La Fondation Abbé Pierre alerte sur l’habitat indigne qui gagne du terrain en Occitanie

Le 18 avril, la Fondation Abbé Pierre publie son nouvel éclairage sur l’état du mal-logement en Occitanie. Chute de la production de logement social, saturation des places d’hébergement et absence de propositions alternatives : elle dénonce un mal-logement qui devient la solution pour de nombreux ménages modestes et des situations d’habitat indigne et précaire qui se multiplient, dans les métropoles de Montpellier et Toulouse mais aussi dans les villes moyennes qui les entourent.
Cécile Chaigneau
A l’occasion de la publication de son éclairage sur l’état du mal-logement dans la région le 18 avril 2023, la Fondation Abbé Pierre a donné la parole aux personnes concernées et montre, à travers les photos de leur habitat et leurs témoignages, leur parcours et leurs combats pour vivre sous un toit digne.
A l’occasion de la publication de son éclairage sur l’état du mal-logement dans la région le 18 avril 2023, la Fondation Abbé Pierre a donné la parole aux personnes concernées et montre, à travers les photos de leur habitat et leurs témoignages, leur parcours et leurs combats pour vivre sous un toit digne. (Crédits : Fondation Abbé Pierre Occitanie)

L'habitat indigne. C'est la thématique choisie cette année par la Fondation Abbé Pierre pour son traditionnel bilan du mal-logement.

« La politique du logement aujourd'hui est inexistante et les bailleurs sociaux sont très en difficulté : le prix du foncier continue d'augmenter et il n'existe quasiment plus d'aide à la pierre pour construire logement très social, contextualise Sylvie Chamvoux, directrice régionale de l'agence Occitanie de la Fondation Abbé Pierre. Le nombre de ménages ne pouvant pas accéder au logement est devenu énorme en Occitanie et cette problématique va s'amplifier car on ne produit plus suffisamment de logements sociaux. Entre 2020 et 2022, on a enregistré une augmentation de 16,5% de la demande de logement social en Occitanie, avec 121.840 demandes en cours en 2022 et seulement 24.760 attributions.Dans le département de l'Hérault, c'est 37.160 demandes et 4.860 attribution pour parc de 70.500 logements... Les situations sont particulièrement tendues à Toulouse et Montpellier, avec des difficultés encore plus accrues sur la métropole de Montpellier où aujourd'hui, le délais moyen d'obtention d'un logement social est de 21 mois, et jusqu'à cinq ans pour les situations les plus tendues de familles nombreuses par exemple, contre 13 mois à Toulouse...  Les marchands de sommeil ont de beaux jours devant eux malheureusement ! »

Lire aussiDans l'Hérault, le préfet durcit le ton contre l'habitat indigne

« L'habitat indigne n'est pas un choix »

Face à ces difficultés à se loger, les situations d'habitat indigne et précaire se multiplient, avec le recours à des mobil-homes, des caravanes, des cabanes ou la formation de bidonvilles. Et selon la Fondation Abbé Pierre, la région Occitanie est particulièrement affectée, comme l'explique  Sylvie Chamvoux :  « En Occitanie plus qu'ailleurs, la problématique est forte car la région connaît une forte attractivité, une forte démographie et un prix du foncier très élevé. Surtout à Montpellier où, en 2021, le prix moyen du terrain à bâtir était de 313 euros le m2 contre 176 à Toulouse. En 2017, dans le parc privé à Montpellier, 181.000 logements potentiellement indignes avaient été dénombrés, un chiffre qui n'incluait pas l'habitat précaire ou de fortune... Le point commun aux familles et personnes concernées par l'habitat indigne, c'est l'impossibilité de se loger autrement sur le territoire. Ce n'est évidemment pas un choix ! Il n'existe pas de réponse alternative. Et cela peut concerner des locataires comme des propriétaires occupants ».

L'association héraultaise Adages, spécialisée dans l'accompagnement de publics fragilisés par l'âge, le handicap, la précarité sociale, la maladie mentale et les accidents de la vie, rapporte que « selon le revenu moyen des foyers locataires en Occitanie, 40% des ménages fiscaux vivent dans le parc privé avec des revenus inférieurs à 60% du plafond HLM, 22% des ménages fiscaux vivent en HLM avec des revenus inférieurs de 60% du plafond HLM et même 45% dans l'Hérault, ce qui signifie qu'un logement sur deux est occupé par des personnes ayant de très faibles ressources qui paient donc des loyers trop élevés. Le parc privé est encore un parc refuge pour public à petites ressources ».

Déployer les outils les plus coercitifs

Le taux d'équipement en logement social est de 11,5% en Occitanie, contre 17,3% au niveau national. En 2022, quelque 10.375 agréments de financement de logements sociaux ont été attribués - « ce qui ne correspond pas réellement au nombre de logements construits », précise Sylvie Chamvoux - dont 3.198 en PLAI (financés par le Prêt Locatif Aidé d'Intégration et attribués aux locataires en situation de grande précarité), soit 30% du total. Un chiffre jugé insuffisant par la Fondation Abbé Pierre et les associations œuvrant sur le logement social, le besoin portant justement essentiellement sur des logements en PLAI.

