Emploi : en Occitanie, la filière agroalimentaire sonne la mobilisation générale pour séduire à nouveau

Des postes mais pas de candidats en face. La filière agroalimentaire en Occitanie n’échappe pas à ce mal du moment : des difficultés à fidéliser ses salariés et à recruter des candidats. Alors elle se mobilise et mobilise tout son écosystème, depuis l’école jusqu’à Pôle Emploi, pour tenter de faire bouger les lignes, de gommer une image dépassée de ses métiers. Et créer des passerelles entre des mondes qui se parlent encore insuffisamment, comme l’école et l’entreprise. Décryptage.
Cécile Chaigneau
Dans l'usine catalane de l'entreprise Cémoi, passée sous pavillon belge du groupe familial Sweet Products en 2021.

Ils étaient tous autour de la table le 10  novembre dernier, à l'initiative de l'AREA Occitanie, réseau régional de l'agroalimentaire réunissant 330 entreprises en Occitanie, des organisations professionnelles de la branche aux structures de formation, en passant par Pôle Emploi, l'Education Nationale ou l'APEC. Pas une rencontre de crise mais de mobilisation autour d'un problème majeur et croissant, la fidélisation des salariés et le recrutement, qui s'inscrivait dans le cadre de la Semaine Nationale de l'Emploi Agroalimentaire (du 6 au 10 novembre). L'occasion pour les entreprises et coopératives du secteur d'ouvrir leurs portes, en partenariat avec Pôle emploi Occitanie, pour attirer de nouveaux talents.

Car sans surprise, la filière n'attire plus. Ou peu. En cause notamment, une image peu valorisée, qui peine à se renouveler et conserve des stigmates de pénibilité ou de métiers « archaïques », comme s'ils étaient passés sous les radars de la modernisation et de la digitalisation...

En Occitanie, la filière est pourtant un poids lourd et un pilier de l'économie régionale. Mais sur le volet de l'emploi, comme toutes les filières, les entreprises sont à la peine.

46% des projets de recrutement jugés difficiles

Entre juillet 2022 et juin 2023, Pôle Emploi Occitanie avait enregistré 6.442 offres d'emploi, soit une  hausse de 12,5% en un an. Un chiffre qui n'est pas représentatif de la dynamique de filière car le service public de l'emploi ne collecte qu'une partie des offres émises par les entreprises. Et une hausse qui est le signe d'une embellie d'activité pour la filière mais aussi le fruit d'un travail plus resserré entre Pôle Emploi et la filière.

Sur ces 6.442 offres, 97% portaient sur des contrats à temps complet, 58% pour des offres de travail temporaire, 11% s'adressaient à des techniciens, agents de maîtrise et cadres, 49% à des personnes peu ou pas qualifiées. Et 50% étaient des projets de recrutement saisonniers. Presque la moitié des offres (43%) étaient concentrées en Haute-Garonne, Hérault et Tarn, sur en priorité des métiers d'assemblage, tri ou emballage, de conduite d'équipement de production et de conduite d'équipement de conditionnement. 46% des projets de recrutements étaient alors jugés « difficiles » par les entreprise en raison d'un déficit d'attractivité de la filière et de candidats au profil inadéquat, avec des tensions en particulier sur le management de l'ingénierie de production, et sur l'abattage et la découpe de viandes.

Du côté des demandeurs d'emploi, Pôle Emploi comptait, à fin juin 2023, 7.090 inscrits (catégories A, B et C), soit une baisse de 3% sur un an. Parmi eux, 75% en recherche d'un CDI, 10% de cadres et 58% ayant une mobilité entre 30 et 60 minutes.

Le mouton à cinq pattes

« Le problème s'est aggravé et aujourd'hui, les entreprises ont des difficultés de recrutement sur tous les métiers, souligne Anne Chassang, chargée de mission RH à l'AREA Occitanie. Sur les métiers en tension comme la maintenance, on pioche dans le même vivier que d'autres secteurs industriels ! Or certaines industries ont des moyens de communication que nous n'avons pas, comme l'UIMM* qui est très structurée et très investie politiquement... »

Selon l'AREA Occitanie, ces difficultés à trouver du personnel n'ont pour l'heure pas causé de graves dommages mais certaines entreprises ont déjà arrêté des lignes de production par manque de main d'œuvre.

