Crise des composants électroniques : « La volonté politique est tournée vers le logiciel et non vers l’industriel »

ENQUÊTE 3/3 – Le semi-conducteur, pourtant présent partout, est devenue la denrée rare du moment. La pénurie est mondiale et sur les territoires, les entreprises cherchent des relais politiques et des solutions. Tour d'horizon en Occitanie-est.
Cécile Chaigneau
Maryam Bini, cofondatrice de Soledge et vice-présidente de Leader Occitanie, a pris le problème de pénurie des semi-conducteurs à bras le corps pour tenter de trouver des solutions aux entreprises régionales pénalisées.
Maryam Bini, cofondatrice de Soledge et vice-présidente de Leader Occitanie, a pris le problème de pénurie des semi-conducteurs à bras le corps pour tenter de trouver des solutions aux entreprises régionales pénalisées. (Crédits : DR)

Maryam Bini, la cofondatrice de Soledge (appareils hi-fi haut-de-gamme et connectés) près de Montpellier, est aussi vice-présidente de Leader Occitanie, réseau des entreprises en croissance en Occitanie. Témoin, et elle-même victime, de la crise des composants électroniques qui secoue la planète entière, elle pointe le problème de souveraineté de la France, désormais dénoncé partout : « En France, on n'a plus de fondeurs (fabricants des dispositifs à semi-conducteurs ou puces électroniques, NDLR) ! La volonté politique est tournée vers le logiciel et non vers l'industriel... En Europe, on est en train de monter un fondeur à Bruxelles avec des composants du futur, qui nous seront utiles dans quinze ans ! ».

Alors qu'elle se charge, chez Leader Occitanie, de trouver collectivement des solutions pour les entreprises régionales, la dirigeante n'est pas qu'inquiète. Elle est aussi en colère.

« Les entreprises alertent sur cette pénurie, mais il n'y a pas de relais politiques au niveau national, déplore-t-elle. On est touchés de plein fouet mais personne ne fait rien ! En Occitanie, 5.000 entreprises sont concernées. C'est toute une chaîne qui est paralysée... En juillet dernier, une vingtaine d'entreprises d'Occitanie ont signé un courrier à l'attention du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qui a été envoyé par Leader Occitanie. Cap'Tronic (expert en électronique qui accompagne les entreprises françaises dans leur transformation numérique grâce aux systèmes électroniques connectés, NDLR) a soutenu ce courrier, Airbus a alerté, on est passé par les députés et les sénateurs qui eux-mêmes ont écrit des lettres de soutien, par le préfet... On nous a répondu "on ne peut rien faire" ! C'est une industrie invisible, sans syndicat bien défini, qui ne fait pas de lobbying... Dans ce courrier, on a aussi fait la proposition d'alléger nos charges, d'avoir accès au dispositif de chômage partiel - mais le "quoi qu'il en coûte est fini" - ou de reporter les échéances de PGE... Mais nous n'avons pas eu de retour ! »

« Rendre le problème visible »

Le vice-président en charge de l'économie à la Région Occitanie, Jalil Benabdillah, est aussi chef d'entreprise (SDTech à Alès) et c'est lui qui a créé le mouvement Leader Occitanie. Il se dit donc très sensible au sujet.

« Les petites entreprises qui ne peuvent pas répondre aux commandes en raison de cette pénurie risquent de perdre des marchés ou de voir certains marchés décalés dans le temps, observait-il à la rentrée. Cela va donc contribuer à dégrader leur situation financière. Elles ne sont pas éligibles au dispositif de chômage partiel et j'en discuterai avec les services de l'État. On peut aussi imaginer de faire de l'ingénierie pour les accompagner sur les problèmes de trésoreries, regarder s'il y a un travail de filière à mener... Mais on est là sur un problème national, il faut nationaliser le débat. Le rôle de la Région est de le rendre visible auprès des ministères. La présidente Carole Delga est aussi présidente de l'association des Régions de France et elle va se rapprocher de ses homologues dans les différentes régions pour mutualiser la problématique. »

En attendant, les entreprises tentent de trouver des solutions. Avec Leader Occitanie, Maryam Bini a émis l'idée d'un groupement d'achat : « On essaie de monter un groupement d'achat pour acheter des composants en gros parce que certains fournisseurs nous demandent de les acheter par bobines, soit 5.000 à 10.000 pièces sur une bobine quand nous, on a besoin de 1.000 pièces.  L'objectif, ce serait d'acheter beaucoup et moins cher. Il faudrait le faire à l'échelle nationale mais qui pour porter ça ? ».

Une idée dont Jérôme Bousquet, le CEO de XAP Technology (conception et fabrication d'équipements électroniques pour la compétition automobile et les milieux hostiles) à Nîmes, analyse les limites : « Pour mutualiser les achats, il faudrait que tout le monde accepte de partager la liste des composants dont il a besoin, ce qui signifie une exposition concurrentielle. Et il faut assurer une certaine neutralité de l'acheteur, via un système associatif ou encore la puissance publique, dont ce n'est pas le rôle ».

« C'est la panique »

José Rebejac, le représentant en Occitanie de Cap'Tronic, est lui aussi mobilisé sur la crise des semi-conducteurs.

« Les entreprises peuvent re-designer un produit, mais à condition d'avoir trouvé le composant en amont et d'avoir le stock avant de se lancer, note-t-il. C'est beaucoup d'énergie, de temps et d'argent. Les entreprises les plus en danger sont celles qui sont mono-produits, et encore plus si elles ont une saisonnalité. D'autant qu'elles sont en fin de course financière et ont consommé tous leurs fonds... Du côté des sous-traitants en assemblage électronique, ils sont huit sur l'Occitanie-est, dont Omicron, c'est la panique ! Aujourd'hui, ils ont des stocks qui représentent l'équivalent d'un tiers de leur chiffre d'affaires, il faut avoir les reins solides... Il n'y a jamais eu autant de demande en assemblage mais on n'a pas de composants. »

L'association Cap'Tronic a été sollicitée par Ad'Occ, l'agence de développement économique de la Région Occitanie, ou par Leader Occitanie dont elle a soutenu le courrier envoyé au ministre de l'Economie Bruno Le Maire, en juillet dernier.

« Dans l'idée du groupement d'achat, ça va être compliqué de fédérer les petites entreprises, ça semble un peu utopique, ajoute-t-il. Cette pénurie monte en puissance. Ce n'est pas la 1e fois, on se souvient de la pénurie en 2008-2009 sur les composants passifs. Mais ce qu'on vit là, c'est du jamais vécu ! On n'est pas maîtres de la situation... Et on devrait encore être en tension en 2022, au moins au 1e semestre. »

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Cécile Chaigneau

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