Logement social : en Occitanie, un système au bord de l’embolie

Ce 1er février, alors que la Fondation Abbé Pierre publie des chiffres préoccupants sur la situation du logement en France, les représentants de l’Union sociale pour l’habitat (USH) Occitanie alertent sur l’effondrement de la production de logements sociaux, l’augmentation de la demande, et l’inaction du gouvernement. Des indicateurs qui virent au rouge vif et prédisent un avenir noir. Et aucun signe d’éclaircie à l’horizon de 2024.
Cécile Chaigneau
En janvier 2024, l'Occitanie compte 189.000 demandeurs dans l'attente d'un logement social.
En janvier 2024, l'Occitanie compte 189.000 demandeurs dans l'attente d'un logement social. (Crédits : DR)

Télescopage sur la ligne en matière de logements sociaux... Mardi 30 janvier, le Premier ministre Gabriel Attal déployait, dans son discours de politique générale, quelques mesures pour le logement social qui faisaient frémir et se désespérer les acteurs du secteur. Et ce 1er février, étaient publiés les chiffres du rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur la situation (préoccupante) du logement en France : avec une saturation de l'hébergement d'urgence et des difficultés croissantes d'accès au logement social et privé, la crise s'aggrave en France et touche désormais de nouveaux publics. La Fondation dénonce, au passage, l'absence de réponse du gouvernement.

Elle n'est pas la seule. Ce 1er février, les représentants de l'Union sociale pour l'habitat (USH) Occitanie étaient rassemblés devant la presse pour alerter sur l'effondrement de la production de logements sociaux, l'augmentation de la demande et l'inaction - voire une action contre-productive - du gouvernement. Des indicateurs qui virent au rouge vif et prédisent un avenir noir.

Sur les 2,6 millions de demandeurs d'un logement social en France, ils sont 189.000 en Occitanie en janvier 2024. Soit une hausse de +10% en un an, +62% en dix ans. Dans le miroir, une production de logements sociaux qui recule de 12% en 2023 et des attributions en baisse de 6% en 2023. Un effet ciseau implacable qui signe un « désastre social », pointe l'USH Occitanie.

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« Casser l'appareil »

« On est en train de casser l'appareil de production de logements sociaux : les chiffres de la programmation s'effondrent, or les logements qu'on ne programme pas aujourd'hui, ce sont autant de familles sans logement dans trois ou quatre ans, scande Michel Calvo, président de l'USH Occitanie. Nous partons de la demande et du besoin social, qui s'exprime sur la liste nationale des inscriptions des demandeurs éligibles au logement social. En Occitanie en 2023, la demande est passée de 173.300 à 189 000 et les organismes régionaux du logement social ont attribué 30.185 logements, soit six demandes pour une attribution, un chiffre qui monte à sept ou huit demandes pour une attribution à Toulouse, et même à neuf à dix demandes pour une attribution à Montpellier. »

En 2023, la dynamique de production de logements sociaux est au plus bas depuis quinze ans : seulement 9.241 ont été financés (au lieu de l'objectif des 11.000 prévus), « et on sait déjà que tous n'iront pas au bout en raison de promesses de vente qui ne se concrétisent pas, de coûts de production trop élevés ou d'appels d'offres qui s'étirent dans le temps du fait de la crise dans le bâtiment », se désole Michel Calvo.

Une partie de ces logements (en moyenne un tiers) sont achetés en VEFA par les organismes sociaux aux promoteurs immobiliers, eux-mêmes embourbés dans une crise immobilière importante.

Les chiffres du logement social en Occitanie

  • 325.000 logements sociaux dans 1.600 communes
  • 690.000 personnes vivent dans le parc locatif social (11% de la population régionale)
  • 9.241 logements financés en 2023
  • 30.185 bénéficiaires d'attribution de logements en 2023
  • 189.000 demandeurs d'un logement social dans l'attente en janvier 2024
  • un besoin de 14.000 logements sociaux par an
  • 63 organismes de logement social

« Des organismes HLM ont voté des budgets négatifs »

« Pour amoindrir cette crise, il faudrait programmer 14.000 logements par an pendant dix ans en Occitanie, énonce Michel Calvo. Chaque année, ce sont donc 5.000 logements sociaux qui font défaut en Occitanie. Mais les organismes ne peuvent pas programmer autant de logements en raison du renchérissement phénoménal des prêts : il y a cinq ans, le coût de crédit était de 1 à 1,5%, aujourd'hui, il est passé à 4 ou 4,5%. Et je rappelle que depuis la création de la taxation RLS (réduction du loyer de solidarité, NDLR) il y a cinq ans, l'Etat ponctionne 1,4 milliard d'euros par an aux organismes HLM en France, soit 300 à 400 millions d'euros par an en Occitanie... Certains organismes préfèrent différer en attendant une baisse des coûts. D'autres ont voté des budgets négatifs cette année, ce qui est exceptionnel dans le logement social ! Or la perspective pour en sortir n'existe pas aujourd'hui, sauf à arrêter de construire ou d'entretenir notre parc social. »

Les organismes sociaux ont deux revendications principales, la suppression de la taxation RLS et le retour à une TVA à 5,5%. Michel Calvo s'étrangle : « Le gouvernement fait comme si la branche n'était pas en crise et qu'on pouvait continuer de prélever... Aujourd'hui, l'Etat prélève plus qu'il n'apporte ! ». Autres revendications : la revalorisation des APL à hauteur de l'inflation, ou l'ouverture du dispositif MaPrimRenov' au logement social.