« Les tensions sur le marché de l'emploi sont réelles et le premier axe de réflexion à avoir, c'est qu'ayant de plus en plus de mal à trouver le mouton à cinq pattes, il faut souvent accepter de faire un pas de côté en allant chercher un candidat qui a des qualifications moins adaptées et prévoir une formation à la prise de poste, déclare Julien Tognola, directeur régional de la DREETS Occitanie (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités). Pôle Emploi peut apporter des réponses. »

Chez Pôle Emploi Occitanie, Catherine Guilbaudeau, directrice territoriale pour le Gers et les Hautes-Pyrénées, en charge de la filière agri-agro pour l'Occitanie, confirme que l'opérateur public enregistre « 87% de satisfaction des offres, même si ce n'est pas avec le candidat idéal » : « Aujourd'hui, peu de jeunes ont envie de travailler dans l'agri-agro, et notre boulot, c'est d'aller chercher des gens dans des secteurs où il n'y a pas de travail pour les emmener vers vos métiers. Cette année, nous avons organisé 1.200 ateliers dans les agences de Pôle Emploi avec des entreprises de votre filière et nous avons formé 2.500 demandeurs d'emploi à vos métiers, surtout sur la production ».

« Les DRH préféraient s'adresser aux agences intérim »

Cela fait déjà trois ou quatre ans que la filière agroalimentaire régionale, consciente du problème RH qui se pose à elle, s'est rapproché de Pôle Emploi pour développer une stratégie d'identification de ses métiers et d'attractivité.

« Nos métiers étaient mal connus, nos entreprises déposaient peu d'offres, et nous étions peu présents sur le terrain pour faire des visites d'entreprises, raconte Anne Chassang. Depuis, les entreprises se sont organisées car elles savent qu'ouvrir les portes permet de sortir des a priori. »

C'est ainsi que les offres déposées par les entreprises de la filière à Pôle Emploi ont augmenté de 12,5% sur la dernière année écoulée, « ce qui est énorme », estime Catherine Guilbaudeau.

« Aujourd'hui, c'est un cauchemar pour trouver des salariés dans certaines entreprises, malgré toutes les actions autour de l'attractivité qui ont été déployées, ajoute Jean-Pierre Arcoutel, président de La Coopération Agricole (LCA) Occitanie. Avant, cela n'excitait personne, chez les DRH, de travailler avec Pôle Emploi, ils préféraient s'adresser aux agences d'intérim notamment. Mais depuis quelques années, ça s'est restructuré et on a des interlocuteurs ! »

32.300 apprenants à la rentrée 2022

Mais pour mettre des candidats en face des offres d'emploi, il faut idéalement des formations adossées aux besoins des entreprises. Selon le Carif-Oref Occitanie (centres de ressources et outils au service des acteurs et des professionnels de l'emploi, de la formation et de l'orientation), un peu plus de 32.300 apprenants ont été recensés à la rentrée 2022 dans les formations initiales, soit une légère progression de 0,9% en un an, principalement soutenue par l'apprentissage, une voie de formation qui concentre désormais la moitié des effectifs formés dans le secteur. Les formations du commerce regroupaient 51% des apprenants en 2022, tandis que les formations en production concentraient le deuxième plus important volume d'apprenants (27%).

Dans la formation continue, le Carif-Oref note un repli des entrées en formation des demandeurs d'emploi (essentiellement financée par le Compte personnel de formation) dans le domaine de l'agroalimentaire (un peu plus de 3.200 en 2022, soit une baisse de 6%) « interrompant la forte progression observée depuis 2019 ». En Occitanie, seuls trois départements ont enregistré une hausse du nombre d'entrées en formation : la Lozère (+25%), l'Aude (+21,7%) et le Lot (+11,1%). Quant au nombre d'entrées en formation financées par la Région Occitanie, il est aussi en recul, de 29% en 2022, « s'inscrivant à 360, soit le niveau le plus bas depuis 2019 au moins ».

« Au niveau national, l'objectif est d'augmenter les effectifs de 30% dans les formations agri-agro et on est loin du compte, rappelle Florent Guhl, directeur de la DRAAF Occitanie. Dans les appels à projet de France 2030 "Compétences et métiers d'avenir", un projet occitan a été retenu dans un lycée agricole de Haute-Garonne sur la formation "Agrivoltaïsme et automatismes", des métiers plus vendeurs pour les jeunes. »

« Rendre plus poreuse la relation école-entreprise »

La balle est aussi dans le camps de l'Education Nationale. Mickaël Duchiron est le délégué de la Direction Régionale Académique à la Formation Professionnelle Initiale, Continue et l'Apprentissage (DRAFPICA) de la région académique Occitanie. Il évoque les réformes en cours : « On essaie, via la réforme du lycée professionnel, de développer des liens entre qualification et employabilité car c'est compliqué pour les jeunes de trouver un premier emploi. On essaie de rendre plus poreuse la relation école-entreprise pour recueillir les besoins, et on déploie donc des outils pour nous rapprocher des entreprises, comme les dispositifs "Avenir Pro" ou "Ambition Emploi" ».

