Réquisitions sévères contre Altrad (et Laporte) : trois ans de prison dont un ferme

Des peines lourdes, trois ans de prison dont un ferme, ont été requises mardi soir 20 septembre à l’encontre de Bernard Laporte, le président de la Fédération française de rugby, et du chef d'entreprise montpelliérain Mohed Altrad, également propriétaire et président du Montpellier Hérault Rugby (MHR) et sponsor du maillot du XV de France. Retour sur l’audience.
Bernard Laporte et Mohed Altrad dans la tourmente : le parquet national financier requiert des peines de trois ans de prison dont un ferme contre les deux hommes.
Bernard Laporte et Mohed Altrad dans la tourmente : le parquet national financier requiert des peines de trois ans de prison dont un ferme contre les deux hommes. (Crédits : DR)

(Mis à jour le 22 septembre)

Trois ans de prison, dont un ferme, ont été requis le 20 septembre, par le procureur financier François-Xavier Dulin, contre Bernard Laporte, le président de la Fédération française de rugby (FFR) réélu en 2020, et contre le chef d'entreprise montpelliérain Mohed Altrad, également propriétaire et président du Montpellier Hérault Rugby (MHR) et sponsor du maillot du XV de France. Des amendes, respectivement de 50.000 et 200.000 euros, ont également été réclamées à leur encontre.

Dénonçant des « faits stupéfiants », le parquet national financier (PNF) a aussi appelé le tribunal correctionnel de Paris à interdire, pendant deux ans et avec exécution immédiate, à M. Laporte d'exercer toute fonction dans le rugby et à M. Altrad, P-dg du géant du BTP éponyme, de gérer une société commerciale.

A l'issue d'un réquisitoire à deux voix de près de quatre heures, François-Xavier Dulin a estimé que les prévenus « ont abimé la probité entourant le rugby français »...

« Les principes cardinaux du sport ont été bafoués »

Les deux hommes sont soupçonnés d'avoir noué "un pacte de corruption" en 2017 : d'après l'accusation, l'ex-sélectionneur des Bleus aurait ainsi rendu une série d'arbitrages favorables au groupe Altrad et à son propriétaire - dont l'octroi du sponsoring maillot du XV de France - avec qui il avait noué un contrat d'image "secret" qui s'est traduit par le versement sans contrepartie de 180.000 euros début 2017.

Erigé en "pacte de corruption" d'un agent public, ce contrat constitue « le péché originel » de ce dossier, a estimé la procureure financière Céline Guillet, évoquant ses « conditions de négociation obscures » et son « montant inhabituel ».

Si Bernard Laporte n'exécutera aucune des prestations listées dans ce contrat, il va en revanche mener, dans les semaines suivant sa signature, des « interventions atypiques » et « problématiques » au profit de Mohed Altrad, de son groupe ou du club de rugby de Montpellier, estime Céline Guillet.

« Bernard Laporte a été aveuglé par ses intérêts privés avec le groupe Altrad », a renchéri François-Xavier Dulin.

L'accusation est notamment revenue sur l'intervention, le 30  juin 2017, de Bernard Laporte auprès de la commission d'appel de la FFR, statutairement indépendante, qui aurait eu pour effet d'alléger des sanctions disciplinaires infligées au MHR, notamment une amende de 70.000 euros ramenée à 20.000 euros après plusieurs appels du président de la FFR.

« C'est le fait le plus grave de ce dossier », estime François-Xavier Dulin, selon qui les « principes cardinaux du sport » ont alors été bafoués.

De 5,4 à 6,8  millions d'euros

Les procureurs se sont aussi attaqués aux conditions d'octroi du sponsoring maillot du XV de France au groupe Altrad, conclu début 2018 pour 6,8 millions d'euros par an, qui n'aurait pas donné lieu à « une mise en concurrence transparente » ou à « une procédure impartiale ».

