Alternatives aux pesticides : Mycea lance la pré-industrialisation de bio-stimulants à base de champignons

Le débat autour des pesticides a retrouvé de la vigueur ces derniers jours, à la faveur de la colère des agriculteurs et des annonces faites par le gouvernement pour la calmer. Au Salon de l’agriculture à Paris, la deeptech montpelliéraine Mycea, qui développe des bio-solutions en utilisant certaines propriétés naturelles des champignons, fait œuvre de pédagogie sur la base de premiers résultats concluants. A Montpellier, elle s’apprête à mettre en service son outil de production pré-industrielle de bio-stimulants.
Cécile Chaigneau
Test d'efficacité in vitro sur des produits biocontrôle mis au point par la deeptech montpelliéraine Mycea, en alternative aux pesticides dans l'agriculture.
Test d'efficacité in vitro sur des produits biocontrôle mis au point par la deeptech montpelliéraine Mycea, en alternative aux pesticides dans l'agriculture. (Crédits : Mycea)

Le Salon de l'agriculture bat son plein à Paris (jusqu'au 3 mars). La colère paysanne gronde toujours, malgré les annonces faites par le gouvernement pour calmer la profession. Et le débat sur les pesticides est relancé, à la faveur de la crise qui secoue le secteur agricole (le gouvernement a annoncé la fin de l'indicateur d'usage des pesticides français, le NODU, et son remplacement par un nouvel indice, l'indicateur de risque harmonisé, dit HRI-1) mais aussi de l'actualité (des ONG qui dénoncent la présence toujours importante de résidus de pesticides, les PFAS, dans les fruits et légumes en Europe).

A l'automne 2023, la France avait présenté sa stratégie de baisse de l'utilisation des pesticides, une ambition qui n'est pas nouvelle : le premier plan gouvernemental, Ecophyto lancé en 2008, visait déjà une baisse de 50% de l'utilisation des produits phytosanitaires en dix ans, et un deuxième plan, en 2015, reprenait ce même objectif mais en le repoussant à l'horizon 2025... Après la décision du Premier ministre Gabriel Attal, annoncée le 1er février dernier, de mettre à l'arrêt le troisième plan Ecophyto, le changement de l'indicateur français du plan de réduction des pesticides est une nouvelle douche froide pour les ONG environnementales.

Pendant ce temps, les recherches autour d'alternatives aux pesticides se poursuivent. C'est le cas de la deeptech montpelliéraine Mycea, qui développe des bio-solutions en alternative aux engrais et pesticides chimiques dans l'agriculture en utilisant certaines propriétés naturelles des champignons. Créée en 2018 et employant aujourd'hui 28 salariés, elle avait réalisé une levée de fonds de 8 millions d'euros en décembre 2022.

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500.000 végétaux par an

Mycea travaille sur deux axes : la bio-stimulation (recherche de champignons vivants utilisés pour biostimuler la croissance des plantes) et le bio-contrôle (recherche des extraits ou molécules permettant de lutter contre les maladies fongiques des végétaux). Le second axe s'inscrivant dans un pas de temps plus long que le premier.

« Sur le volet bio-stimulation, nous avions commencé les essais au champ en 2020 sur des parcelles de vigne, et nous avons continué de déployer des parcelles expérimentales, notamment sur des espaces verts à Montpellier, Strasbourg, Mulhouse, La Rochelle, Nantes, Alès et Sète, qui donnent aujourd'hui des résultats intéressants, annonce indique à La Tribune Pierre-Jean Moundy, fondateur associé et co-directeur général de Mycea, depuis les allées du Salon de l'agriculture. Notre outil de production à échelle pré-industrielle sera mis en service le 11 mars prochain à Saint-Gely-du-Fesc (près de Montpellier, NDLR). L'objectif est de produire la quantité de champignons permettant de mycorhizer 500.000 végétaux par an. Et nous avons les capacités pour multiplier par quatre cette production. »

Les espaces verts expérimentaux ont livrés des résultats que commente Dominique Barry-Etienne, co-directrice générale et associée de Mycea : « Les arbres qu'on a mycorhizés ont une croissance plus importante et au niveau racinaire, les champignons se sont bien installés, ce qui indique que le système de symbiose est en place ». Pierre-Jean Moundy précisant : « Cette solution recrée une connexion entre la plante et le sol et rend la plante plus efficace pour aller chercher de l'eau et des minéraux. Et nous avons observé que les champignons qu'on apportaient non seulement s'installaient sur les systèmes racinaires mais aussi qu'ils se développaient sur le long terme sur toute la parcelle ! On peut donc parler de reconstitution de la biodiversité. Ce qui permet d'imaginer la phase suivante : une évolution des pratiques de gestion vers des pratiques d'agroécologie, et donc un changement de modèle agricole ».

