Comment la crise de l’immobilier génère une crise chez les notaires

Alors que le marché de l’immobilier s’est retourné, depuis plusieurs mois, sous le coup de l'augmentation des taux de crédits, de l’inflation et du sérieux coup de frein dans le secteur de la construction neuve, les études notariales paient leur dépendance à l’activité immobilière qui pèse en moyenne 50 à 60% de leur chiffre d’affaires. Une situation de crise inquiétante pour une profession coutumière d’une historique (et très sécurisée) régularité dans ses activités. D’autant qu’elle doit en même temps faire face aux conséquences de la loi Croissance de 2015 qui a libéralisé l’installation des notaires. Décryptage.
Cécile Chaigneau
(Crédits : Reuters)

«  Les notaires ont beaucoup recruté durant les belles années d'embellie du marché immobilier, et la baisse significative du volumes des transactions immobilières est difficile à absorber pour certains »,  concédait Valéry Flandin, notaire à Prades-le-Lez (Hérault), le 5 octobre dernier lors de la présentation des chiffres annuels de l'immobilier dans l'Hérault, sans s'avancer davantage sur les conséquences concrètes pour les études notariales et leurs effectifs.

L'équation de la crise immobilière est désormais bien identifiée : hausse des taux de crédits et difficulté d'accès aux crédits immobiliers, pénurie d'offres notamment dans le neuf, inflation. Des indicateurs qui crispent le marché immobilier partout en France, y compris dans les zones tendues comme l'Hérault, pourtant soutenu par une dynamique démographique. Dans le seul département de l'Hérault, les volumes de ventes ont marqué le pas, en baisse de 13% entre juin 2022 et juin 2023, tandis que les prix médians ont continué d'augmenter : +7,4% pour les appartements anciens, +5,8% pour les maisons anciennes et +4,2% dans le logement neuf. Les notaires héraultais évoquaient alors une baisse d'activité importante pour les études notariales, voire même, pour certaines, « une chute sévère »...

Le Conseil régional des notaires de la Cour d'Appel de Montpellier (sur le périmètre Aude, Aveyron, Hérault et Pyrénées-Orientales, soit 658 notaires répartis dans 292 offices, 2.443 salariés), enregistrait quant à lui, fin août 2023, une baisse des volumes de ventes de 11,9%. Un chiffre toutefois en-dessous de la moyenne nationale (-16,6% selon le Conseil supérieur du notariat).

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Les territoires urbains souffrent davantage

Aujourd'hui, Philippe Martin, notaire à Narbonne (Aude) et nouveau président du Conseil régional des notaires de la Cour d'appel de Montpellier, se fait plus précis dans l'appréciation de la crise qui, en cascade derrière la crise de l'immobilier, affecte les études notariales.

« Le poids de l'immobilier dans l'activité des études notariales est relativement élevé, entre 50 et 60%, le reste des actes étant lié au droit de la famille, au droit des affaires, au droit rural, etc., indique ainsi Philippe Martin à La Tribune. Mais ce poids est protéiforme selon les études, leur implantation ou la politique qu'elles mènent. Certaines structures, sont très corrélée à l'immobilier, notamment à l'immobilier neuf et principalement en territoires urbains, parfois jusqu'à 80% du chiffre d'affaires de l'étude. Celles-ci, évidemment, souffrent davantage. A Montpellier, où les permis de construire sont au point mort, il y a notamment deux ou trois grosses études notariales de 30 à 70 emplois... Je leur souhaite d'avoir eu la prévoyance de mettre de la trésorerie de côté, sinon elles se retrouveront prises en ciseaux entre un chiffre d'affaires qui baisse et des charges installées, en particulier des effectifs alourdis et des salaires qui ont subi une surenchère. »

Dans le seul Hérault, les ventes d'appartements neufs, dont la production est en effet très fortement ralentie à Montpellier, ont ainsi diminué de 21% en un an (contre -9% pour les appartements anciens et -11,3% pour les maisons anciennes). Selon le président du Conseil régional des notaires, les départements plus ruraux, comme l'Aude ou l'Aveyron, ressentent moins durement les effets de ce recul.

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« Sujet tabou »

Une crise si ce n'est inédite, au moins rare, puisqu'il faut remonter à trente ans pour trouver une période aussi difficile pour la profession : « Le notariat n'est pas habitué à être exposé à des crises cycliques. Nous répondons avec une légitimité historique à un besoin de sécurité des contrats, représentant une nécessité dans la vie sociale. La dernière grosse crise que le notariat a connue, c'était en 1993, puis il y a eu 2008 et la crise des subprimes où le marché s'est retourné brutalement... Mais aujourd'hui, il y a une incompréhension du politique qui nous gouverne, on a oublié notre légitimité historique sur les contrats pour nous traiter de manière entrepreneuriale ».

