« A Montpellier, je ne vois pas comment on va faire avec le ZAN » (H. Moutouh, préfet de l’Hérault)

Démographie galopante et réglementation de construction de logements restrictive. ZAN (zéro artificialisation nette). ZFE (zone à faibles émissions). Loi littoral. Contexte inflationniste… Les sujets qui préoccupent la filière de l’acte de bâtir dans l’Hérault était évoqués par le préfet Hugues Moutouh lors d’un échange organisé par le Cobaty Montpellier Méditerranée, le 28 juin. Le représentant de l'Etat a parlé cash.
Cécile Chaigneau
Hugues Moutouh, préfet de l'Hérault.
Hugues Moutouh, préfet de l'Hérault. (Crédits : DR)

MAJ du 7 juillet 2022 : la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, répond au préfet (voir à la fin de l'article).

Alors qu'à Montpellier, la profession de l'acte de bâtir s'inquiète d'un contexte de construction contraint, le Cobaty Montpellier Méditerranée avait invité le préfet de l'Hérault, Hugues Moutouh, à échanger sur l'éternelle problématique centrale du territoire : comment concilier une démographie galopante et la nécessité de loger les habitants avec une réglementation toujours plus restrictive ? Dans le viseur : le zéro artificialisation nette (ZAN), l'urbanisme vertical, la loi littoral. Et une question : "Bâtir" est-il devenu un gros mot ?

  • « Vivre avec ce paquet législatif »

Interrogé sur la situation du gouvernement après les législatives, le préfet rappelle que « la réforme de la Constitution en 2008 a limité l'usage du 49.3 à trois utilisations : le budget, la loi de finances de la sécurité sociale et un autre texte, donc par législature, on ne peut utiliser qu'une fois le 49.3. Les moyens de contrainte, donc la rationalisation du travail parlementaire va être compliquée. Et s'il n'y a pas de loi, pas grand chose ne bouge et les matières les plus sensibles ne sont pas amendables. Ce qui signifie qu'il faudra vivre avec ce paquet législatif que vous connaissez ».

  • « Nous sommes terriblement endettés ! »

Le contexte géopolitique mondial actuel (guerre en Ukraine, problèmes d'approvisionnement, inflation, etc.) n'est pas non plus de nature à rassurer les entreprises, quelles qu'elles soient.

« Je suis assez pessimiste et les indicateurs sont préoccupants, confirme le représentant de l'Etat. On a déjà vécu des périodes d'inflation, mais venues progressivement, or là on a une déferlante inflationniste en quelques mois... Autre élément qui va impacter tout le monde : nous sommes terriblement endettés ! 2.900 milliards d'euros de dette publique. Bruno Le Maire a bien dit que la période du quoi qu'il en coûte, c'est fini... On a déjà pris des mesures pour amortir la hausse des prix de l'énergie. Pour les entreprises, beaucoup a été fait et je ne suis pas sûr qu'on aura encore des mesures d'assistance. »

  • ZFE : « C'est nécessaire »

Sur la métropole de Montpellier, la ZFE (zone à faibles émissions) entre progressivement en vigueur à compter de ce 1er juillet 2022, avec son lot d'interrogations et d'inquiétudes chez les particuliers mais aussi les professionnels.

« J'assume ma responsabilité en tant que préfet : la ZFE c'est la loi, rappelle Hugues Moutouh. C'est une obligation qui est fixée aux métropoles de réguler la circulation pour améliorer la qualité de l'air. D'autant que la France a été condamnée par la Cour de justice européenne à rapidement baisser les émissions de particules fines et de dioxyde d'azote, avec une astreinte de 10 millions d'euros par semestre si on ne faisait rien... A Montpellier, on est sur une entrée progressive, pour une dizaine de communes jusqu'en 2026 et toutes en 2028. C'est nécessaire. »

  • ZAN : « Je demande à mes services d'avoir une approche pragmatique »

L'Occitanie est l'une des régions les plus dynamique en matière de démographie. Alors que la loi Climat et Résilience impose le fameux "zéro artificialisation nette" (ZAN) à horizon 2050, demandant d'abord aux territoires de baisser de 50% d'ici à 2030, et que l'ancienne ministre du logement Emmanuelle Wargon avait sévèrement critiqué le modèle du pavillon, les acteurs de la construction s'interroge sur l'équation à résoudre : loger plus de monde sur un foncier de plus en plus contraint.

