Biodiversité aquatique : Ecocean se prépare à changer d’échelle en levant 1,2 million d’euros, notamment auprès de la Banque des Territoires

EXCLUSIF - Alors que l’un des quatre axes de la nouvelle « stratégie nationale biodiversité 2030 », présentée par Elisabeth Borne le 27 novembre, est la restauration de la biodiversité, l’entreprise montpelliéraine Ecocean, précurseur de la restauration des écosystèmes marins, boucle une levée de fonds de 1,2 million d’euros pour accélérer son développement. Le tour de table voit ainsi monter à son capital la Banque des Territoires via le programme Territoires d’innovation du plan France 2030, ainsi que le fonds Sud Mer Invest.
Cécile Chaigneau
La PME Ecocean propose des solutions pour restaurer les zones aquatiques et rebooster la biodiversité.
La PME Ecocean propose des solutions pour restaurer les zones aquatiques et rebooster la biodiversité. (Crédits : Ecocean - Remy Dubas)

Voilà vingt ans exactement que Gilles Lecaillon, biologiste marin et fondateur de l'entreprise montpelliéraine Ecocean, arpente les fonds marins. Au début de son aventure entrepreneuriale, pour la valorisation durable de la ressource marine (il a été le pionnier de la technologie de capture et de culture de post-larves pour limiter les prélèvements en milieux naturels), puis pour restaurer les zones aquatiques et rebooster la biodiversité. Son expertise et sa renommée en matière de restauration écologique marine est aujourd'hui internationalement reconnue, d'autant que le biologiste-dirigeant a fait valider ses solutions scientifiquement, notamment par l'Université de Perpignan avec laquelle Ecocean collabore depuis ses débuts.

La restauration écologique en milieu marin, et plus généralement en milieu aquatique, s'est récemment structurée en une filière innovante, indispensable face à la fragilité et aux menaces qui pèsent sur les milieux naturels endommagés par l'Homme. En vingt ans, Ecocean a pris de l'avance et est devenue un des leaders européens.

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Nurseries artificielles ou radeaux flottants végétalisés

Précurseur de la restauration des écosystèmes marins, Ecocean s'est également développé sur les eaux continentales (eaux douces). L'entreprise met en œuvre une combinaison de solutions complémentaires pour repeupler la mer et les eaux continentales : des nurseries artificielles brevetées (habitats artificiels fournissant le gîte, le couvert et une protection contre les prédateurs des post-larves) baptisées Biohut, une solution de repeuplement à partir de la capture et l'élevage de larves sauvages (BioRestore), et des radeaux flottants végétalisés en eau continentale.

Son engagement a été récompensé par plusieurs prix, notamment le Grand Prix Entreprises & Environnement décerné par le ministère de l'Environnement en 2016, ou l'obtention du label « Solution efficiente » décernée par la Fondation Solar Impulse en avril 2021 pour ses nurseries Biohut.

L'entreprise revendique ainsi aujourd'hui l'installation de plus de 5.000 nurseries Biohut dans 54 ports de 14 pays (dont des ports majeurs comme ceux de Copenhague, de Bruxelles, de Monaco ou de Paris) ou de 800 m2 de radeaux végétalisés sur les canaux dans treize villes (dont Bruxelles ou Paris). Ecocean collabore aussi avec des sociétés françaises leaders comme Veolia, Ocean Winds (joint-venture entre Engie et EDP Renováveis pour œuvrer dans l'éolien offshore), le transporteur-logisticien CMA CGM*, RTE, ou Eiffage.

« Le siège de CMA CGM est à Marseille, où Ecocean a une ferme et une station marine dans le grand port maritime... CMA CGM nous donnent des moyens financiers et matériels, et nous allons bientôt équiper un de leur terminal, à Abou Dabi », précise Gilles Lecaillon.

