A Montpellier, l'Américain Alec Ross assure que "le futur qui nous attend, c’est celui que nous choisissons"

La conférence inaugurale du cycle proposé par la toute nouvelle Cité de l’économie et des métiers de demain, à Montpellier, a interrogé le futur, les capacités d’adaptation de l’économie et le devenir de la région Occitanie dans le nouveau contexte créé par la pandémie mondiale du Covid-19. Autour de la table, plusieurs guest-stars : Alec Ross, Pascal Pick ou Edgar Morin.
Cécile Chaigneau
Alec Ross, à la Cité de l'économie de Montpellier le 9 septembre 2020.
Alec Ross, à la Cité de l'économie de Montpellier le 9 septembre 2020. (Crédits : Cécile Chaigneau)

Créée par la Région Occitanie, la Cité de l'Économie et des métiers de demain a vocation à explorer le futur, accompagner les mutations et à accompagner concrètement les entreprises dans leur transformation, pour créer les emplois de demain dans la région. Alors qu'elle ouvre ses portes en ce mois de septembre 2020, elle lance une série de conférences dans le cadre de ses programmes "Longue-Vue", des ateliers et keynotes, qui ambitionnent de décrypter les grandes mutations économiques et sociétales.

La première avait lieu le 9 septembre et posait une simple mais vaste question directement liée à la situation de pandémie et de crise sanitaire mondiales : « Et demain ? » : alors que tout est devenu plus incertain, comment construire de nouvelles formes d'adaptation et de progrès, innover & réduire les fractures sociales ? Comment les entreprises peuvent-elles s'adapter, pivoter et rebondir ?

« Passera-t-on la main aux robots ? »

Alec Ross, expert en politique technologique, conseiller Innovation auprès d'Hillary Clinton sous l'administration de Barack Obama, a lancé le débat en citant Pablo Picasso : « Tout acte de création est d'abord un acte de destruction », illustrant son propos en listant tout ce que le développement des nouvelles technologies, notamment le smartphone, avait simultanément fait disparaître.

« Dans le contexte Covid, la première évolution que nous constatons est l'accélération autour de l'intelligence artificielle, de la robotique, qu'on pensait arriver dans cinq ans et qui arrivera dans les deux ans, déclare celui qui est aussi l'auteur de Industries of the future (The New York Times, 2016) et enseignant à John Hopkins University. Aujourd'hui, on dénombre 30 milliards de dispositifs réseaux dans le monde, soit 4 fois plus qu'il n'y a de personnes sur terre ! Dans cinq ans, on sera à 75 milliards... Si l'histoire de la numérisation des 25 dernières années a porté sur les systèmes d'information et de communication, la prochaine vague sera la modernisation des industries traditionnelles. Mais alors passera-t-on la main aux robots ? Je ne pense pas. Ce sera à nous de dire aux machines ce qu'elles doivent faire en utilisant notre créativité, notre intelligence émotionnelle. C'est pour ça que tous nos enfants doivent apprendre à coder ! Les plus résilients seront ceux qui savent combiner la technologie avec les arts, l'histoire, la compréhension de la psychologie comportementale, etc. »

Pascal Picq, paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France, et auteur notamment de L'intelligence artificielle et les Chimpanzés du FuturUne époque formidable, et Sapiens face à Sapiens, rappelle que « nous sortons de 60 ans de progrès comme jamais mais nous devons nous adapter et repenser nos modèles, ne pas vivre sur les adaptations du passé mais construire les adaptations au futur. Avec la "mondialisation heureuse", jusqu'au Covid, on considérait que le seul modèle était celui du libre-échange et du capitalisme. Mais le Covid a frappé le plus durement les personnes et les sociétés les plus fragiles ou inégalitaires. [...] La mondialisation va nous poser des problèmes car on a délocalisé les productions de base, ça nous a frappé de plein fouet avec la crise du Covid. En 2019 en Europe, le Forum de Davos a sorti le terme d'"écosystème" dans le monde du business. On ne peut plus faire du business sans tenir compte des externalités négatives ou positives, il faut trouver un modèle écosystémique ».