« Nous insistons sur l'urgence à mettre en œuvre une politique volontariste, déclare la directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre. La plus grosse difficulté est de faire travailler ensemble les différents acteurs et d'aller vers pour accompagner les ménages les plus modestes, déployer les outils les plus coercitifs comme le permis de louer pour obliger les propriétaires. »

Et elle donne un chiffre : « En 2022 en Occitanie, l'ANAH (agence nationale de l'habitat, NDLR) avait comme objectif de rénover 425 logements indignes de propriétaires occupants, ce qui est déjà peu, mais seuls 219 ont pu être rénovés. Les opérations programmées d'amélioration de l'habitat permettent d'aller vers les propriétaires d'un quartier donné pour repérer les logements les plus dégradés, mais l'ANAH a d'autres typologies de logements à traiter. Or accompagner les ménages les plus modestes est le plus compliqué et le plus chronophage, donc il faut leur permettre de travailler avec les associations qui connaissent les personnes en difficulté et faciliter le lien. Mais du coup, les objectifs 2023 de l'ANAH ont donc été revus à la baisse et sont tombés à 400 logements indignes à rénover... ».

Conventionner des biens privés en logements sociaux

Sylvie Chamvoux rappelle aussi que l'ANAH finance également les propriétaires-bailleurs qui acceptent de conventionner leur bien en logement social.

« En Occitanie en 2022, 1.000 logements du parc privés ont été financés en conventionnement social, très social ou intermédiaire, dont 200 dans l'Hérault et 110 en Haute-Garonne, indique-t-elle. Sur 1.000 logements, 59 l'ont été en conventionnement très social, dont sept dans Hérault et neuf en Haute-Garonne. Il y a donc une marge de manœuvre importante dans le parc privé où une manne de logements peuvent être conventionnés. Par ailleurs, dans les villes moyennes autour des métropoles, les cœurs de ville sont abandonnés, avec des logements qui se dégradent, et de fait des logements sociaux : comme les ménages ne peuvent plus de se loger dans les métropoles car c'est trop cher, ils s'éloignent en périphérie et se logent dans du logement dégradé, ils ont du mal à se déplacer... C'est le cercle infernal ! Pour ce qui est de l'accession à la propriété, les gens achètent moins cher du logement dégradé, n'ont pas les moyens de le chauffer et de l'entretenir, et ça se dégrade. »

La dirigeante de la Fondation Abbé Pierre Occitanie en appelle à mobilisation de tous, à commencer par les élus qu'elle invite à se saisir des enjeux et des outils, et à travailler en concertation avec tous les acteurs concernés.

Prise de conscience : des frémissements dans les collectivités

Heureusement, le tableau n'est pas que noir. Et des choses bougent doucement. La Fondation Abbé Pierre et Adages évoquent ainsi les actions de certaines collectivités comme la Communauté de communes du Lodévois Larzac qui a mis en place un permis de louer, ou la Métropole de Montpellier qui l'expérimente sur un quartier.

« On peut parler d'une vraie prise de conscience de certaines collectivités de la réalité de leur territoire, ajoute Sylvie Chamvoux. La métropole de Montpellier a entrepris un travail sur les aides aux propriétaires-bailleurs pour conventionner leur bien notamment. Et un travail sur le bail à réhabilitation est en cours dans l'Hérault : il consiste à permettre au propriétaire de se dessaisir de son bien au profit d'un bailleur pour le réhabiliter et le louer en très social. Alors qu'on n'était jamais arrivé à travailler sur cet outil, une opération va voir le jour sur la métropole de Montpellier avec l'association Adages. Même si on est sur une toute petite échelle, il faut le faire. »

Lire aussiContre le mal-logement, Habitat et Humanisme lève 25 millions d'euros

Quelques chiffres-clés en Occitanie

  • 5.933.200 habitants en 2019 (+0,7% par an)
  • 3.630.300 logements en 2019, dont 39% de locataires
  • Revenu annuel médian : 20.450 euros (21.640 euros en France)
  • Taux de pauvreté : 16,8% (14,5% en France), 13,2% en Haute-Garonne, 19% dans l'Hérault, 20,2% dans l'Aude
  • Parc social : 318.200 logements (83% en collectif), dont 97.000 en Haute-Garonne, 70.500 dans l'Hérault, 18.400 dans l'Aude.
  • Production de logements sociaux programmés en 2022 : 10.375, dont 4.054 en Haute-Garonne, 4.054 dans l'Hérault, 682 dans l'Aude
  • Demandes et attributions de logements sociaux (au 31-12-2022, hors mutations) : 121.840 demandes pour 24.760 attributions. Haute-Garonne : 34.700 demandes pour 8.500 attributions. Hérault : 37.160 demandes pour 4.860 attributions. Dans l'Aude : 6.930 demandes pour 1.310 attributions.
  • Parc privé potentiellement indigne (source DREAL Occitanie) : 181.000 logements en Occitanie, 38.251 dans l'Hérault, 30.429 dans le Gard, 19.783 dans l'Aude, 17.834 dans les Pyrénées-Orientales, 15.154 en Haute-Garonne, 9.592 dans le Gers, 7.656 dans l'Ariège, 7.098 dans les Hautes-Pyrénées, 6.559 dans le Lot , 4.602 dans le Tarn-et-Garonne, 3.090 en Lozère.

Cécile Chaigneau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.