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Changer d'échelle

Ecocean a réalisé un chiffre d'affaires de 1,7 million d'euros en 2022 et emploie aujourd'hui 21 personnes. Mais son dirigeant est conscient des enjeux à venir et de la nécessité pour l'entreprise de grandir : « Le contexte fait que nous allons être très sollicités et nous devons nous préparer à changer d'échelle ».

Ecocean annonce ainsi avoir bouclé une levée de fonds de 1,2 millions d'euros auprès de La Banque des Territoires (pour le compte de l'Etat à travers le programme Territoires d'innovation de France 2030, et en partenariat avec le programme Littoral+ de la Région Occitanie), et de Sud Mer Invest, filiale de la Banque Populaire du Sud. Gilles Lecaillon reste actionnaire majoritaire.

Il s'agit de la 3e levée de fonds pour la PME, les deux premières, en 2009 et 2014, étant de plus petite envergure (25.000 et 150.000 euros).

L'entreprise étant techniquement mature, cette levée permettra à Ecocean d'accélérer le déploiement commercial de ses solutions, en particulier à l'international, mais également de développer ses activités dans le marché émergent de l'éolien offshore flottant.

En 2019, Ecocean a installé une bouée d'observation de la biodiversité marine au large de Leucate, en vue d'étudier les espèces susceptibles d'être impactées par l'installation des futures éoliennes en mer flottantes (© Ecocean - Remy Dubas)

En 2019, Ecocean a installé une bouée d'observation de la biodiversité marine au large de Leucate, en vue d'étudier les espèces susceptibles d'être impactées par l'installation des futures éoliennes en mer flottantes (© Ecocean - Remy Dubas)

Déjà six ans sur l'éolien flottant

« Nous voulons maintenant nous déployer à l'international, accélérer sur les solutions en eaux douces en France, sur lesquelles il n'existe pas grand chose aujourd'hui en matière de restauration écologique et qui représente un marché non négligeable, et développer notre activité sur l'éolien offshore, en particulier l'éolien offshore flottant, mais aussi sur les panneaux photovoltaïques flottants qui sont en train de fortement se développer, indique Gilles Lecaillon. Concernant l'éolien flottant, cela fait déjà six ans que nous travaillons dessus. Nous avons notamment installé une bouée d'observation de la biodiversité marine en 2019, à 16 km au large de Leucate, pour savoir réellement ce qu'on pouvait y faire écologiquement (étudier les espèces susceptibles de se développer aux abords et sur les structures éoliennes, NDLR). Maintenant on sait et on est les seuls, et aujourd'hui, tous les opérateurs d'énergie, français et étrangers, nous connaissent. Nous sommes positionnés sur l'AO5 et sur l'AO6 (procédures concurrentielles pour les parcs éoliens offshore en Bretagne sud et en Méditerranée, NDLR) et nous nous équiperons les éoliennes de la ferme-pilote EFGL pour Ocean Winds. »

A l'international, le dirigeant annonce vouloir aller conquérir en priorité les marchés européens (Suède, Norvège, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal et Suisse) mais aussi s'intéresser à la zone des Emirats Arabes Unis, Oman ou Qatar. Les Etats-Unis et le Canada sont une cible mais une cible réduite « au réseau Green Alliance qui certifie des ports engagés, soit une centaine de clients potentiels », précise Gilles Lecaillon.

Le dirigeant prévoit de renforcer ses effectifs : « Nous venons de recruter un directeur commercial et il va falloir structurer une cellule commerciale mais aussi recruter des plongeurs pour installer les solutions et des chargés de projet, soit quatre ou cinq personnes dans les deux ans ».