Des dispositifs que les représentants des entreprises semblent découvrir, témoignant clairement du manque de passerelles entre les deux mondes...

« La réforme du lycée professionnelle crée une mission de responsable du bureau des entreprises dans les 114 lycées concernées en Occitanie avec l'objectif de s'ouvrir sur l'écosystème local, répond Mickaël Duchiron. Jusqu'à présent, vous n'aviez pas vraiment besoin de nous et aujourd'hui, ça s'inverse et c'est tant mieux ! Une instruction interministérielle demande aux préfets d'organiser des réunions de concertation sur la carte des formations, auxquelles sont invitées les branches professionnelles, les Opco, les entreprises petites et grandes. Vingt-cinq sont prévues en Occitanie. »

Travail de terrain, travail d'information

Florence Pratlong, la présidente de l'AREA Occitanie, souligne la nécessité de décloisonner l'école et l'entreprise, « d'aller voir les professeurs, s'écouter et se comprendre ». Autrement dit, sortir des caricatures persistantes de l'école sur l'entreprise et inversement...

« La loi plein emploi va être promulguée en décembre, on va donc arriver dans le concret rapidement, rappelle Julien Tognola, à la DREETS Occitanie. Il va falloir aller chercher gens plus éloignés de l'emploi et réfléchir comment Pôle Emploi notamment peut présenter une offre de services plus simple et accessible aux entreprises. »

Difficile d'avoir un retour concret sur les propositions qui ont été faites à l'issue de la rencontre initiée par l'AREA Occitanie le 10 novembre dernier. Mais Anne Chassang assure que ce tour de table était une prouesse en soi et qu'il aura créé une base de travail collaboratif essentielle : « Il n'y pas de solution miracle, la seule, c'est le travail de terrain et le travail d'information. Il faut rentrer dans l'école de façon pérenne, que les entreprises ouvrent leurs portes et qu'ensuite, elles accueillent des jeunes en stage... Aujourd'hui, tous les acteurs de la branche emploi-formation sont sensibilisés à nos problématique et nous avons acté la volonté de travailler ensemble. L'idée principale, c'est le partage et la collaboration... Nous allons lancer des groupes de travail dès décembre sur différents sujets : emploi, formation, communication ».

* La Semaine de l'Industrie 2023 se déroulera du 27 novembre au 3 décembre prochain.

Nutrition & Santé : « L'entreprise doit être plus présente à l'école »

Le groupe d'alimentation diététique Nutrition & Santé s'est très vite positionné sur des biscuits sans sucre et sans gluten avec des marques comme Gerblé, mais aussi des aliments bio ou à base de protéines végétales. Fondé il y a 50 ans et basé à Revel (Haute-Garonne), il fabrique et commercialise en Europe des produits distribués en grandes surfaces mais aussi en magasins bio sous les marques SOY ou Céréal Bio. L'entreprise, qui emploie1.600 salariés en Europe dont un peu plus de 1.000 en France (huit usines), réalise un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros. « Notre difficulté, c'est de trouver les bons profils de compétences et l'engagement sur la durée, analyse Laetitia Laden, DRH de Nutrition & Santé. On observe que le turn-over a augmenté depuis quelques années, avec un volume d'entrées/sorties d'une centaine de collaborateurs par an. L'agroalimentaire n'est pas un secteur qui attire les jeunes générations, notamment sur les métiers de production. Aujourd'hui, nos besoins portent sur tous les profils, du cadre à l'ouvrier, avec en particulier des difficultés importantes sur les profils en maintenance. »

Tester l'engagement des candidats

L'entreprise dit travailler peu avec Pôle Emploi mais vouloir retisser des liens avec ce service public. Son levier principal, c'est l'apprentissage qui lui permet de « tester les candidats sur leur engagement » et de se constituer un vivier de compétences. Pour ce qui est de la pénurie de cadres, Laetitia Laden indique avoir lancé « un nouveau processus de recrutement cherchant à affiner l'évaluation de l'engagement et du comportement, mais qui nous incite aussi à nous dévoiler pour que le candidat comprenne mieux notre façon de travailler ».

« Nous avons développé une stratégie de marque employeur depuis cinq ou six ans, et le fait qu'on ne soit pas basé dans une grande métropole n'est pas forcément un frein, ça peut même être un atout pour les cadres qui veulent quitter les grandes villes », souligne-t-elle.

Pour améliorer le sourcing en compétences de l'industrie agroalimentaire, la dirigeante estime que « l'entreprise n'est pas assez présente à l'école et a donc des efforts à faire pour aller dans les collèges et les lycées, parler de ses métiers et développer davantage ces connexions ».

Cécile Chaigneau

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