Transmission d’entreprises : dans l’Hérault, « plus de repreneurs que de cédants »

Dans un contexte de crises multiples, et malgré une réalité de chiffres difficile à saisir, le marché de la cession/reprise d’entreprise semble afficher une certaine dynamique dans l’Hérault. Toutefois, les professionnels qui accompagnent les démarches des cédants et des repreneurs alertent sur certaines difficultés qui compromettent les cessions (par exemple les capacités financières des repreneurs réduites par la hausse des taux d’intérêt) et sur la nécessaire agilité exigée des dirigeants aujourd'hui autour du business modèle de leur entreprise, chahuté par ces crises. Analyse.
Cécile Chaigneau
Le Réseau Entreprendre Occitanie Méditerranée souligne que « le marché de la cession d'entreprise est majoritairement caché, le chef d'entreprise ayant peu d'intérêt à ce que ça se sache et que ça inquiète les salariés, les fournisseurs ou les clients ».
Le Réseau Entreprendre Occitanie Méditerranée souligne que « le marché de la cession d'entreprise est majoritairement caché, le chef d'entreprise ayant peu d'intérêt à ce que ça se sache et que ça inquiète les salariés, les fournisseurs ou les clients ». (Crédits : DR)

Le 6 décembre dernier avait lieu la traditionnelle Place créative, événement dédié à la création d'entreprise et organisé par la CCI de l'Hérault. L'occasion de dresser un état des lieux du marché de la transmission d'entreprise.

Selon les chiffres-clés 2023 de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi du travail et des solidarités (DREETS) Occitanie, la région a enregistré 35.342 créations d'entreprise (hors micro-entreprises) en 2022, dont presque 9.000 dans le commerce, les transports, l'hébergement et la restauration. La Haute-Garonne et l'Hérault pèsent à eux seuls 52,4% des inscriptions sur l'ensemble de l'Occitanie, soit 25.199 et 23.697 créations. Quid de la transmission d'entreprise ? Le premier frein à l'analyse de ce champ entrepreneurial, c'est un défaut de statistiques fiables notoires depuis des années...

La Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a récemment estimé à environ 250.000 le nombre d'entreprises à reprendre au cours des dix prochaines années en France. Dans son rapport d'activité 2022, la CCI Hérault, quant à elle, fait état de 181 rendez-vous d'accompagnement de futurs repreneurs, 53 rendez-vous avec des cédants et 20 cédants participant à des ateliers. Ce qui ne traduit absolument pas une réalité exhaustive mais juste la photographie de ceux qui sont venus toquer à la porte de la CCI pour être accompagnés.

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Un marché « majoritairement caché »

« Les chiffres de la transmission, c'est un serpent de mer, regrette Sylvie Fardin, conseillère experte « transmission » à la CCI de l'Hérault. A la CCI, il y a 50 à 100 cédants par an en moyenne qui viennent taper à notre porte avec des réalités diverses. Et il y a tous ceux qui ne viennent pas et ne sont donc pas comptabilisés ! Le réseau consulaire (chambre de commerce et chambre de métiers, NDLR) a son propre réseau d'affichage qui indique à ce jour 6.500 offres à l'échelle au niveau national, dont 850 dans l'Hérault, mais encore une fois, c'est sur la base de ceux qui sont venus nous voir donc ce n'est pas exhaustif ! Quant au site marchand de cession de PME cessionpme.com, plus ou moins leader sur son secteur, il indique 66.000 annonces au national, dont 2.300 dans l'Hérault... »

Gilles Capella, le directeur du Réseau Entreprendre Occitanie Méditerranée souligne que « le marché de la cession d'entreprise est majoritairement caché, le chef d'entreprise ayant peu d'intérêt à ce que ça se sache et que ça inquiète les salariés, les fournisseurs ou les clients ». En 2023, la structures aura accompagné 24 projets dont cinq reprises, notamment AB Métal à Béziers et Il était une fougasse à Aigues-Mortes.

Il faut donc se contenter de ces chiffres approximatifs*... En 2018, l'INSEE indiquait que « en Occitanie, 34.800 dirigeants non-salariés de PME, âgés de 55 ans ou plus, vont atteindre l'âge de la retraite dans les prochaines années et la question de la transmission de leur entreprise va se poser ». Avec, en toile de fond, les quelque 80.700 emplois qu'elles représentent, les zones urbaines concentrant 60% de ces emplois...

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« Une série d'angles d'attaque pour les acquéreurs »

La transmission/reprise d'entreprise subit elle aussi les effets de la crise inflationniste et continue d'enregistrer quelques stigmates de la crise sanitaire qui a précédé.

