Capitale européenne de la culture 2028 : « Les politiques publiques doivent regarder ce que la culture a à faire sur les grands enjeux globaux» (E. Négrier)

GRAND ENTRETIEN - Dans une semaine, le 13 décembre, on connaîtra la ville française désignée pour être Capitale européenne de la culture en 2028. Montpellier est en lice, avec Bourges, Clermont-Ferrand et Rouen. Décryptage des enjeux avec Emmanuel Négrier, chercheur en science politique au Centre d’études politiques et sociales (CEPEL), spécialisé dans les politiques culturelles.
Cécile Chaigneau
Emmanuel Négrier est chercheur en science politique au Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) à Montpellier, spécialisé dans les politiques culturelles.
Emmanuel Négrier est chercheur en science politique au Centre d'études politiques et sociales (CEPEL) à Montpellier, spécialisé dans les politiques culturelles. (Crédits : Richard Sprang)

LA TRIBUNE - Montpellier est dans la dernière ligne droite de la désignation de la ville française qui sera Capitale européenne de la culture en 2028*, en compétition avec Bourges, Clermont-Ferrand et Rouen. En quoi la candidature héraultaise est-elle d'envergure « européenne » ?

Emmanuel NEGRIER, chercheur en science politique au Centre d'études politiques et sociales (CEPEL), spécialisé dans les politiques culturelles - Il y a deux réponses possibles. Considérer que la candidature de Montpellier, comme les autres, soutient une dimension européenne au sens des liens, coopérations et logiques de programmation qu'elle contient. Mais également, en quoi correspond-elle aux critères de l'Union européenne pour être Capitale européenne de la culture ? Ces critères sont très ouverts, divers, et potentiellement contradictoires. Par exemple, développer une programmation artistique mais aussi défendre l'art pour des causes et des enjeux plus larges comme la question de l'eau, de durabilité environnementale, de cohésion territoriale et sociale, d'inclusivité, de parité, d'ouverture à une diversité de publics et de formes artistiques ("L'Eau qui nous relie", "le Futur en séries" et "Trans !" dans la candidature de Montpellier, NDLR). C'est la balance entre des objectifs intrinsèquement culturels et des objectifs extrinsèques, en collant à ces enjeux de manière pertinente et équilibrée.

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Quels sont les meilleurs atouts de la candidature de Montpellier ?

Je ne suis pas là pour évaluer cette candidature... Ce qu'on peut noter, c'est la grande diversité des propositions faites et la dynamique territoriale engagée (154 communes, NDLR), ce qui n'est pas original par rapport aux autres candidatures qui comportent elles aussi une forte tonalité territoriale. Mais c'est un point fort dans la trajectoire montpelliéraine : dans la tradition inaugurée par Georges Frêche dans les années 1970, la ville puis l'agglomération se sont distinguées des autres intercommunalités françaises par la dynamique de transfert de compétences à une entité plus vaste que la commune, mais cette histoire est restée largement montpelliéraine alors qu'aujourd'hui, on voit apparaître des logiques de décentrement, débordant de la seule métropole... Il sera intéressant de savoir si cette approche de coopération montpelliéraine est plus pertinente et justifiée que les autres à Bourges, Clermont-Ferrand et Rouen.

On est dans une phase de transition en matière de culture.

Quelles sont ses faiblesses ?

Le 18 novembre, lors de son déplacement pour rencontrer l'équipe de la candidature et visiter les lieux phares, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak a souligné une faiblesse qui est aussi une force de la culture à Montpellier : elle est sans doute l'une des métropoles, avec Clermont-Ferrand d'ailleurs, qui a le plus investi dans la culture avec le soutien de l'Etat et de la Région, ce qui fait déjà d'elle une capitale de la culture. Mais il faut rappeler que les précédentes villes françaises qui ont été Capitales européennes de la culture (Paris en 1989, Avignon en 2000, Lille en 2004 et Marseille en 2013, NDLR) n'étaient pas des parents pauvres des politiques culturelles. Et la candidature à ce label n'est pas destinée à des territoires qui manquent de projets ou de dynamisme culturel, simplement on leur demande de faire du label un levier d'évolution.

En effet, Montpellier déploie depuis longtemps une politique culturelle très dynamique : a-t-elle réellement besoin du soutien de l'Europe ?