Dans ce contexte, les opérateurs du logement social scrutent avec impatience le moindre signe du gouvernement. Le premier est négatif : à ce jour, aucun ministre du Logement n'a été nommé depuis le remaniement du 9 janvier dernier. Quant aux signaux envoyés le 30 janvier par le nouveau Premier ministre, lors de son discours de politique générale, non seulement ils ne rassurent pas le secteur mais ils l'inquiètent fortement.

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La loi SRU rabotée

Gabriel Attal a ainsi déclaré vouloir faire entrer du logement intermédiaire (destiné aux classes moyennes trop pauvres pour le parc privé et trop riches pour le parc social) dans le calcul des 25% de logements sociaux imposés aux communes soumises à la loi SRU (en Occitanie, 182 communes sont concernées, dont 162 non exemptée, et 9% sont carencées quasiment toutes dans l'ex-Languedoc-Roussillon). Or selon l'Union sociale pour l'habitat, seuls 3% des ménages en attente de logement social y sont éligibles.

« Cela revient à dire à tous ceux qui se sont battus pour défendre les 25% de logements sociaux que ça ne compte plus, et à toutes les communes qui ont refusé de s'y soumettre qu'elles avaient raison ! », s'emporte Michel Calvo.

Quant à l'idée de redonner aux maires la main pour la première attribution dans les nouveaux logements sociaux construits sur leur commune, le gouvernement évacue la question du clientélisme, ce qui fâche le président de l'USH Occitanie qui rappelle le combat mené « pour que les attributions des logements sociaux soient transparentes et non plus au bon vouloir des élus locaux ». D'autant que « le processus des attributions, qui requiert un travail très délicat du bailleur, est collégial et le maire en fait déjà partie », souligne Gilles Dupont, le directeur général de Hérault Logement.

« Mais pour que tout ça soit fait, il faut réglementairement dix-huit mois à deux ans, et où sera Gabriel Attal à ce moment-là ? », persifle volontiers Michel Calvo.

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Un référendum

Le prochain Comité régional d'habitat et d'hébergement, portant sur la programmation 2024 en matière de logements sociaux, aura lieu en mars prochain : « Il devrait porter sur 10.000 logements sociaux en Occitanie, trop loin des objectifs de 14.000 que nous réclamons pour répondre à la demande. Nous allons organiser un référendum parmi nos adhérents pour déterminer notre positionnement : un vote contre ou une abstention ».

En septembre 2024, c'est à Montpellier que se tiendra le 84e Congrès HLM de l'Union sociale pour l'habitat. Une occasion que les acteurs du secteur ne manqueront pas pour défendre une cause majeure et un modèle solidaire malmené.

Des disparités territoriales

La programmation de logements sociaux a globalement reculé en 2023 en Occitanie, mais avec des situations très contrastées selon les territoires. A commencer par les deux aires urbaines des métropoles : alors qu'à Montpellier, la baisse est de 15% (1.015 logements contre 1.190 en 2022, avec un délai d'attente de 20 mois pour une attribution), Toulouse connaît une forte chute de -51% (1.387 logements contre 2.824). Même trajectoires au niveau départemental : l'Hérault peine à se maintenir (-0,4%), tandis que la Haute-Garonne recule de -40%.

Cinq autres départements ont vu la construction d'habitat social régresser en 2023 : l'Aude, le Gers, la Lozère, le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Si, a contrario, six départements font état de progressions (Ariège, Aveyron, Gard, Lot, Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Orientales), leur poids relatif dans le parc régional (environ 30 %) ne suffit toutefois pas à inverser la dynamique baissière.

Alain Braun, directeur général d'ACM Habitat (Montpellier Métropole) : « Sur les 450 logements programmés chez ACM en 2023, nous en avons décalé 150 sur 2024, dont 50 en VEFA, et deux chantiers ont pu être accélérés pour 50 logements qui seront livrés en fin d'année. Notre objectif est de 600 logements en 2024 ».

Gilles Dupont, le directeur général de Hérault Logement : « En 2023, nous avions prévu de livrer 230 logements, on en a fait 200... Si cette réduction de nos ressources se poursuit, cela va nous obliger à mesurer nos investissements. Or notre taux de logements vacants est de moins de 1%, ce qui signifie un taux de rotation très faible. Le système est embolisé et ça va durer ! ».

Philippe Martin, directeur général de FDI Habitat : « Nous avons livré 300 logements en 2023, il y en aura 200 en 2024 et nous en lancerons 160 ».

Vanessa Lebel, directrice général de l'OPH de Sète : « 189 logements ont été mis en chantiers en 2023 et 130 livrés, et nous prévoyons d'en livrer 150 en 2024... Le taux de rotation s'effondre, à 5% (8,9% en Occitanie, 6,8% dans l'Hérault, proche de 0% sur le Pays de l'Or, NDLR), signe de la crise. Le parcours résidentiel des locataires est plus compliqué ».

Cécile Chaigneau

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