Maillage aéroportuaire en Occitanie : « L’argent public n’est pas dépensé de façon optimale »

Neuf aéroports en Occitanie pour un trafic trop faible. Et une dépendance des aéroports aux compagnies aériennes low-cost qui aboutit à un modèle économique non viable, reposant sur le versement (non optimal) de subventions publiques pour compenser des déficits récurrents et qui pourrait, en 2027, être décrété irrégulier par l’Europe. Or cette échéance semble complètement ignorée des exploitants des sept aéroports régionaux… La Chambre régionale des comptes d’Occitanie rend les conclusions de son enquête sur le maillage aéroportuaire régional. Décryptage.
Cécile Chaigneau
L'aéroport de Béziers, qui accueille moins de 250.000 passagers par an, affiche un déficit de 3,5 millions d'euros (pour 4,3 millions d'euros de subventions publiques).
L'aéroport de Béziers, qui accueille moins de 250.000 passagers par an, affiche un déficit de 3,5 millions d'euros (pour 4,3 millions d'euros de subventions publiques). (Crédits : DR)

Neuf aéroports dans la seule région Occitanie pour un trafic trop faible. C'est cette situation que la Chambre régionale des comptes (CRC) a interrogé dans le cadre d'une enquête nationale sur le maillage aéroportuaire en France, et qu'elle vient de rendre publique. L'enquête en Occitanie, qui s'intéresse aux exercices de 2017 à 2021 (2019 en réalité car 2020 et 2021 ne sont pas significatives en raison de la crise sanitaire), porte sur les sept aéroports régionaux dits « intermédiaires », excluant les deux aéroports « d'intérêt national » de Toulouse et Montpellier, qui enregistrent respectivement 10 et 2 millions de passagers par an (soit 71,5% et 14,4% du trafic régional).

Les 14% restant sont développés par les sept autres aéroports, dont la CRC relève le caractère « import » (accueillir des passagers étrangers, provenant généralement d'Europe du nord) : avant la crise sanitaire, les plateformes aéroportuaires de Carcassonne, Tarbes et Perpignan connaissaient un trafic d'environ 400.000 passagers par an, Nîmes et Béziers de moins de 250.000, Rodez et Castres de moins de 100.000. Valérie Renet, la présidente de la Chambre régionale des comptes (CRC) d'Occitanie, rappelant que « tous les aéroports de taille intermédiaire, ayant un trafic inférieur à 700.000 passagers par an, peuvent être fragiles »...

« Cette enquête intervient maintenant parce que la crise sanitaire a pointé les fragilités du transport aérien, parce que les préoccupations environnementales sont aujourd'hui davantage mises en avant, parce que nous avons voulu examiner la qualité de la dépense publique mais aussi parce qu'on arrivera, en 2027, à la fin de l'échéance donnée par la commission européenne, qui régit le transport aérien et la concurrence entre les aéroports au niveau européen, pour dire si les aides publiques aux financements des plateformes aéroportuaires sont régulières ou si elles sont considérées comme des aides d'Etat faussant la concurrence, explique la magistrate. Par principe, la commission européenne estime que les aéroports doivent s'équilibrer sans subventions publiques, mais nous sommes dans la période transitoire durant laquelle elles sont encore autorisées. »

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13 millions de passagers pour une capacité de 17 millions

« Le modèle économiques de ces sept aéroports régionaux est déséquilibré : il repose sur des vols commerciaux à bas coûts (hormis celui de Castres, tous les aéroports occitans proposent des liaisons à bas coût, NDLR) financés par des financements publics, dont la régularité n'est pas certaine », décrypte la présidente de la CRC Occitanie.

Si le modèle économique est considéré non viable par le gendarme des finances publiques, c'est tout d'abord en raison d'une sur-densité du maillage aéroportuaire, « avec des situations de concurrence entre aéroports : des zones de desserte se chevauchent notamment sur le littoral, par exemple Nîmes qui est concurrencé par Marseille et Montpellier, ou Béziers, Perpignan et Montpellier qui se chevauchent sur le littoral, ou encore Pau et Tarbes ».

La CRC avait d'ailleurs recommandé de promouvoir auprès des aéroports de Nîmes et Montpellier la création d'un comité de développement commun afin de mettre en œuvre une stratégie concertée. Ce qui n'a, à ce jour, pas été fait.

