Gouvernance de l’eau : « Il faut prendre des décisions, sans plus de tergiversations de l’Etat pour donner les rênes aux intercommunalités » (R. Banquet)

Dans le contexte de changement climatique et d’enjeux de plus en plus importants autour de la ressource en eau, les élus des intercommunalités plaident pour garantir le transfert obligatoire des compétences eau potable et assainissement collectif aux intercommunalités d’ici à 2026. Le 20 mars, Régis Banquet, président de Carcassonne Agglomération et vice-président d'Intercommunalités de France en charge du grand cycle de l'eau, fustige les tergiversation de l’Etat, défend l’urgence de ce transfert de compétence et invite à réfléchir à un nouveau modèle économique de l’eau.
Cécile Chaigneau
Les élus intercommunaux plaident pour un transfert de compétences total de l'eau et de l'assainissement aux intercommunalités à échéance du 1er janvier 2026.
Les élus intercommunaux plaident pour un transfert de compétences total de l'eau et de l'assainissement aux intercommunalités à échéance du 1er janvier 2026. (Crédits : DR)

A l'avant-veille de la Journée mondiale de l'eau le 22 mars, l'association Intercommunalités de France*, interroge la gouvernance de la politique de l'eau. Défendant le bien fondé d'une gestion intercommunale globale des politiques locales de l'eau, elle révèle une nouvelle cartographie mise à jour de 198 services d'eau dont le taux de rendement est inférieur à 50%, dont 151 sont en gestion communale « de manière isolée, en particulier en zone de montagne ». Intercommunalités de France précise par ailleurs que « parmi les 170 services au taux de rendement le plus faible, 116 sont des services communaux ». 


L'association des élus intercommunaux plaide donc pour le maintien du transfert obligatoire des compétences eau potable et assainissement collectif aux intercommunalités d'ici à 2026, comme prévu par la loi. En 2024, 607 intercommunalités sur 1.254 exercent la compétence Eau potable (48%) et 56% la compétence assainissement collectif. Or « plusieurs initiatives sénatoriales et des velléités de certaines communes, souvent de montagne, font craindre un report de cette obligation », soulignent les élus intercommunaux.

Leur argument : le contexte de changement climatique, avec son chapelet de sécheresses, inondations, pollution, conflits d'usage, etc. qui met la question de l'eau au cœur de crises sans précédents.

« On a observé récemment des périodes de sécheresse forte dans certains départements et d'inondations dans d'autres, et pourtant aujourd'hui, on affiche des hésitations face à cet enjeu vital ? Le message que nous voulons faire passer, c'est "arrêtons de jouer avec l'eau !", lance Sébastien Martin, président du Grand Chalon et président d'Intercommunalités de France. Commençons par régler une fois pour toutes la question de la gouvernance de l'eau en clarifiant les responsabilités : la politique de l'eau doit reposer au national sur l'État et au local sur les intercommunalités, qui doivent avoir à leur main tous les leviers, y compris l'eau potable et l'assainissement. »

Carte des services d'eau communaux et de leur taux de rendement (mars 2024) établi par Intercommunalités de France

Cartographie des services d'eau communaux et leur taux de rendement (© Intercommunalités de France - mars 2024).

« Penser à créer un ministère de l'Eau »

« L'eau, c'est maintenant que ça se joue, la question n'est plus de réfléchir mais de prendre des décisions, sans plus de tergiversations de l'Etat sur le fait de donner les rênes aux intercommunalités, lance Régis Banquet, maire d'Alzonne (Aude), président de Carcassonne Agglomération et vice-président d'Intercommunalités de France en charge du grand cycle de l'eau. Il faut une vision, une stratégie, du courage et de l'argent. Et il faudra peut-être demain penser à créer un ministère de l'Eau... Mais aujourd'hui, l'Etat est plus agile avec le rabot et ces milliards d'euros en moins vont aussi peser sur les politiques de l'eau ! On doit faire confiance à ceux qui connaissent le mieux leur territoire, car on ne gère pas l'eau pareil à Arras, Marseille ou Carcassonne ! Les intercommunalités ont la taille critique pour agir et la surface financière pour réaliser les investissements nécessaires, tandis que la commune est trop petite et les conseils départementaux et les Régions sont trop loin. »

L'élu audois souligne le retard pris en matière d'investissements : « En plus des 2,3 milliards d'euros actuellement mobilisés, il faudrait investir 4 à 5 milliards d'euros par an pour renouveler les réseaux d'eau potable et avoir des rendements corrects ».

Pour les intercommunalités compétentes pour la prévention des inondations (volet de la compétence Gemapi), « le défi ne se limite pas aux ouvrages de protection, qui sont certes nécessaires mais pas suffisants, il s'agit aussi de revoir l'aménagement du territoire pour faire place à l'eau dans la ville, et accompagner le renforcement d'une culture du risque ».

Lire aussiL'Etat lance une mission interministérielle sur l'optimisation de la gestion de l'eau dans les Pyrénées- Orientales

« Pluvio-anxiété »

Face aux inondations et aux sécheresses de plus en plus fréquentes et intenses, les élus agitent le chiffon rouge. Christian Leroy, président de la communauté de communes du Pays-de-Lumbres (Hauts-de-France), évoque les récentes inondations dans le Pas-de-Calais (novembre 2023 et janvier 2024), avec « 2.600 logements fortement impactés » : « L'intercommunalité a joué pleinement son rôle dans cette crise mais elle peut encore améliorer sa gestion de crise, notamment avec les Plan intercommunaux de sauvegarde et la mutualisation des moyens qui doit se déployer ».

