Atelier Tuffery : la saga (en voie d'industrialisation) du jean lozérien se poursuit à Montpellier

Pionnier du jean fabriqué en France, le Lozérien Atelier Tuffery a su miser sur un savoir-faire transmis de génération en génération pour se réinventer à l’heure des questionnements sur la nécessité de réindustrialiser le pays. Un choix stratégique mais également éthique, qui conduit à l’ouverture du son premier concept-store de la marque familiale sur la place de la Comédie à Montpellier. Cette aventure expérimentale de huit mois, soit jusqu’en mars 2024, témoigne d’une envie de faire bouger les choses. La Tribune revient sur cette saga familiale lozérienne, qui trace sa route à rebours des grandes tendances d'un secteur qui s'est ultra-mondialisé et dont l'impact est montré du doigt.
Atelier Tuffery, une histoire de savoir-faire et de passion familiale bercée par les Cévennes pour le plus ancien fabricant de jean en France.
Atelier Tuffery, une histoire de savoir-faire et de passion familiale bercée par les Cévennes pour le plus ancien fabricant de jean en France. (Crédits : Atelier Tuffery)

Le 9 juin dernier, tout le petit monde économique local était présent pour assister à l'inauguration du premier concept-store de la maison Tuffery, place de la Comédie en plein coeur de Montpellier. Une vingtaine de salariés avait fait le déplacement depuis la manufacture familiale située à Florac, en Lozère.

Si pour Julien Tuffery, jeune P-dg de 37 ans des ateliers éponyme, cette boutique est « la suite logique de Florac », elle est également la vitrine d'une marque se revendiquant "plus vieux fabricant de jeans en France", fruit de la renaissance d'une entreprise centenaire boostée par la quatrième génération familiale. Pendant huit mois, l'Atelier Tuffery présente pantalons, chemises et jupes en jean qui font son identité, ainsi qu'une gamme plus vaste travaillant des matières nobles comme le cuir, la laine ou le chanvre. Une boutique éphémère qui aura nécessité un investissement de 500.000 euros.

Concept-store Tuffery Montpellier

La maison Tuffery installe un concept-store éphémère sur la place de la Comédie jusqu'à mars 2024.

Saga "made in Cévennes"

L'histoire remonte à 1892 avec Célestin Tuffery, tailleur-confectionneur dont le métier est rapidement bouleversé par la construction d'une ligne de chemin de fer entre Florac et Sainte-Cécile d'Andorges, ce qui fait affluer des ouvriers en masse dans les Cévennes.

« Pour habiller ces travailleurs, mon arrière-grand-père se met à utiliser la toile de Nîmes qui n'est autre q'une bâche agricole, raconte Julien Tuffery. Hyper économique, elle est disponible en grande quantité. »

Matériau robuste réalisé sur des métiers mécanisés, cette fameuse toile, dont le nom se transformera pour la postérité en denim, sert ainsi à réaliser des sur-pantalon de travail résistants et pratiques. Après-guerre, le pionnier du pantalon de travail en denim passe le flambeau à son fils, les vêtements sont désormais fabriqués avant même d'être vendus, la société de consommation pointe le bout de son nez. Le jean devient à la mode, les ventes progressent. Dans les années 1960, il adapte ses formes en se féminisant, devenant un symbole de la révolution sexuelle.

Pour la manufacture artisanale, ce sont les années fastes, la demande est doublée, soixante personnes font les petites mains dans l'atelier de Florac. Les années 1980, la troisième génération est à la peine. Tout s'écroule sous le poids de la délocalisation, effet pernicieux de la mondialisation galopante, le secteur textile français est ravagé. Atelier Tuffery fait partie des rares ateliers textiles à ne pas mettre la clé sous la porte, la tradition du jean français perdure envers et contre tout.

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Une histoire de savoir-faire

Arrivent le XXIe siècle et la question de la transmission. Rien ne destine Julien Tuffery à prendre la suite de son père. Ingénieur de formation, il est promis à une autre carrière... Pourtant, quand se pose la question de l'avenir de la marque familiale, Julien Tufferyet son épouse Myriam ont comme une intuition : il y a  quelque chose à à faire alors que de plus en plus de consommateurs se questionnent sur la provenance des biens de consommation. Les jeunes actifs décident de reprendre la manufacture en 2015, travaillent tard, y mettent toute leur énergie comme leur insouciance, portés par leurs convictions.

« Nous avons repris une entreprise dont le métier était en voie de disparition : tailleur-confectionneur de jeans », se remémore Julien Tuffery.

En à peine huit ans, le chiffre d'affaire d'Atelier Tuffery est passé de « moins de 80.000 euros » à « plus de 3,5 millions d'euros », les salarié de deux à « plus de trente ». Une réussite qui résulte d'une remise en question en profondeur du fonctionnement de la manufacture comme de son positionnement sur le marché. Si le choix est fait de rester à Florac, petit village rural de 2.000 habitants, la vente directe apparaît comme une nécessité.