« Notre R&D s'est littéralement transformée »

Plusieurs acteurs économiques régionaux sont venus témoigner des moyens qu'ils ont mis en œuvre pour traverser la tempête sanitaire et économique actuelle.

« Notre métier est de fournir des outils pour voir en replay des actions dans les enceintes sportives, rappelle Christophe Carniel, fondateur-dirigeant de l'entreprise Vogo à Montpellier. Notre activité est basée sur un important processus d'innovation. Dès mars, les équipes de Franck Molina, au CNRS, ont mis au point un test salivaire, et comme c'est un test colorique, il a pensé que Vogo pouvait apporter quelque chose. Notre R&D s'est littéralement transformée et on a mis seulement 3 mois pour faire ce transfert de technologie. Le test a obtenu le marquage CE et est aujourd'hui commercialisé à l'international, mais il est en attente d'homologation pour le mettre sur le marché en France, les essais cliniques sont en cours. La force de la PME, c'est d'être agile, et celle de la région d'être à la fois numérique et santé, ce qui permet aux choses d'aller vite. »

Un propos qui ravit Marie-Thérèse Mercier, conseillère régionale de la Région Occitanie et vice-présidente de l'Agence de développement économique Ad'Occ : « La région accompagne 8 000 entreprises. Là, ce sont 30 000 entreprises qui ont été accompagnées. La collectivité peut apporter des solutions à court terme, mais aussi imaginer des écosystèmes pluridisciplinaires. Un de ses rôles est de repenser les projets de réindustrialisation, de réinventer l'industrie traditionnelle, d'accompagner l'ensemble des projets de transformation dans tous les secteurs. C'est un rôle de planificateur et de stratège ».

Chez Zimmer Biomet Robotics (filiale du groupe américain Zimmer Biomet et fabricant de dispositifs robotiques d'assistance chirurgicale), la DG Marie-Anne Péchinot s'est d'abord occupée de la production « car il n'y a pas de télétravail possible. La R&D, elle, pouvait télétravailler mais elle a été ramenée sur site dès que possible car la dynamique de développement a besoin de collaboratif et de présentiel ».

« Définir votre propre contrat social »

« La région Occitanie doit-elle devenir prochaine Silicon Valley ?, demande Alex Ross. Non, elle doit réfléchir aux industries existantes sur son territoire et les adapter. Le futur qui nous attend, c'est celui que nous choisissons. Ne parlez pas toujours de Paris ou de Bruxelles, pensez à ce que vous pouvez faire seuls. Si vous voulez un modèle français reflétant les aspirations de votre région, il y a l'opportunité post-Covid de définir votre propre contrat social avec vos propres objectifs. »

« Chaque région a ses potentialités, avec ses jobs à créer autour de l'écologie, de l'environnement et du social, renchérit Pascal Pick. On ne doit pas copier d'autres régions. L'Occitanie a la chance d'avoir deux pôles d'innovation autour de Toulouse et de Montpellier, qui ne sont pas les mêmes, l'un autour de l'aéronautique, l'autre autour des biotechnologies. Il ne faut pas jouer contre l'autre ! Le rôle d'une Région est de créer des structures comme la Cité de l'économie car l'innovation, c'est réunir des compétences différentes. Dans un écosystème, ce qui est intéressant, c'est la co-évolution. Le monde change très vite mais nous avons beaucoup de potentialités et les solutions sont connues, par exemple les énergies alternatives. Il faut sélectionner ce qui existe déjà. »

Edgar Morin, sociologue et philosophe, et parrain (à distance) de ce premier événement de la Cité de l'Economie, évoque « un processus de régression généralisé sur la planète » mais délivre un message d'espoir : « Nous avons aussi des forces considérables d'innovation et de résistance créatrices ».

La vidéo de ces échanges sera accessible en replay sur notre site à compter du 10 septembre sur ce lien.

Cécile Chaigneau

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