« On a compris que la charte de déontologie (de la FFR) n'était pas le livre de chevet de M. Laporte », a ironisé Céline Guillet.

A l'audience, le président de la FFR avait avoué « n'avoir jamais lu » ce document...

« Tout ce qui est excessif est insignifiant », a réagi Jean-Pierre Versini-Campinchi, un des avocats de Bernard Laporte, dans sa plaidoirie.

La fédération, qui était en quête d'un partenaire maillot du XV de France à plus long terme, avait réalisé un premier tour de table à 9,9 millions d'euros, qui avait refroidi les partenaires historiques des Bleus. D'après une série de courriels dévoilés à l'audience, Mohed Altrad et la FFR étaient tombés d'accord fin juillet 2017 sur un deal à 5,4 millions d'euros. Et Mohed Altrad est formel : son groupe ne voulait pas débourser plus...

Après l'été, il acceptera pourtant d'en payer 6,8 millions pour des raisons que le tribunal correctionnel de Paris a peiné à comprendre lundi, la présidente Rose-Marie Hunault butant à plusieurs reprises sur les explications du chef d'entreprise montpelliérain.

Mohed Altrad explique avoir réclamé lui-même que la fédération lance un appel d'offres auquel son groupe sera le seul à concourir avec une proposition à 6,8 millions. Une subite demande de formalisme qui intrigue la présidente : est-elle liée à la révélation dans la presse, à la mi-août, du contrat liant Bernard Laporte à la holding Altrad et du versement des 180.000 euros ? Mohed Altrad, le nie, récusant en bloc la thèse de l'accusation selon laquelle il aurait soudoyé le président de la FFR, mais avance toutefois une nécessité de « sécuriser » juridiquement le futur partenariat.

« La France était déclassée, personne ne voulait de ce maillot », a clamé le P-dg, évoquant un « engagement patriotique » et son souhait de faire « quelque chose » pour la France.

Altrad opposé à un report de matches

L'accusation a également réclamé un an de prison, dont six mois ferme, contre le vice-président de la fédération Serge Simon, pour son rôle dans un autre volet du dossier : l'annulation, en mars 2017 par la FFR, d'un report de matches décidé par la Ligue nationale de rugby et auquel Mohed Altrad était notoirement opposé.

Enfin, deux ans de prison, dont un avec sursis, ont été requis contre Claude Atcher, récemment démis de ses fonctions de directeur de l'organisation du Mondial-2023, qui est soupçonné d'avoir perçu des sommes injustifiées de la part de la FFR en marge de l'attribution de cette compétition à la France. Le montant du préjudice causé à la FFR a été révisé à la baisse pendant le réquisitoire, de 80.400 à environ 73.000 euros.

« Tout le contraire d'un acte secret »

Les plaidoiries se sont terminées le 21 septembre.

« S'il y a bien un dossier où on sent qu'il y a eu une manipulation (...), c'est bien celui-là », a déclaré Me Antoine Vey dont le client Mohed Altrad qui considère que ce dossier repose sur un « fantasme de pacte corruptif », nourri par des « préjugés sur la moralité » des deux principaux prévenus.

Me Fanny Colin, avocate de Bernard Laporte, affirme que le contrat de 2017 ne saurait être un pacte corruptif parce que la rémunération n'a « rien d'inhabituel » pour un dirigeant comme M. Laporte mais aussi parce qu'il est « tout le contraire d'un acte secret » car conclu entre deux sociétés et inscrit dans leurs comptes.

Les avocats concèdent que les deux dirigeants auraient pu percevoir le risque de conflits d'intérêts mais cela ne suffit pas à caractériser une corruption, considérant qu'il manque des preuves au dossier.

S'agissant des conditions sinueuses dans lesquelles le sponsoring maillot du XV de France a été cédé, pour 6,8 millions d'euros, au groupe Altrad en octobre 2017, Me Vey plaide la « désorganisation » à la FFR.

Le jugement a été mis en délibéré au 13 décembre prochain.

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