« Nous avons compris que le métier artisanal pouvait être valorisé en assumant notre distribution et notre marketing, détaille Myriam Tuffery. Un atelier ergonomique et lumineux a été construit, rien à voir avec celui des années 60 qui était un hangar en tôle avec des machines à coudre à la suite les unes des autres... C'est un nouveau management, une autre façon de voir le travail manuel, une manière différente de former aussi. »

Pour la partie montage-couture, les nouveaux salariés, souvent dans un processus de reconversion, sont accompagnés pendant deux ans et demi pour devenir totalement autonomes sur leur poste de travail. Afin de perpétuer le savoir-faire de la maison, qui s'est toujours démarquée par le soin des finitions de ses produits comme la qualité des matériaux utilisés, dont le chanvre, les jeunes entrepreneurs sont aux petits soins avec tout un écosystème textile régional.

« Nous voulions être partie prenante de toute la filière, assure Myriam Tuffery. Nous avons réinvesti petit à petit dans la filière chanvre textile en Occitanie, notamment dans un atelier de tissage, à Sainte-Affrique-les-Montagnes dans le Tarn, qui allait mourir. Nous voulions ainsi sauver les machine à tisser et conserver le savoir-faire, ce qui nous permettait de pérenniser une toile "éthique". Nous essayons de nous affranchir du coton qui est plus difficile à tracer, car il est plus globalisé que le chanvre, le lin ou la laine. Cette traçabilité fait partie de notre ADN de marque. »

Atelier Tuffery

À 37 ans, Julien et Myriam Tuffery sont à la tête de l'entreprise familiale cévenole depuis 2015.

Le temps de la mode de demain

À l'heure de la prise de conscience de l'impact massif de la mode sur la planète, laquelle paie le prix d'une "fast-fashion" devenue presque jetable, Atelier Tuffery se retrouve à nouveau en première ligne. D'ailleurs, Julien Tuffery se présente volontiers comme un « militant de la mode de demain, une mode qui va être plus responsable, plus éthique, plus humaine ». Pas question pour la petite entreprise cévenole de faire du marketing "made in France", mais bien de créer un commerce responsable et local, de la slow-fashion portée par l'envie de réduire son empreinte écologique à tout prix. Un pari gagnant, à condition d'avoir de la patience.

« 80 millions de jeans sont vendus en France chaque année, c'est un marché énorme, mais il faut du temps pour que les clients de la fast-fashion deviennent nos clients car nous sommes vraiment dans des mondes très éloignés, reconnaît Myriam Tuffery. Petit à petit, notre clientèle augmente et se rajeunit. À la manufacture de Florac, nous parlons aux visiteurs du temps passé sur la pièce, du travail en amont, de toute la filière... Les gens ne sont pas informés de tout le travail qui se cache derrière un vêtement. »

Ce temps de travail a un coût : « Un jean de la fast-fashion que vous achetez 100 euros, il a coûté 4 euros à l'atelier. Chez nous, pour que cela marche,  il faut que 65 euros nous reviennent sur un jean qu'on vend 100 euros. C'est calculé au millimètre ! », assure Julien Tuffery.  Malgré tout, la manufacture lozérienne se donne le temps de la réflexion et refuse même des entrées au capital aux montants pourtant très attractifs, préférant s'afficher résolument familiale.

« Aujourd'hui, nous avons surtout besoin de temps et de liberté intellectuelle pour faire les choses étape par étape, affirme l'arrière-petit-fils de Célestin Tuffery. En commençant par le terrain : la fabrication. »

La manufacture vient d'inaugurer à Florac une extension de son atelier, dont la superficie passe de 5.000 m2 à 20.000 m2, ce qui représente un investissement de 2,7 millions d'euros sur deux ans. Des embauches sont prévues, mais plutôt sur le long terme, afin de compter « une quarantaine de salariés d'ici cinq ans ». Si, avec sa franchise toute sudiste, Julien Tuffery se plaint que « le temps de la réindustrialisation textile prend des plombes », tandis que « seulement 3% de la population française consomme du textile "made in France" », une énergie de passionnés porte plus que jamais les choix d'une l'entreprise au plein potentiel encore inexploré, l'export ne représentant encore que 5% de son chiffre d'affaires, dont plus de la moitié provient du Japon. Ce n'est pas une priorité. Très sollicité, Atelier Tuffery n'exclut pas non plus de fabriquer pour d'autres marques sous conditions, sans pour autant passer le pas. Là encore, l'envie est de réfléchir en dehors des cases. Sans se presser, ni voir trop grand.

« L'idée est aussi de rendre le modèle duplicable,  lance Julien Tuffery. Si demain 1.000 m2 se libèrent en périphérie de Montpellier, en six mois nous pouvons reproduire une manufacture qui fabrique 35.000 jeans par an. »

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