A cette densité, s'ajoute une faiblesse du trafic : « Les capacités des aéroports ne sont pas utilisées au maximum : leur capacité théorique est de 17 millions de passagers alors qu'ils n'en accueillent que 13 millions, la pire performance était celle de l'aéroport de Nîmes, dimensionné pour 800.000 passagers par an et qui n'en accueille que 230.000 », souligne Valérie Renet.

Autre fragilité : la dépendance des aéroports aux compagnies low-cost, « ce qui met les exploitants des aéroports en position de faiblesse dans la négociation avec les transporteurs : les transporteurs classiques se détournant de ces plateformes en raison d'un trafic trop faible, il ne reste que les compagnies à bas coûts, et pour les attirer, les exploitants mettent en place des procédés incitatifs comme des aides au démarrage de ligne ou des contrats marketing pour développer les lignes ».

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30 millions d'euros de subventions publiques

Si les sept aéroports ont dégagé 56 millions d'euros de produits d'exploitation par an, aucun n'a dégagé de résultat d'exploitation positif sans subventions publiques au cours de la période 2017-2019. En effet, les mécanismes d'aides créent un déficit d'exploitation d'en moyenne 2 millions d'euros par an et par aéroport, selon le gendarme des comptes publics. Les plus mauvais élèves sont les aéroports de Béziers, avec un déficit de 3,5 millions d'euros (pour 4,3 millions d'euros de subventions), et de Carcassonne, avec un déficit de 3 millions d'euros (pour 3,4 millions d'euros de subventions). Les aéroports de Rodez, Tarbes et Nîmes tirent mieux leur épingle du jeu...

Les exploitants sont donc obligés de faire appel à des subventions publiques pour compenser. Soit « près de 30 millions d'euros par an sur les sept aéroports, qui viennent compenser le bas prix des billets, ce qui équivaut à 16 euros par passager », indique Valérie Renet.

Sur ces presque 30 millions d'euros (dont 43% en provenance de la Région), 17,2 vont au fonctionnement, 6,4 au financement des lignes d'aménagement du territoire avec Paris sur Castres, Rodez et Tarbes, et 4,5 à l'investissement. Sur les 17 millions de subventions d'équilibre, 11 sont fléchés sur les contrats de marketing avec les compagnies low-cost, essentiellement la compagnie irlandaise Ryanair, qui est même l'unique opérateur sur les aéroports de Carcassonne, Béziers et Nîmes.

« Or ces procédés ne sont pas forcément légaux - d'ailleurs, à Montpellier, la commission européenne a statué sur l'irrégularité de l'aide, raison pour laquelle Ryanair est parti pour aller à Béziers - et leur coût est disproportionné par rapport aux charges réelles des compagnies, même si une partie peut correspondre à un vrai service par le juge européen. »

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« Rien ne dit que... »

Les collectivités territoriales, à commencer par la Région Occitanie, plaident pourtant la cause de ces aides publiques, arguant de retombées économiques substantielles, 1,5 milliards d'euros par an, et de 27.000 emplois dans le secteur aéroportuaire.

« Or il nous apparaît difficile de chiffrer réellement ces retombées, affirme Valérie Renet. Cette dépense est-elle pertinente ? Selon nous, non. Car rien ne dit que les retombées ne seraient pas identiques sans ces aides et rien ne dit que si les touristes qui arrivent d'Europe du Nord par Béziers atterrissaient à Montpellier, cela limiterait leur nombre... »

Aux impératifs de désenclavement que font aussi valoir les collectivités, la stratégie régionale répond par des lignes d'aménagement du territoire : trois liaisons vers Paris-Orly sont en service en Occitanie à partir de Castres, Rodez et Tarbes, et une quatrième est en projet depuis Carcassonne. Cette dernière, qui coûterait 3,6 millions d'euros supplémentaires par an en subventions publiques, ne se justifie pas selon la CRC qui estime que Carcassonne ne peut pas être considérée comme enclavée et rappelle que la ligne a existé mais a été fermée dans les années 2000 car elle ne rencontrait pas le succès escompté. D'autant qu'avec la liaison Tarbes-Paris, une liaison Carcassonne-Paris serait susceptible de créer une concurrence déloyale, notamment à l'égard de l'aéroport de Pau qui opère une même liaison sans aides publiques.