Pierre-Jean Moundy et Dominique Barry-Etienne, co-directeurs et fondateurs-associés de Mycea.

Pierre-Jean Moundy et Dominique Barry-Etienne, co-directeurs et fondateurs-associés de Mycea (© Mycea).

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Faire évoluer le cadre réglementaire

Mycea devrait présenter officiellement ces résultats à la fin printemps aux collectivités participant à l'expérimentation, en vue d'un déploiement commercial de ces produits de bio-stimulation sur ces zones fin 2024 ou début 2025.

« Concomitamment, nous menons des discussions sur les évolutions réglementaires avec le ministère de l'Agriculture pour pouvoir commercialiser ces produits, indique Pierre-Jean Moundy. Le cadre réglementaire existant aujourd'hui pour les produits mycorhiziens est orienté "produit", c'est-à-dire qu'il doit toujours avoir la même composition. Or notre produit dépend des espèces de champignons qu'on collecte localement : on utilise ce qui est naturellement présent sur un site, ce qui signifie que sa composition change. En mars 2023, le ministre de l'Agriculture a annoncé, dans le cadre du plan souveraineté fruits et légumes, un cahier des charges de "bio-amplification" qui sera prêt à l'automne 2024. »

Contre le mildiou de la vigne

Sur les produits en bio-contrôle, Mycea a constitué une bibliothèque de plus de 600 espèces de  champignons en vue d'identifier des molécules permettant de lutter contre les maladies fongiques agricoles. La deeptech s'est équipée de quatre fermenteurs de 5 litres et d'un fermenteur de 20 litres pour les produire. Même si ce programme est un processus long, Mycea annonce aujourd'hui que deux produits sont prêts pour des essais en champ qui démarreront au printemps en Occitanie, contre le mildiou de la vigne.

« Nous continuons d'identifier de nouveaux champignons-candidats, notamment contre la tavelure des pommiers et des poiriers, le mildiou de la pomme de terre, le botrytis ou la septoriose du blé, déclare Pierre-Jean Moundy. Nous voulons lancer un fermenteur de 300 litres d'ici la fin 2024... Et nous espérons pouvoir déposer un dossier d'autorisation de substance active fin 2025 (soit environ trois ans avant de lancer la commercialisation, NDLR). Jusqu'à présent nous travaillions sur les fongicides et aujourd'hui, nous étendons nos recherches sur les herbicides, les insecticides et les nématicides (pour tuer les nématodes, petits vers qui vivent dans les sols et génèrent des maladies racinaires, NDLR). »

Le Grand défi biostimulation et biocontrôle

Le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire devrait lancer, vendredi 1er mars dans le cadre du salon de l'agriculture, le « Grand défi biostimulation et biocontrôle pour l'agroécologie ». Une information que confirme à La Tribune une source du ministère. Le dispositif est doté d'une enveloppe financière de 42 millions d'euros apportés par l'Agence nationale de recherche (via des appels d'offres) et 18 millions d'euros de financements privés, pour la période 2024-2029. L'Association Biocontrôle et Biostimulation pour l'Agroécologie (ABBA) a été créée en novembre 2023 pour piloter le dispositif. En font partie des structures de l'enseignement, des entreprises de biocontrôle (dont Mycea), des instituts techniques, des acteurs de la transformation et de la distribution.

« Cela nous permet de travailler en collectif, sur des solutions complémentaires des nôtres, de tester l'imbrication de cette diversité de solutions et de montrer comment cette manière de gérer une parcelle agricole devient aussi performante que la manière traditionnelle, commente Pierre-Jean Moundy. Et ça permet aussi à l'Etat de se projeter pour voir quels leviers réglementaires faire bouger. »

La démonstration par le terrain

En attendant, Mycea profite du Salon de l'agriculture pour faire de la pédagogie et de la sensibilisation aux évolutions des pratiques qu'engendrent les produits de bio-stimulation et de bio-contrôle en alternative aux engrais de synthèse et pesticides.

« Aujourd'hui, tout le monde est prêt à aller vers une agriculture moins dépendante des pesticides, mais il reste des problématiques politiques ou économiques qui font que le système n'est pas prêt à accepter une baisse de rendements », analyse Dominique Barry-Etienne.

Pierre-Jean Moundy estime toutefois que « les positions ont heureusement beaucoup évolué en 20 ans, mais comme dans tout système complexe, ça prendra du temps de changer les modèles. Et la démonstration par le terrain est la meilleure des preuves ! ».

Cécile Chaigneau

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