Un investisseur pas comme les autres

« La Banque des Territoires est l'un des quatre opérateurs du plan d'investissement France 2030 dont le programme Territoires d'innovation est l'une des actions, doté d'une enveloppe de 450 millions d'euros dont un tiers en subventions, le reste en investissements en fonds propres, rappelle Gabriel Giabicani, directeur adjoint de l'investissement à la Banque des Territoires. L'Etat nous a donc confié la mission d'accompagner l'innovation dans les territoires sur les enjeux de demain, et notamment pour la restauration de la biodiversité sur les territoires. Nous testons la solidité du projet ou de l'entreprise mais avec deux  suppléments d'âme : l'impact extra-financier pour le territoire et l'adéquation aux objectifs du projet de territoire initial, en l'occurrence pour Ecocean la protection du littoral. Ecocean, grâce à ses solutions techniques innovantes, fiables et scientifiquement robustes, apporte une réponse concrète et efficace aux enjeux de la protection et redynamisation de la biodiversité aquatique sur les territoires... Nous avons signé avec eux ce 29 novembre. Il s'agit là du 45e investissement au capital d'une entreprise pour le programme Territoires d'innovation. »

Du côté de Sud Mer Invest, Benoît Viguier, son président déclare : « Nous connaissons bien Ecocean et Gilles Lecaillon. Les résultats obtenus par son équipe depuis plusieurs années sont significatifs et remarquables dans le domaine de la restauration des milieux  aquatiques. Leur maîtrise des techniques de nurserie et de la préservation des habitats pour les juvéniles les positionnent comme un des leaders européens en la matière ».

La Banque des Territoires n'est cependant pas un investisseur comme les autres et Gilles Lecaillon n'en attend pas que de l'argent frais : « Ecocean bénéfice déjà d'une belle crédibilité mais la présence de la Banque des Territoires au capital vient la renforcer, notamment auprès des gros aménageurs, d'autant que la Banque des Territoires a investi dans beaucoup de projets portuaires ou dans l'éolien offshore ».

Inconvénient : « la biodiversité aquatique ne se voit pas »

Le 27 novembre, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité, qui s'articule autour de quatre grands axes : réduire les pressions, restaurer la biodiversité, mobiliser les acteurs, renforcer les moyens. Gilles Lecaillon voit évidemment ces évolutions d'un bon œil, lui qui observe depuis vingt ans la (lente) progression des prises de conscience sur la biodiversité aquatique.

« Oui bien sûr, ça me satisfait... Les agences de l'eau notamment ont montré qu'il y avait des projets, une filière avec des solutions et des résultats, et ça pousse les politiques publiques dans ce sens, note-t-il. En vingt ans, il y a eu des changements ! On a rapidement vu, avec les directives européennes, notamment celle de 2008, qu'il fallait regarder comment améliorer les écosystèmes marins côtiers. Quinze ans après, on a apporté des solutions et désormais, les maîtres d'ouvrage pensent à la biodiversité marine. Les mentalités ont bougé... Nous avons travaillé avec les services de l'Etat, les DREAL, les agences de l'eau ou le ministère de l'environnement qui a encadré le volet réglementaire qui arrive. Jusqu'à présent, on manquait de connaissances sur l'impact, sur ce qu'il fallait compenser, mais c'est en train de changer. On voit de plus en plus de projets avec des mesures compensatoires ou, au moins, des mesures d'accompagnement. Mais il y a un côté négatif : la biodiversité aquatique a un inconvénient, c'est qu'elle ne se voit pas, ce qui permet à des entreprises de proposer n'importe quoi comme solutions à des aménageurs qui n'y connaissent rien, et risque de tirer la filière vers le bas. Nous, nous avons fait valider nos solutions scientifiquement. Cela représente un investissement de longue haleine, environ 2 millions d'euros de fonds propres en recherche pendant dix ans... Avant, il fallait convaincre les aménageurs, aujourd'hui, il faut les acculturer. Heureusement en France, les services de l'Etat ont mis des bases et des garde-fous. Mais nous allons aller à l'international, et dans beaucoup de pays, il n'y a pas ces garde-fous. C'est pourquoi nous allons procéder comme nous avons déjà fait au Danemark où nous avons d'abord convaincu le WWF Danemark : nous allons commencer par les têtes de réseau, des organismes qui sont consultés et qui ont de l'influence. »

* Propriétaire de La Tribune.

Cécile Chaigneau

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