« 100 fois plus d'émissions de CO2 »

Selon la CRC, d'autres régions tout aussi touristiques que l'Occitanie ont su développer une coordination plus efficiente entre leurs plateformes aéroportuaires, « notamment la Normandie ou la Bretagne », indique Valérie Renet.

« On ne préconise pas la fermeture d'aéroports, qui répondent parfois à d'autres besoins spécifiques du territoire, par exemple pour le secteur industriel aéronautique à Perpignan et Tarbes, pour la base de sécurité civile à Nîmes, ou pour les activités militaires à Carcassonne, ajoute la présidente de la CRC Occitanie. Et les aéroports de Rodez et Castres répondent bien à des besoin de désenclavement.... Mais il s'agit de voir si l'argent public pourrait être employé à meilleur escient. D'autant qu'aujourd'hui se posent des questions environnementales : depuis les aéroports qui ont des liaisons avec Paris, on gagne, par rapport au rail, 44 minutes entre Perpignan et Paris, 21 minutes entre Tarbes et Paris et 59 minutes entre Carcassonne et Paris, mais au prix de 100 fois plus d'émissions de CO2 ! »

La magistrate est claire dans sa conclusion : « Non, l'argent public n'est pas dépensé de façon optimale sur les aéroports en Occitanie. »

Et la CRC s'inquiète maintenant d'un point : la perspective de la décision par la commission européenne de ne plus autoriser le versement d'aides publiques aux aéroports à compter de 2027, et donc une prochaine injonction d'équilibre qui devrait d'ores et déjà être envisagée dans la stratégie régionale.

« Les exploitants ne prennent pas en compte cette date et font comme si elle était repoussée ad vitam aeternam, soulignent les magistrats, qui agitent le chiffon rouge en direction des collectivités territoriales et les invitent à profiter des trois ans qui restent pour réfléchir au maillage aéroportuaire régional afin d'éviter des déficits futurs de fonctionnement qui ne seraient plus autorisés par la commission européenne.

La présidente de la CRC enfonce le clou : « C'est ce modèle de dépendance aux compagnies low-cost que nous pointons du doigt. Les collectivités ne pourront plus continuer à financer les aéroports donc il faudra que soit les compagnies augmentent leurs prix, soit par exemple qu'elles arrêtent les vols commerciaux pour se concentrer sur Montpellier et Toulouse. Et il y aura peut-être autant de touristes qui viendront... ».

La Région Occitanie et les 9 aéroports

Adoptée en 2018, la stratégie aéroportuaire de la Région définit trois objectifs : « le désenclavement des territoires avec notamment l'accessibilité à Paris, le développement économique et touristique, et l'ouverture de la région sur le monde ». Trois axes principaux ont été retenus : le maintien, voire le développement de la participation de la Région au capital des deux plus importants aéroports régionaux (Toulouse et Montpellier), la création d'une gouvernance intégrée des aéroports de Perpignan, Carcassonne (dont la Région a la pleine propriété) et Tarbes-Lourdes via la société publique locale aéroportuaire régionale SPLAR (dont la Région est actionnaire majoritaire), et l'appui aux autres plateformes par intégration de leurs gouvernances respectives. La Région pèse peu dans la gouvernance des plateformes de Toulouse et Montpellier et est absente de celle de Nîmes, mais elle leur apporte son soutien par une participation au capital ou par des soutiens financiers, notamment à l'investissement.

Cécile Chaigneau

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Commentaires 3
à écrit le 21/11/2023 à 14:14
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il aurait simplement été plus intelligent d'obliger les low costs a un systeme de péréquation ; la règle à imposer est la suivante : Je te donne les droits sur ORLY/TOULOUSE mais tu dois aussi faire des lignes déficitaires fixés par l'état (et non ...

à écrit le 30/10/2023 à 7:36
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A l'heure de la transition écologique il faudrait démanteler ces aéroports et financer la fiabilisation des lignes régionales de train, voire la réhabilitation de certaines lignes.

le 18/01/2024 à 13:30
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Même les écolos ont mis une limite à leurs diktats. Prenez la liaison Tarbes/Lourdes Paris. En se levant tôt, on peut faire une A/R dans la journée. Si vous prenez le train, vous y passerez 10 heures... "y'a pa foto".

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