Emergences dans le Gard, Ecaussystème dans le Lot et Toulouse les Orgues en Haute-Garonne.

La labellisation se fait en cinq étapes pour un label structuré en neuf enjeux : structurer sa démarche et progresser, respecter le site d'accueil, réduire l'impact des déplacement, limiter sa consommation de ressources, manger durable, tendre vers le zéro déchet, favoriser l'accueil de tous les publics, embarquer les publics dans la transition écologique, numérique responsable.

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