Projets pilotes d’éolien en mer : « Les banques risquent de nous fermer le robinet des financements »

La tension monte. Les consortiums porteurs des projets de fermes-pilotes d’éolien en mer flottant en Méditerranée (Qair et Total Energies pour EolMed, et Engie et EDP Renewables pour EFGL) agitent le chiffon rouge depuis le début de l’année sur un équilibre financier qui ne tient plus. Alors qu’ils discutent aujourd’hui avec Bercy, aucune solution n’est encore sur la table. Le spectre de l’abandon des projets, pourtant préfigurateurs de la filière française, plane... Avant-hier, le sénateur héraultais Henri Cabanel est monté au créneau, insistant sur la dimension économique en termes d’emplois notamment. Et il se fait l'écho des industriels : « Ça presse »…
Cécile Chaigneau
Le flotteur choisi pour le projet de ferme-pilote d'éoliennes en mer EFGL par Ocean Winds compte trois colonnes de 15 mètres de diamètre et 22 mètres de haut, formant un triangle et raccordées par des poutres de 70 mètres de long. Les pales des éoliennes mesureront, quant à elles, 82 mètres.
Le flotteur choisi pour le projet de ferme-pilote d'éoliennes en mer EFGL par Ocean Winds compte trois colonnes de 15 mètres de diamètre et 22 mètres de haut, formant un triangle et raccordées par des poutres de 70 mètres de long. Les pales des éoliennes mesureront, quant à elles, 82 mètres. (Crédits : Ocean Winds)

Les porteurs des deux projets de fermes-pilotes d'éolien en mer flottant en Méditerranée, au large de Gruissan (Eolmed) et de Leucate et Le Barcarès (Eoliennes flottantes du golfe du Lion - EFGL) accentuent la pression sur le gouvernement. Les deux projets sont largement avancés (quoiqu'avec deux années de retard en raison des crises sanitaires et géopolitiques récentes), leurs éoliennes devraient être livrées cet été et les fermes-pilotes terminées en 2025...

Mais depuis le début de l'année, Qair et Total pour EolMed, et Engie et EDP Renewables réunis au sein de la joint-venture Ocean Winds pour EFGL, agitent le chiffon rouge sur le financement de leur projet respectif. Car depuis l'attribution de l'appel à projet de l'Ademe en 2016, les enveloppes budgétaires ont explosé, leurs fournisseurs subissant successivement la crise sanitaire du Covid, la guerre en Ukraine, la crise de l'énergie, et l'inflation. Chez Qair, le président Jean-Marc Bouchet annonce une hausse de 52%. « On ne communique pas sur ce chiffre mais on est proche des 52% », indique quant à lui Frédéric Flaus, directeur du projet chez Ocean Winds.

« Au départ, le tarif d'achat a été octroyé à 240 euros le MWh, on demande à ce qu'il soit porté à 320 euros le MWh », expliquait Laurent Vergnet, directeur Offshore chez Qair, à La Tribune le 2 mai dernier.

Olivier Guiraud, directeur général de Qair Marine rappelle qu'« en 2022, l'État a pris des mesures d'urgence pour les énergies renouvelables, en indexant les tarifs d'achat de l'électricité de tous les projets, mais les fermes-pilotes n'ont pas fait partie du wagon, ils les ont oubliées ! ».

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« C'est comme si l'État abandonnait les projets »

Qair, Engie mais aussi EDF (porteur du projet de ferme-pilote au large de Fos-sur-Mer) ont adressé, fin février, un courrier aux pouvoirs publics pour exposer cette situation et demander un soutien financier compensateur par l'indexation du tarif d'achat de l'électricité sur l'inflation.

Las. Un mois plus tard, la situation est au point mort. Après de nombreux échanges avec l'administration et les cabinets ministériels, les industriels sont maintenant reçus au cabinet de Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie sous la coupe de Bercy... Mais sans solution sur la table à ce jour.