L'élu des Hauts de France évoque aussi la question du financement pour la reconstruction (coût des inondations dans les Hauts-de-France estimé à 550 millions d'euros en 2023, pour un volume national de la taxe Gemapi prélevée par les collectivités de 274,9 millions d'euros en 2022), mais aussi celle de l'assurabilité des collectivités : « Des réflexions en cours pour faciliter le dialogue avec le monde de l'assurance et instaurer un palier minimal de risque à assurer car certaines collectivités sont obligées de s'auto-assurer, ce qui n'est pas tenable ».

« On pensait avoir un peu de temps devant nous pour s'adapter et on constate qu'on est au cœur du changement climatique, il va falloir avancer plus vite qu'on l'avait prévu, déclare-t-il. On parle beaucoup d'éco-anxiété : chez nous c'est la pluvio-anxiété. La moindre goutte d'eau crée un stress terrible chez nos habitants et l'impact psychologique des inondations est énorme. »

Faire évoluer le modèle de financement de l'eau

Si les élus intercommunaux plaident pour s'assurer de ce transfert de compétences, ils disent aussi la nécessité de réfléchir à faire évoluer le modèle économique de l'eau, « mis en péril à l'heure où les recettes des collectivités sont étroitement liées au volume d'eau consommé, alors même que l'on souhaite préserver la ressource ».  Intercommunalités de France indique ainsi une consommation d'eau potable, « souhaitable » qui diminue « de l'ordre de 1 à 2% par an », entraînant de fait une diminution des recettes.

« Moins on a de recettes et moins on a de marges de manœuvre pour nos investissements, donc ce modèle économique n'est plus adapté à l'impératif de sobriété, propose Régis Banquet. Il faut aller vers la performance de nos opérateurs, vers la récompense de la sobriété, avoir une autre vision de la part fixe dans la tarification de l'eau, etc. »

Lire aussi« Sur ce sujet vital de l'eau, on a besoin d'intelligence collective » (E. Servat)

« Marre des grandes lois qui ne résolvent rien »

Si les élus intercommunaux montent au créneau, c'est qu'il existe des résistances du côté des communes et des propositions de gouvernance différentes, par exemple reliée aux bassins versants qui ne coïncident pas forcément avec les intercommunalités. L'échéance du basculement en 2026, prévue par la loi, est donc incertaine...

« On peut regarder ailleurs mais les données que nous avons collectées pour établir cette carte des points noirs des réseaux d'eau sont une réalité, single Sébastien Martin. Dans certaines communes, cela revient à jeter l'eau par la fenêtre ! 1.254 intercommunalités dans le pays et plus de 8.000 services publics de l'eau : soyons sérieux... »

Faudrait-il passer par une nouvelle grande loi sur l'eau ? Sébastien Martin n'y est pas favorable : « L'organisation de la gouvernance des politiques de l'eau doit être clarifiée pour être plus limpide, plus opérationnelle et plus efficace. Ensuite à nous, intercommunalités, de mener les investissements nécessaires pour la protection et la qualité de la ressource. Il y en a marre des grandes lois qui ne résolvent rien, ce pays a assez de lois ! ».

* L'association fédère près d'un millier d'intercommunalités de toutes catégories juridiques : 17 métropoles, 205 communautés d'agglomération, 11 communautés urbaines, 10 établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, 720 communautés de communes. Soit près de 80% de la population française.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 9
à écrit le 21/03/2024 à 9:43
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Les intercommunalités? Voire. Je n'ai pas le sentiment que les problèmes d'inondations récurrentes dans les Hauts de France vont se régler à ce niveau, mais plutôt dans une adaptation de long terme de l'ensemble des territoires de la région (les Pays...

à écrit le 21/03/2024 à 6:31
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Les "intercommunalités"? Si l´idée est exacte, encore faudrait-il que ces EPCI aient la taille minimale pour ces tâches, or par exception on en a même, dans des zones pauvres, qui n´ont que 5.000 habitants, donc incapables d´avoir les compétences hu...

à écrit le 20/03/2024 à 23:34
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Belle problématique .. que certains édiles locaux ignorent ou ne veulent pas régler . Ex à la mairie D avon dans le 77, au projet de densification urbaine en logements supplémentaires et hôtel à côté de la gare de Fontainebleau - Avon, là maire a ann...

à écrit le 20/03/2024 à 23:33
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Belle problématique .. que certains édiles locaux ignorent ou ne veulent pas régler . Ex à la mairie D avon dans le 77, au projet de densification urbaine en logements supplémentaires et hôtel à côté de la gare de Fontainebleau - Avon, là maire a ann...

à écrit le 20/03/2024 à 18:26
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Cela se fait tout seul la gestion du privé est tellement catastrophique que tous reviennent au public.

à écrit le 20/03/2024 à 16:55
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Si c'est pour autoriser des mega bassines qui pomperont dans les nappes phréatiques: c'est Niet.

le 20/03/2024 à 18:26
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mega bassinnes = privé.

à écrit le 20/03/2024 à 16:46
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Si des gens se font du fric sur l'eau , la nourriture , l'énergie, la vie ,la santé etc ... ils feront tout pour réglementer, interdire , imposer , manipuler , contraindre, mentir et faire un maximum de profits . L'eau , l'énergie , le transport ,...

le 20/03/2024 à 18:12
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L'agriculteur à 35 heures par semaine , 5 semaines de congés payés et une vingtaine de jours d'arrêts maladie , faut dire que les kolkhoses ont été une vraie réussite en leurs temps !!! :

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