A l'heure du changement climatique et du zéro artificialisation nette (ZAN), la sobriété peut (doit) aussi être immobilière. D'une part, le secteur du bâtiment est souvent pointé du doigt comme responsable de près de la moitié de la consommation d'énergie et d'un quart des émissions de gaz à effet de serre en France, mais aussi consommateur d'un foncier qu'il faut arrêter d'artificialiser. D'autre part, le logement, notamment le logement neuf, traverse une crise inédite qui fige le marché et met la France sous pression.
Pourtant, à y regarder de près, une partie de l'équation est insuffisamment traitée. Le parc de bâtiment existant est largement sous utilisé : logements vacants, résidences secondaires, sous-occupation des logements, faible durée d'utilisation des bâtiments tertiaires... La Ville de Paris vient de rendre publiques les conclusions d'un rapport qui fait part d'une explosion du nombre de logement inoccupés (262.000 logements en 2020, contre 191.000 en 2011), avec près d'une habitation sur cinq qui est aujourd'hui inoccupée.
Cette sous-occupation du parc existant était l'une des thématiques abordées lors du Congrès national du bâtiment durable, qui se tient à Montpellier ces 5 et 6 décembre.
8,9 millions de logements sous-occupés
Selon une note du groupe Réflexions Bâtiments Responsables et Territoires du Plan Bâtiment Durable, 8% du parc actuel est en sur-occupation, mais 8% est vacant, 10% occupé occasionnellement (les résidences secondaires principalement), 37% en sous-occupation, 19% en sous-occupation très accentuée (c'est à dire avec trois à quatre pièces de plus que d'habitants). Ce qui donne quelque 1,5 millions de logements sur-occupés en zones tendues et 8,9 millions de logements sous-occupés, dont 2,8 millions en zones tendues, ces derniers étant occupés à 86% par des petits ménages, plutôt âgés, propriétaires à 84% et en maison individuelles à 86%.
Une situation soulignée, le 29 octobre dernier, par un collectif de 26 acteurs publics et privés du secteur immobilier dans une tribune publiée par le journal Le Monde, qui regrette « encore beaucoup trop de discours marketing dévoilant en creux la résistance de l'ancien monde de l'immobilier » et « une transformation trop lente » : « Nous devons d'abord prendre conscience que le parc de logements existant est aujourd'hui en réalité peu occupé. (...) Le défi est de fluidifier les parcours résidentiels pour mieux occuper le parc existant dans lequel nous avons tant investi ces dernières années, plutôt que de continuer à investir tous azimuts dans une pierre de plus en plus coûteuse pour la planète ».
Réduire l'obsolescence programmée dans le bâtiment
Albane Gaspard, animatrice Prospective du bâtiment et de l'immobilier à l'ADEME, rappelle que « sur les trente dernières années, on a produit des m2 de plus en plus efficaces mais comme il y en a de plus en plus, ça s'annule », montrant la voie d'une marge de progression à mieux optimiser un parc sous-utilisé.
« Nous avons établi plusieurs scénarii de trajectoire : le scénario 1, le plus sobre et qui permet d'atteindre les objectifs de diviser par deux le niveau d'artificialisation, consiste à utiliser au mieux l'existant et à réinvestir logements vacants et résidences secondaires, et ainsi de réduire le nombre de logements neufs à construire entre 2015 et 2050 à 4 millions (pour mesurer la marche à franchir, il faut rappeler qu'on en a construit 12 millions sur les trente dernières années, NDLR), indique-t-elle. Selon le scénario 3, sur le principe de la démolition-reconstruction, on est à 12 millions de logements neufs construits. »
Plusieurs options permettent de faire de la sobriété immobilière, comme le rappelle Jean-Christophe Visier, co-président du groupe Réflexions Bâtiments Responsables et Territoires du Plan Bâtiment Durable : « Déménager quand les besoins évoluent, c'est à dire changer de logement mais aussi pourquoi pas de région ou de ville. Par exemple, à Montpellier, le maire a vu qu'il existait des zones moins tendues à proximité, comme Lunel ou Frontignan... On peut aussi augmenter les durées d'occupation pour éviter les logements vacants, et réduire l'obsolescence programmée dans le bâtiment, ce qui signifierait arrêter de construire dans des zones peu tendues, rendant obsolète le logement existant. On peut enfin adapter les bâtiments à l'évolution des besoins pour permettre de leur usage à de nouveaux publics sans transformation profonde, restructurer les locaux, et construire du neuf de qualité et réversible. Autour de Montpellier, je vois des zones de bureaux très monofonctionnelles : comment vont-elles muter si la réversibilité n'a pas été pensée ? ».
Selon une enquête IPSOS pour RTE, publiée en juin 2023, 30% des ménages, soit neuf millions de ménages représentant près de 20 millions de personnes, envisagent de déménager pour aller vers un logement plus petit (avec pour argument principal pour 50% d'entre eux de faire des économies)...
« Un potentiel de plus de 2 milliards de m2 dans le tissu pavillonnaire »
Benjamin Aubry est architecte-urbaniste de formation et président de la startup Iudo, spécialisée dans la densification douce.
« Le pavillonnaire est de loin le premier habitat des français, et en Ile-de-France, on compte 1,4 millions de propriétaires de foncier individuel occupant 47% des surfaces urbanisées, plante-t-il en guise de décor, campant les enjeux du ZAN. La densification, ce n'est pas que raser et construire un gros bâtiment. C'est aussi la colocation, le coliving, diviser une maison en appartements, les changements d'usage - un garage transformé en studio par exemple -, la surélévation ou l'extension, la division foncière... Autrement dit, pas de bouleversement majeur mais de une optimisation de l'existant. Ces millions de petits propriétaires peuvent faire de la micro-promotion : ils ont un foncier déjà amorti qui leur permet de porter des projet moins onéreux. On a ainsi estimé un potentiel de plus de 2 milliards de m2 dans le tissu pavillonnaire, soit 29 millions de logements potentiels sans étalement urbain. »
Le dirigeant concède toutefois quelques problématiques à anticiper : un premier frein sur le stationnement, mais aussi une fiscalité qui n'est pas adaptée pour les collectivités qui devront financer davantage d'équipements publics après ces opérations de densification douce.
« Il est grand temps de faire bouger les règles fiscales, urbanistiques et techniques qui freinent de nouveaux usages qui sont aussi des réponses possibles aux enjeux climatiques de la filière, écrit d'ailleurs, dans sa tribune du 29 octobre dernier, le collectif de 26 acteurs du secteur immobilier. Nous appelons à un allègement des règles de droits de mutation, à l'imposition des logements en fonction de leur impact écologique et de la surface par personne, afin d'inciter à l'occupation pleine plutôt qu'à l'occupation temporaire, et à favoriser la transformation de bureaux en logements. »
Les enjeux sont posés, des solutions sont identifiées mais pas d'angélisme possible dans un secteur de l'immobilier où les virages se prennent avec l'inertie d'un paquebot...
« Pour faire bouger cette sobriété, il faut que chaque acteur voit comment il peut faire à son niveau, préconise Jean-Christophe Visier. Un vrai changement profond s'impose car le sujet de demain, si on veut décarboner le bâtiment, ce sera d'aller vers une économie portée davantage sur l'usage des objets que sur les objets eux-mêmes. Peut-être que demain, nous aurons des publicités sur les déconstructeurs après celle sur les dévendeurs (en référence à la publicité actuelle de l'Ademe vantant la déconsommation, NDLR) ? »
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