Oui, mais pas parce qu'elle n'a pas suffisamment de moyens, d'autant que la contribution de l'Europe est modeste, à peine 10% du budget engagé par la candidature... Mais c'est un levier important car on est dans une phase de transition en matière de culture. Avant, l'enjeu des politiques culturelles était de développer une offre sectorielle dans le plus grand nombre de secteurs possibles et Montpellier a réussi ça. C'est ce que j'appelle une politique « néo-keynésienne de la culture » : investir, construire des équipements - le Corum, deux salles d'opéra, l'Arena, le MO.CO., des festivals de danse, de cinéma, de musique, etc. - et soutenir des opérateurs à l'échelle d'une métropole plus vaste que la seule ville. Puis attendre que le public réponde à l'appel. Ça a marché. Mais ce modèle est questionné aujourd'hui. L'entrée par la seule grande qualité d'une offre n'est plus suffisante, les politiques publiques doivent regarder la diversité du rapport entre les gens et la culture mais aussi ce que la culture à dire et faire sur les grands enjeux globaux. Or cette transition est tout sauf facile, car les grandes institutions montpelliéraines sont encore sous l'influence du paradigme keynésien, très tournées vers la seule excellence artistique. La candidature est un levier pour provoquer ces changements, leur donner une base et une philosophie collective.

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L'enjeu est d'avoir une stratégie de rayonnement culturel qui ne soit pas irresponsable sur le plan du bilan carbone.

Quelle chance représente ce label de Capitale européenne de la culture pour le territoire s'il gagne ?

L'impact sera à la mesure de l'influence que le label aura eue sur les enjeux de transformation territoriale - est-ce que les habitants des 154 communes auront une vision plus identifiée du territoire, est-ce qu'ils participeront aux propositions ? - mais aussi de transformation de la culture par son appropriation des enjeux globaux. En termes de retombées économiques, ce label aura-t-il bénéficié à Montpellier et moins aux autres communes, ou au contraire aura-t-il réussi le pari de la territorialisation pour les communes plus éloignées ? Le label donnera indéniablement un important coup de projecteur sur le territoire, c'est un outil pour doper le rayonnement d'une métropole. Mais aujourd'hui, est-on toujours dans cet objectif, pour des raisons environnementales notamment ? L'enjeu est d'avoir une stratégie de rayonnement culturel qui ne soit pas irresponsable sur le plan du bilan carbone et une approche d'un rayonnement partagé dans un territoire élargi mais qui n'est pas international.

Quelle chance représenterait, malgré tout, cette candidature si Montpellier n'est pas retenue ?

La force d'une candidature à un label est de mettre de côté des contraintes à la coopération et de faire en sorte de développer un esprit d'équipe là où persistaient des actions unilatérales ou des susceptibilités politiques, ce qui a été particulièrement vrai à Montpellier avant l'élection de Michaël Delafosse. On a un projet coopératif et ce n'est pas rien ! Si la candidature n'est pas couronnée de succès, on peut penser que la dynamique engagée aura créé notamment des phénomènes d'interconnaissance entre les acteurs politiques et culturels qui se tournaient le dos. Ce qui peut générer des projets qui n'étaient pas imaginables avant. En revanche, il existe toujours l'hypothèse que le soufflet retombe une fois l'enthousiasme de la candidature passé...

L'enjeu de la candidature est d'étendre le profil social des publics.

On a pu observer, par exemple à Marseille, un phénomène de gentrification de la ville quand elle a été Capitale européenne de la culture en 2013. Ce risque existe-t-il aussi pour Montpellier ou pour Sète ?

C'est une question très importante. On sait que la culture s'adresse surtout aux classes moyennes éduquées. Donc l'enjeu de la candidature est d'étendre le profil social des publics. On a constaté qu'à Marseille, ce label n'avait non seulement pas démultiplié les pratiques culturelles des groupes sociaux qui se tenaient à l'écart des offres culturelles mais qu'en plus, le coup de projecteur sur la ville avait produit des appétences pour venir y habiter chez catégories bourgeoises-bohème, ce qui pose un problème d'inégalité au sein de la ville car cela vient renchérir la hausse des prix de l'immobilier notamment. A Montpellier, la gentrification, c'est presque déjà fait, et à Sète également, où une nouvelle population « bobo » s'est installée et en même temps, la précarité sociale s'est accrue. Il y a donc un enjeu très lourd, mais la réponse à ces enjeux dépasse largement le champ de la culture.

* Deux autres villes européennes seront également Capitales européennes de la culture 2028 : České Budějovice (République tchèque) et Skopje (Macédoine du Nord, en attente d'approbation formelle).

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Cécile Chaigneau

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