Assurance et climat : « Le changement climatique a rendu caduques les outils financiers robustes utilisés jusqu’à présent »

Les épisodes météorologiques extrêmes se multiplient, entraînant d’importants dégâts et donc un impact financier conséquent. Les compagnies d’assurance s’inquiètent, notamment sur le volet agricole, et les six premiers mois de l’année 2022 ne sont pas de nature à les rassurer… Predict Services, entreprise héraultaise spécialisée dans la gestion du risque météorologique, travaille avec bon nombre d’entre elles. Son président, Alix Roumagnac, évoque notamment l’expérimentation en cours avec 4.000 agriculteurs pour anticiper les coups de chaud ou de froid, modifier les pratiques et ainsi limiter l’impact météorologique.
Cécile Chaigneau
Alix Roumagnac, président de Predict Services, expérimente la prévention des coups de chaud ou coups de froid en alertant une base de données de 4.000 agriculteurs dans l'Hérault.
Alix Roumagnac, président de Predict Services, expérimente la prévention des coups de chaud ou coups de froid en alertant une base de données de 4.000 agriculteurs dans l'Hérault. (Crédits : DR)

La problématique est de plus en plus prégnante : le nombre de catastrophes générées par les aléas climatiques explose et les compagnies d'assurance tirent la sonnette d'alarme, prévenant que les dommages liés aux sécheresses, aux incendies ou à la montée des eaux seront de plus en plus difficiles à couvrir.

Et l'année 2022  pourrait bien être emblématique du sujet. Chutes de grêle, orages, rafales de vent, foudre,... Depuis le début de l'année, les épisodes climatiques extrêmes s'enchaînent. Des aléas qui vont coûter aux assureurs quelque 3,9 milliards d'euros en indemnisations, a annoncé l'association France Assureurs le 12 juillet dernier (1,07 milliard d'euros pour les dégâts sur les habitations, 1,08 milliard pour ceux sur les automobiles, 190 millions pour ceux sur les biens professionnels et 80 millions pour ceux sur les biens agricoles). Soit « un coût sans précédent sur les vingt dernières années », qualifie France Assureurs.

2022, année charnière

D'autant qu'en ce début d'été, c'est maintenant une canicule inédite qui affecte le pays par épisodes.

« Un dôme de chaleur s'est installé sur l'ouest de l'Europe et les gaz à effet de serre font augmenter les températures plus rapidement, explique Alix Roumagnac, le président de Predict Services, entreprise héraultaise spécialisée dans la gestion du risque météorologique (dont le capital est détenu par Airbus, Météo France et BRL). La dépression au large du Portugal a poussé vers la France l'air très chaud en provenance de l'Afrique du Nord. C'est ce qu'on appelle une plume de chaleur, qui est arrivée par-dessus le dôme... »

L'expert confirme la dimension "exceptionnelle" de l'année 2022 du point de vue météorologique : « 2022 est une année charnière car il y a tout : les canicules précoces de juin, les orages de grêle avec des grêlons gros comme des boules de pétanque, une nouvelle canicule à la mi-juillet qui a touché l'ensemble du territoire national, forte, avec des records de températures, et longue. Notre constat, c'est une multiplication des événements qui va beaucoup plus vite que tout ce qu'on a pu imaginer ! »

Et Alix Roumagnac prévient : avec une Méditerranée à 28 ou 29°, il est illusoire de penser éviter les épisodes cévenols à l'automne, à l'origine de pluies violentes...

« Les assureurs n'ont jamais vu ça »

Au-delà du risque sur les populations les plus vulnérables, l'agriculture est l'une des premières victimes du changement climatique, frappée par des épisodes de grêle ou de sécheresse dévastateurs. D'où l'inquiétude des assureurs.

Pour faire face à ces aléas climatiques de plus en plus récurrents, la profession attend l'entrée en vigueur, en janvier 2023, de la loi du 2 mars 2022 sur l'assurance-récolte, visant à instaurer un régime universel d'indemnisation reposant sur la solidarité nationale - qui interviendrait au-delà d'un certain seuil de pertes - et donc le partage du risque entre l'État, les agriculteurs et les assureurs. Objectif : mieux couvrir les agriculteurs contre ces risques. Des discussions sont en cours pour déterminer les niveaux des franchises ou seuils à partir desquels les différentes prises en charge se déclencheront.

Predict Services travaille avec les compagnies d'assurance depuis sa création : Groupama, Pacifica, Generali, Axa, L'Abeille, Aviva, Alliance, etc.

« C'est un texte qui va dans le bon sens, commente Alix Roumagnac. Il y a une prise de conscience du monde de l'assurance, et toutes les compagnies sont dans une démarche de prévention... Les assureurs n'ont jamais vu ça ! Le changement climatique a rendu caduques les outils financiers normalement robustes utilisés jusqu'à présent. Et ça pose la question de l'assurabilité au sens large, et notamment agricole. Predict Services compte aujourd'hui 20 millions de numéros de téléphone dans sa base de données - que ce soit des communes, des professionnels ou des particuliers - qui reçoivent nos sms sur les différents niveaux d'alerte. Parmi eux, il y a ceux des agriculteurs, mis à disposition par les compagnies d'assurance qui travaillent avec nous. »

Un projet pilote pour les coups de chaud ou de froid

La succession d'épisodes météorologiques à haut risque pour les cultures bousculent les pratiques agricoles.

« Quand il y a eu la canicule de 2019, avec des températures très élevées, la chaleur juste après les traitements au soufre avait tout brûlé, raconte Alix Roumagnac. Les agriculteurs ont demandé si les pics de chaleur étaient prévisibles : aujourd'hui, oui. Nous avons donc lancé un projet pilote, Agri Predict, avec la Chambre d'agriculture de l'Hérault. Il prévoit l'envoi de sms en cas de coup de chaud ou de coup de froid quelques jours avant, de manière à ce que les agriculteurs évitent par exemple un traitement au soufre, de passer tracteur ou de tailler, autant d'actions qui peuvent avoir un impact en cas de chaud ou de froid intense. »

Ce projet a embarqué 4.000 agriculteurs de l'Hérault et est en train de se mettre en place également en Gironde.

« Les résultats sont positifs et on va voir comment le dispositif pourrait être déployé sur d'autres territoires, indique Alix Roumagnac. C'est au départ une demande de la chambre d'agriculture, mais il y a convergence d'intérêt avec les assureurs. Ce projet est d'ailleurs cofinancé par Groupama. »

Si l'entreprise héraultaise n'a pas été sollicitée pour réfléchir aux contours de la réforme de l'assurance-récolte, elle fait valoir la méthodologie, baptisée Ecosie, qu'elle a mise au point pour mesurer les coûts des sinistres économisés par son action.

« En 2021, l'estimation des sinistres évités est de 62,2 millions d'euros en fourchette basse et de 83,7 millions d'euros en fourchette haute, précise ainsi Alix Roumagnac. En 2019, on était même entre 117 millions et 270 millions d'euros économisés... »

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.