« Concernant le ZAN, j'applique la loi avec le plus d'intelligence et de bienveillance possible parce que ça me semble complètement fou, lance le représentant de l'Etat. On a un sérieux problème car la population française ne cesse de croître. Or il est un débat qu'on pourrait avoir : cette course démographique est-elle viable et bonne pour la planète, surtout dans un département comme l'Hérault, 3e en France pour son attractivité. L'Occitanie sera plus peuplée que les Hauts-de-France en 2050 et la métropole de Montpellier sera à 700.000 habitants en 2050... Le ZAN est justifié par la préoccupation de ne pas trop consommer de terres agricoles. Dans l'Hérault, on consomme historiquement plus qu'ailleurs, sauf que depuis dix ans, on est plutôt bons élèves car on a fait beaucoup d'efforts, surtout depuis 2017. Le ZAN est un objectif. J'ai décidé d'avoir une lecture dynamique du principe : ce qui m'intéresse ce n'est pas tant les chiffres que le mouvement. Il y a des Scot (schéma de cohérence territoriale, NDLR) en discussion et je souhaite qu'on ferme le dossier. Les négociations ont duré des années, ça crée une paralysie, il faut en finir. On n'est pas à - 50%, on est entre - 30 et - 35%, c'est bon. Je demande à la DDTM (direction départementale des Territoires et de la Mer, NDLR) d'avoir une approche pragmatique. »

  • « C'est inéluctable, c'est une ville durable qui se met en place »

Le pendant du ZAN, c'est de construire la ville sur la ville et de favoriser la densification. Un concept pas toujours bien perçu, dont l'acceptabilité sociale est parfois complexe à obtenir.

« Le ZAN conduit à un modèle de ville dense, de ville verticale : on va faire pousser des immeubles, donc on change la qualité de vie des gens, confirme le préfet. Or il n'y a pas de débat démocratique clair sur ce sujet qui concerne la vie des gens. Le pavillon incarne l'étalement des villes. La ville durable, la ville du quart d'heure est une vision très bobo, et c'est l'idéal type de la ville de demain pour une bonne partie de l'administration qui fait les textes... Mais c'est inéluctable : c'est une ville durable qui se met en place. A Montpellier, la ZAC est reine, le PLUI va arriver fin 2023, avec la réponse à toutes vos questions. Mais effectivement, on est sur une zone de tension énorme, avec déjà un stock de retard et je ne vois pas comment on va faire avec le ZAN... »

  • « L'axe Montpellier-Lunel me semble une nécessité »

Le maire de Montpellier et président de la Métropole, Michaël Delafosse, a initié un rapprochement entre la capitale languedocienne et deux de ses voisines, Frontignan et Lunel. Son objectif : rééquilibrer le territoire et répartir la pression démographique qui pèse principalement sur Montpellier aujourd'hui. Parce que Lunel et Frontignan sont à un quart d'heure de TER de Montpellier, les élus prônent une coopération territoriale à trois voix, faisant fi des limites administratives et des anciennes compétitions entre communes voisines pour attirer habitants et activité économique.

« Il y a des solidarités entre les territoires, un premier contrat de coopération a été signé dans l'Hérault et il y en aura d'autres, déclare Hugues Moutouh. Faut-il construire dans ces villes moyennes autour des pôles d'échange multimodaux ? Il y a une théorie d'urbanisme qui s'appelle les métropoles linéaires : on construit le long des axes, on fait des corridors métropolitains. L'axe Montpellier-Lunel me semble une nécessité, car sur la métropole, on arrive presque au bout du bout de ce qu'on peut faire. On voit bien qu'avec des projets comme la Med Vallée, qui va générer de la croissance et donc des besoins de foncier, on est sur des injonctions paradoxales avec le ZAN. Cela signifie qu'il faut de l'agilité politique... L'idée, c'est que  les gens qui viennent pour s'installer dans la métropole puissent être orientés vers Frontignan par exemple, où il y a du foncier disponible. »

  • Des villes nouvelles ? « Plutôt une métropole nouvelle »

Faudrait-il envisager de construire des villes nouvelles ?

