LA TRIBUNE - Comment la pénurie de composants électroniques actuelle affecte-t-elle Omicron ?
LEONCE JEAN, directeur général d'Omicron - On ne bénéficie pas de la reprise comme on l'espérait : notre carnet de commandes se remplit comme les autres années, mais nous avons des difficultés à livrer nos clients. Le prix subit des variations quasiment en continu, il nous est impossible de garantir nos offres aux clients. Nous avons donc pris le parti de ne plus faire d'offres ! Nous avons changé notre approche commerciale : nous demandons à nos clients de passer un contrat de confiance avec nous, nous essayons de répondre aux besoins en faisant fi de la contractualisation préalable, en méthode agile. Et ensuite, au fur et à mesure que nous avançons dans le projet, nous cherchons des solutions en temps réel. Nos clients passent commande avec des prix cibles ou historiques, et nous avons mis des règles en place : par exemple, des fourchettes de prix au-delà desquelles nous cherchons un substitut à un composant introuvable... Aujourd'hui, nous avons la chance de pouvoir répondre à 98% favorablement parce qu'on est sur des petites et moyennes séries. Les besoins annuels de nos clients vont de 100 à 10.000 pièces donc on parvient à trouver ces quantités dans nos réseaux, mais bien sûr, dans des délais plus longs, de 18 à 20 semaines au lieu de 10 ou12.
Cette crise des composants électroniques perturbe-t-elle votre organisation du travail ?
Depuis cet été, beaucoup de nos clients nous demandent d'anticiper la fabrication de 2022 et donc de commencer à préparer les stocks. C'est un surcroît de travail pour nos équipes et cela demande de mobiliser de la trésorerie et du temps humain. Nous avons mis deux compétences supplémentaires sur un service de quatre. Tous les jours, il faut reprendre notre carnet de commandes pour vérifier si les pièces vont être livrées à temps et si les prix augmentent. Tous les codes commerciaux sont bouleversés...
Cap'Tronic indique que chez les sous-traitants en assemblage électronique, c'est la panique, avec des stocks qui représentent l'équivalent d'un tiers de leur chiffre d'affaires...
C'est vrai... Nos stocks ont quasiment été multipliés par deux : ils sont passés de 1 à 1,8 million d'euros. Il faut être solide ! Nous sommes pris en étau entre le marteau et l'enclume, entre les clients et les fournisseurs. Il faut être rassurant pour les clients tout en leur demandant de jouer le jeu, et rassurant avec nos fournisseurs qui sont de plus en plus frileux, demandent renseignements bancaires, modifient les conditions de paiement ou refusent désormais de cadencer les commandes.
Cette crise mondiale du composant électronique va-elle impacter votre développement ?
Omicron et son bureau d'études Hartech emploient aujourd'hui 70 salariés et nous avions en prévision de monter à 10 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022. Avec le Covid, nous avons perdu 20% de chiffre d'affaires et nous avons réussi à maintenir 5 millions d'euros avec un équilibre financier. La répartition de notre chiffre d'affaires a changé : le secteur de l'aéronautique a clairement baissé et représente 12% de l'activité aujourd'hui contre 20 à 25% avant. Le médical est monté de 25 à 30%. Le reste se fait sur le nucléaire et l'industrie. Nous prévoyons une petite progression sur 2021, et nous pensons retrouver le niveau d'avant crise en 2022 pour renouer avec la croissance en 2023. Mais nous avons dû réduire la voilure des effectifs à 60 salariés, soit une dizaine de personnes licenciées. Nous avons pu en réintégrer trois et nous avons bon espoir de les réintégrer tous en 2022. Le PGE nous a permis de faire face à cette crise des composants. L'urgence, c'est surtout l'aider financière car aujourd'hui, ce qui nous pénalise le plus, c'est de financer le stock et les compétences pour trouver des composants.
Vous aviez le projet de créer une nouvelle unité de production dédiée au secteur médical, pour en 2021. Où en est ce projet ?
Nous l'avons décalé d'un an. Nous avons eu les accréditations médicales et Omicron est aujourd'hui reconnu comme expert en dispositifs médicaux. Nous signerons les premiers investissements d'ici fin 2021 pour des travaux en 2022. Mais nous travaillons déjà avec des entreprises comme Horiba et Scaleo Médical
Voyez-vous une sortie du tunnel de cette crise des composants ?
On se raccroche à l'espoir d'une amélioration en 2022, mais honnêtement, je ne vois pas ce qui pourrait changer d'ici fin 2022. Si tout le monde anticipe les besoins, on alimente la pénurie et on rajoute de la crise à la crise. Mais même si on en a conscience, on ne veut pas se sacrifier pour les autres. On a le sentiment d'évoluer dans la jungle, il n'y a pas de solidarité, tout le monde joue la survie.
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