La pilule de la crise est difficile à avaler. Si Philippe Martin concède « une certaine pudeur sur ce sujet tabou pour une profession qui se veut prudente », les notaires avouent aujourd'hui quelques inquiétudes pour leurs études notariales quant à l'impact d'une crise qui pourrait être amenée à encore s'intensifier. Car le président régional des notaires l'annonce déjà, « le 2e semestre a confirmé la baisse et le 4e trimestre 2023 sera un trimestre de grosses difficultés... On y verra plus clair au 2e semestre 2024. Les prix vont finir par baisser, et les taux d'intérêt ont déjà tendance à baisser, même s'il n'est pas sûr que passer de 5 à 4,5% change grand chose ».

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10% en zone rouge

Gel des embauches et des salaires, plans de licenciements ou même cessations de paiements. Les conséquences de cette dépendance à l'immobilier pourraient se payer cash dans les officines notariales.

« Nous n'avons pas encore de cessations de paiement ni de licenciements dans la région, mais plutôt des départs volontaires non remplacés, assure Philippe Martin. En revanche, on a déjà des notaires qui aujourd'hui ne prélèvent plus leur revenu pour faire tenir l'étude et qui tirent sur leur épargne personnelle... J'ai installé une commission avec les comptables du conseil régional et les études notariales qui sont en difficulté vont être interrogées et accompagnées afin d'éviter les licenciements. On estime que 65 à 70% des études sont impactées à des niveaux divers, à l'exception de l'Ariège où les prix et les volumes de transactions augmentent, et de l'Aveyron où les gens achètent beaucoup. Nous pensons que 10% des études notariales sont en zone rouge et elles vont être placées sous monitoring avec un suivi très strict de leurs tableaux de bord. La plupart des notaires n'ont pas attendu et ils gèrent au mieux pour maintenir le personnel en place, car il est important de garder les effectifs pour faire face à la reprise après la crise. Et malgré le contexte morose, il faut rester attractif et, autant que possible, continuer d'accueillir des stagiaires pour donner envie aux jeunes générations de reprendre le flambeau de la profession. »

Le président régional des notaires évoque même l'hypothèse de « placer les situations les plus grave sous procédure de sauvegarde au tribunal judiciaire afin de les aider à traverser la crise ».

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« Il faudra peut-être changer de logiciel »

Quel bout du tunnel la profession envisage-t-elle ? Et quelles leçons tirer de cette crise ? Philippe Martin pointe des pouvoirs publics « véritablement autistes sur l'immobilier aujourd'hui : « Je ne suis pas certains qu'ils aient pris la mesure de la crise, ils sont très silencieux... Quel est leur cap ? Le ZAN (zéro artificialisation nette, NDLR) bouleverse tout, on vit une véritable obsession sur l'empreinte carbone, les taux sont encore élevés, les permis de construire au point mort. Je ne vois rien qui permettrait d'améliorer la situation ! Le notariat est très lié à l'immobilier et il faudra peut-être changer de logiciel ».

Un logiciel qui a pourtant déjà bougé et obligé la profession à reconsidérer ses positions, longtemps acquises et sécurisées : promulguée le 6 août 2015, la loi « Croissance », dite loi « Macron », a réformé une partie du monde du droit, introduisant le principe de liberté d'installation de nouveaux offices notariaux, sur la base de recommandations chiffrées rendues par l'Autorité de la concurrence. Sur le périmètre de la cour d'appel de Montpellier, cela s'est déjà traduit par l'installation « de 100 à 120 nouveaux notaires depuis 2017 », selon Philippe Martin. Pour la 4e vague, l'Autorité de la concurrence propose l'installation de 600 nouveaux notaires en France sur les deux prochaines années, en plus des quelque 17.500 déjà installés. Et même entre 3.000 et 3.200 à horizon 2029.

« La 4e vague va représenter une trentaine d'installations sur notre périmètre, à raison d'une dizaine dans l'Hérault, six dans l'Aude, huit dans les Pyrénées-Orientales et entre quatre et cinq dans l'Aveyron, indique Philippe Martin. Ça m'inquiète surtout pour eux, même si c'est aussi une réelle exposition pour les offices existants et pour ceux qui viennent de se créer, car c'est le miroir aux alouettes ! Ce sera un cadeau empoisonné à un moment où l'activité dévisse. Ces dernières années, le dynamisme de notre région a permis à de nouveaux notaires de lancer leurs activités dans de bonnes conditions. Mais ces cycles de créations répondent à des algorithmes sur la base des projections 2017-2022 qui ne tiennent pas compte des retournements de situation actuels. Ça pourrait donner le coup de grâce au notariat ! »

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Cécile Chaigneau

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