« Le secteur de l'habillement et du petit commerce en particulier sont particulièrement en difficulté, ainsi que le bâtiment et la promotion immobilière, ou encore l'hôtellerie-restauration, raconte Loïc Duffault, expert-comptable associé chez KPMG Partners, basé à Montpellier, vice-président du conseil régional de l'Ordre des experts-comptables Occitanie (président de la commission Entreprises et marchés). Certains dirigeants en ont marre et veulent vendre. D'autres le voudraient bien mais leur entreprise est en difficulté et le contexte compromet la cession... Les crises successives, avec notamment les difficultés d'approvisionnement ou de recrutement, ont créé une série d'angles d'attaque pour les acquéreurs et imposent une nécessité d'agilité accrue autour du business modèle qui a longtemps été statique : aujourd'hui, on demande aux dirigeants d'être agiles, de repenser leur structure de financement, de se challenger en matière de RSE, etc. Les acquéreurs ont un regard plus critique sur la résilience de l'entreprise. »

A la CCI Hérault, Sylvie Fardin confirme la tendance : « On voit davantage d'entreprises à vendre car les dirigeant en ont marre, et en face, des ex-salariés avec l'envie d'entreprendre qui arrivent sur le marché de la reprise, ce qui crée une bonne convergence. Mais pour les entreprises qui ont souffert de la crise sanitaire, les difficultés apparaissent maintenant et elles trouveront difficilement des repreneurs ».

« La réalité des plans de financement »

Chez les repreneurs en quête d'une entreprise à acheter, la démarche est rendue plus difficile en raison de l'augmentation des taux d'intérêt notamment qui réduit leurs capacités financières. Ce qui, selon Loïc Duffault, n'est pas de nature pour autant à décourager le candidat à la reprise : « Attention à ne pas se mettre de freins sur l'ingénierie financière car il existe une multitude d'outils pour boucler une acquisition, et le champ des possibles est plus large que ce que certains dirigeants imaginent ».

« L'Hérault est un territoire attractif avec un flux migratoire important, et je ne vois pas de diminution des candidats à la reprise, indique Sylvie Fardin. Il y a plus de repreneurs que de cédants, dans une proportion de 1 à 10, et actuellement dans notre portefeuille, sur 130 repreneurs actifs, on compte 10% de femmes, un apport moyen de 213.000 euros, un âge moyen de 47 ans. Ils ne cherchent pas d'activité en B2C ou un commerce, mais plutôt du négoce, de la production, du service, éventuellement du e-commerce. Ce qui peut retarder des deals, ça peut être la réalité des plans de financement : les entreprises sont moins rentables et endettées, donc les banques sont un peu frileuses, malgré cet apport moyen confortable. Mais la dynamique n'est pas cassée. Une entreprise à vendre qui affiche une trésorerie saine et une pérennité d'activité, et qui se situe dans les prix de marché trouvera en toute logique un repreneur. »

Gilles Capella témoigne toutefois d' « une première fois qu'un repreneur ne peut pas financer une reprise malgré un très gros apport à Perpignan », soulignant une problématique spécifique à Montpellier : « Il y a plus de repreneurs que de vendeurs et comme il n'y a pas grand chose à vendre, c'est plus cher... La crise sanitaire a inversé les volumes créations et reprises : avant, on avait 70% de créations et 30% de reprises sur le Languedoc-Roussillon, ça s'est inversé en 2020-2021, et aujourd'hui, on est revenu à la situation d'avant ».

* La Région pourrait détenir des chiffres, ou au moins des projections sur la base de l'âge des dirigeants d'entreprises, mais au moment où nous publions cet article, elle n'avait pas répondu à notre sollicitation.

Les cessions-acquisitions de PME en Occitanie, selon In Extenso

Selon l'étude « Régions & Transmission : panorama des cessions et acquisitions de PME » (opération dont le montant s'établit sur la tranche de valorisation de 1 à 50 millions d'euros) publié au printemps 2023 par le cabinet In Extenso Finance et Transmission, l'Occitanie a enregistré 85 transactions en 2022 (contre 82 en 2021, +5%). La région Occitanie se plaçait ainsi en 3e position derrière l'Ile-de-France et la région AURA, confirmant sa montée en puissance notamment grâce à sa transition réussie vers l'économie du digital. Le cabinet In Extenso indique que « près de quatre acquisitions sur cinq sont menées par des acquéreurs corporate » et qu' « avec 22% des opérations réalisées, les fonds d'investissement sont très actifs en 2022 (vs 11% en 2021) ».

Cécile Chaigneau

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