« J'adore le concept car c'est une politique ultra volontariste du territoire qui demande de la vision, répond le préfet de l'Hérault. Est-ce que ça pourrait être une solution ? Pas sous la forme des villes nouvelles des années 1960-1970 mais plutôt autour de cette notion de métropole linéaire avec un continuum urbain. On pourrait parler de métropole nouvelle, différente : Lille-Roubaix-Tourcoing ou Aix-Marseille sont de vraies métropoles, Montpellier non. Il n'y a pas de façade maritime alors que Montpellier devrait être "la" métropole méditerranéenne par excellence ! Si on va au bout de la logique théorique, il faudrait gagner sur le sud-est et le Pays de l'Or, ce qui permettrait d'intégrer l'aéroport. Par ailleurs, on peut aussi imaginer s'étendre vers l'ouest avec Sète et avoir un port. On monterait à 350.000 habitants... »

Le représentant de l'Etat en profite pour souligner son incompréhension sur le port de Sète : « C'est le seul port en eau profonde en Méditerranée... Je suis sidéré par le manque d'attention financière de tous les acteurs, l'Etat et la Région. C'est un outil extraordinaire sur lequel on n'investit pas suffisamment ».

Existe-t-il un  dispositif pour inciter les présidents des agglomérations à se mettre autour d'une table pour opérer un rapprochement administratif ?

« La loi peut permettre aux préfets de forcer la main mais les mariages forcés ne sont pas toujours des réussites... Mais tout ça est spéculatif car ce n'est pas dans les tuyaux », veut rassurer le préfet.

  • Loi Littoral : « On est face à une vache sacrée »

La loi Littoral limite l'urbanisation des côtes et certains aimeraient des assouplissements. Qui ne sont pas prêts d'advenir, si l'on en croit le représentant de l'Etat.

« C'est devenu impossible, aujourd'hui on est face à une vache sacrée ! Personne ne reviendra sur la loi Littoral... Concernant l'habitat flottant, il y a un projet à Agde pour lequel nous avons réussi à débloquer le dossier avec Gilles d'Ettore (maire d'Agde, NDLR) avec la réutilisation d'une friche et la possibilité de mettre de l'habitat flottant fluvial. Mais Paris me dit que c'est trop risqué, que la réglementation ne le permet pas alors que de l'habitat flottant maritime a été obtenu à Gruissan. J'en ai parlé à Jean Castex, qui, juste avant de démissionner de son poste de Premier ministre, a signé un courrier officiel pour dire que c'était une bonne idée. Maintenant il faut aller voir le secrétaire d'Etat à la Mer pour obtenir une expérimentation... »

Carole Delga répond au préfet


  • La Région Occitanie s'étonne fortement des propos tenus par M. le préfet Hugues Moutouh au sujet du port de Sète, rapportés par La Tribune dans son édition du 29 juin 2022. Dans un courrier adressé au préfet suite à la publication de cet article, la présidente de la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, Carole Delga, rappelle qu'il s'agit « d'un port transféré de l'Etat à la Région en 2007 qui fait l'objet, depuis 15 ans, d'un effort sans précédent de la collectivité régionale. Aux côtés de l'établissement public régional Port Sud de France (EPR), 256 millions d'euros ont été investis depuis 2008 dont 159 millions d'euros de la Région, et 97 millions d'euros de Port Sud de France. A ces investissements s'ajoute un montant comparable, 233 millions d'euros exactement, de financement des entreprises privées présentes sur le port. La dernière étude sur le port dénombre 5.600 emplois directs, indirects et induits ce qui place cet acteur comme le 1er acteur privé du bassin de Thau ».

  • La présidente rappelle également au préfet les nombreux investissements réalisés tels que le quai H long de 470 m et d'un tirant d'eau de 14,5 m, inauguré en 2016 ; l'investissement de 100 millions d'euros réalisé par le groupe BP pour créer dans le port un nouvel appontement pétrolier, investissement facilité par un casier construit par la Région ; ou encore le projet stratégique en cours de verdissement du port avec, par exemple, la couverture de tous les bâtiments de panneaux photovoltaïques (le port produit deux fois sa consommation), ou le chantier majeur engagé pour le branchement à quai des navires.

  • Si elle partage totalement son avis sur le très fort potentiel du port de Sète, la présidente rappelle au préfet « les courriers lui ayant été adressés ainsi qu'à son prédécesseur afin que les moyens de l'Etat suivent cette évolution de l'activité économique du port, notamment dans les effectifs de la capitainerie, des douanes et de la police aux frontières qui sont aujourd'hui, malheureusement, des facteurs limitants à son développement ».

  • Carole Delga souligne enfin « la transformation du port depuis 15 ans, transformation qui fait aujourd'hui du port de Sète le plus important en tonnage des ports décentralisés en 2007 » et invite le préfet à « échanger avec les équipes régionales des voies et moyens pour envisager un appui renforcé de l'Etat dans les années à venir ».

Cécile Chaigneau

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