« Nous continuons de penser que la solution reste l'indexation du tarif de rachat sur l'inflation mais on nous a répondu que c'était non, raconte Olivier Guiraud le 6 juin. Nous continuons à faire des propositions mais le temps presse. A partir de début juillet, en raison de certaines échéances bancaires et des demandes de paiement des sous-traitants, et si l'Etat ne donne pas de signe positif, ça va devenir très compliqué. On rentre dans l'inconnu... Le risque, c'est que les banques nous ferment le robinet des financements si elles ne croient plus au projet. Et là, on serait en cessation de paiement. Et si les sous-traitants nous lâchent, il y aura des contentieux, des procès... Personne n'a envie d'abandonner les projets de fermes-pilotes, ni même d'y penser ! Mais si rien n'est fait, c'est comme si l'Etat abandonnait les projets. »

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« Les banques commencent à tousser »

Chez Ocean Winds, Frédéric Flaus, qui rappelle que cette phase de construction mobilise quelque 500 personnes au total, s'efforce de rester positif. Le 27 mai dernier, il déclarait à La Tribune : « Sur ce projet, nous avons réussi à convaincre des banques internationales : la Banque européenne d'investissement, une banque danoise, une banque allemande, une banque japonaise. Mais elles commencent à tousser... Les prêteurs sont dans une logique claire : ils veulent être sûrs de nos capacités à rembourser. Or si le tarif de rachat n'atteint pas ce fameux ratio de couverture de la dette, ils pourraient craindre que sur les vingt ans de la durée de financement, Ocean Winds ne soit pas en capacité d'assurer le remboursement de sa dette, et il y a le risque qu'ils se retirent. A un moment, ça va devenir critique ! »

Olivier Guiraud prévient : « Aller se fournir ailleurs n'est pas envisageable, ça coûterait forcément plus cher ! Si le chantier devait s'arrêter, ça mettrait un sérieux coup dans l'aile à la filière française. Alors qu'on parle de souveraineté industrielle... ». Et demander aux actionnaires de remettre de l'argent frais ? Là aussi, l'industriel est catégorique : « Les apports de cash sur ce projet sont finis. On connaît le productible du parc éolien, on a un tarif d'achat fixe donc on sait que l'équation ne sera pas équilibrée. Ni Total Energies ni Qair n'auront jamais l'autorisation de leur conseil d'administration pour mettre de l'argent à perte ! ».

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« Ça presse ! »

Lors de la séance publique du 4 juin au Sénat, le sénateur héraultais Henri Cabanel (PS) est monté au créneau : « EolMed est le seul projet d'éolien flottant en France construit à 80% de son coût par des entreprises françaises et il préfigure la filière française de l'éolien en mer. Aujourd'hui, il est en danger et avec lui, l'avenir de trois entreprises, avec 600 emplois à la clé. Quel soutien allez-vous engager ? (...) Il y a cette possibilité d'indexation du tarif d'achat mais il y a aussi la transformation des avances remboursables de l'Ademe en soutien au Capex, et une prise en charge par RTE de tout ou partie du raccordement au réseau. Ça presse ! ».

C'est la secrétaire d'Etat chargée du numérique, Marina Ferrari, qui était chargée de porter la réponse du gouvernement.

« Notre objectif est que ces deux projets pilotes se finalisent le plus rapidement possible, a-t-elle affirmé. Vous indiquez que le budget du projet EolMed a explosé. Si une part de cette hausse est effectivement due au contexte inflationniste, une part substantielle des surcoûts est la conséquence des retards pris par le maître d'ouvrage, des difficultés contractuelles avec ses fournisseurs et de mauvais choix technologiques. Nous tavaillons sur tous les leviers : les leviers économiques à la main de l'Etat mais toujours dans un esprit de responsabilité budgétaire, et les leviers industriels qui pourraient permettre une reprise en main industrielle du projet en lien avec les fournisseurs et le partenaire du projet Total Energies ».

Une réponse qui ne satisfait pas Olivier Guiraud : « Quels mauvais choix technologiques ? Le turbinier allemand a fait faillite en cours de route, on ne pouvait pas le prévoir... Quant au retard ou aux difficultés contractuelles avec les fournisseurs, ils sont liés à la crise ».

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Cécile Chaigneau

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