Fruition Sciences, l'agritech française qui aide les vignerons de Californie à gérer la sécheresse

Fruition Sciences, agritech montpelliéraine spécialisée dans la surveillance, le diagnostic et le conseil viticole, a pour objectif d’améliorer la qualité du vin et les rendements d’un vignoble. Son expertise : le stress hydrique et l’irrigation de la vigne. Alors que la Californie connaît, durant cet été 2021, une sécheresse historique, Fruition Sciences explique comment elle accompagne les vignerons pour sauver leur vignoble et leur production. Une situation que le vignoble français pourrait être amené à connaître lui aussi sous l’effet du réchauffement climatique à l’œuvre…
Cécile Chaigneau
A Montpellier, Fruition Sciences est spécialisée dans le diagnostic et le conseil viticole : elle collecte et analyse des données, notamment sur les problématiques de stress hydrique et d'irrigation de la vigne.
A Montpellier, Fruition Sciences est spécialisée dans le diagnostic et le conseil viticole : elle collecte et analyse des données, notamment sur les problématiques de stress hydrique et d'irrigation de la vigne. (Crédits : Fruition Sciences)

Si la vigne s'accommode plutôt bien de la sécheresse et de températures élevées, il y a cependant des limites... Le réchauffement climatique à l'œuvre fait ainsi peser une importante menace sur les cultures en général, et notamment sur la vigne. Depuis plusieurs années, l'ouest des États-Unis est frappé par des épisodes de sécheresse extrême, et l'été 2021 n'y aura pas échappé. Sur ces territoires, pousse la vigne. Une vigne qui souffre du manque d'eau.

Sébastien Payen, ingénieur mécanique spécialiste des nouvelles technologies, et Thibaut Scholasch, œnologue et expert dans le contrôle des effets des stress environnementaux sur la physiologie de la vigne et la qualité du fruit et du vin, connaissent bien le sujet, sur lequel ils accompagnent de nombreux vignerons californiens. Ensemble, ils ont fondé Fruition Sciences en 2009, d'abord aux États-Unis avant de revenir s'installer en France, à Montpellier, tout en conservant une entité en Californie. Le premier est directeur de la technologie de Fruition Sciences, et le second vice-président R&D.

« Changer ses pratiques, c'est un saut dans le vide »

Cette entreprise de l'agritech a mis au point une plateforme web, baptisée "360viti", de surveillance et de diagnostic viticole avec pour objectif d'améliorer la qualité du vin et les rendements du vignoble. Parce que la maturation du raisin est fortement dépendante du climat, de l'irrigation, de la surface foliaire, du sol, des nutriments etc., Fruition Sciences utilise les réseaux de capteurs en place sur les parcelles pour collecter les données en temps réel et les analyse. Ce carnet de santé numérique de la vigne offre au vigneron la possibilité de prendre les décisions adaptées aux conditions du moment.

« Nous sommes un agrégateur de données viticoles : météo, maturité des fruits, phénologie, imagerie aérienne, diverses mesures sur les plantes comme la quantité de nutriments, etc., explique Sébastien Payen. Nous nous sommes focalisés sur l'irrigation de la vigne et sur la compréhension et la gestion du stress hydrique, sur lesquelles nous avons une vraie expertise... Jusqu'à il y a deux ans, nous pensions qu'en fournissant une donnée de stress hydrique, les clients l'utiliseraient pour modifier leurs pratiques culturales mais on s'est rendu compte que non. Changer ses pratiques, c'est un saut dans le vide pour lequel les vignerons ont besoin d'être accompagnés car ils craignent de perdre leur production. Nous avons donc décidé de fournir le conseil qui va avec le diagnostic. »

La vigne s'entraîne, comme un athlète

L'entreprise, qui a plus de clients vignerons à l'étranger qu'en France, a du recul sur la question de l'irrigation de la vigne : depuis une quinzaine d'années, elle observe les pratiques des vignerons en Californie, et notamment dans la Napa Valley.

« On a constaté que le changement climatique est effectif en Californie et que les vignes résistent si elles sont irriguées, souligne Sébastien Payen. On voit que les saisons sont de plus en plus sèches. L'été 2021 est le plus sec depuis vingt ans, et entre janvier 2020 et avril 2021, la Californie a enregistré à peine 100 ml de pluie et rien en été ! »

Sébastien Payen parle de la vigne comme d'un athlète : « Avec notre méthode, on est capables d'entraîner les vignes à résister de mieux en mieux au stress hydrique pour qu'elle soit la plus performante possible. La plante est plastique, elle s'adapte physiologiquement. Quand on irrigue beaucoup, elle ne constate pas de déficit hydrique et elle produit des feuilles au détriment de la qualité du raisin. Or, en provoquant un déficit hydrique modéré, on l'aide à utiliser mieux les ressources en eau et donc à faire du bon vin. On lui permet ainsi de s'habituer à devenir plus résistante au stress hydrique ».

Mais attention, la sécheresse du sol n'est pas le seul problème d'une météo caniculaire sur la vigne, et l'irrigation des sols ne résout pas tous les problèmes.

« Lors d'épisodes climatiques trop chauds, le problème, c'est aussi la sécheresse de l'air, ajoute Sébastien Payen. Regarder la vigne et irriguer en fonction de ce qu'elle nous montre - par exemple, les feuillent qui se replient - n'est pas forcément une bonne idée. Notre enjeu est de montrer qu'il y a une autre façon d'irriguer : la vaporisation. La vapeur d'eau diminue la température de l'air et crée une sorte de microclimat au-dessus de la vigne, ce qui permet d'écrêter les gros pics de chaleur. Pas mal de nos clients en Californie pratiquent cette méthode depuis environ cinq ans. Nous faisons également des essais depuis un ou deux ans sur le vignoble de Provence, en partenariat avec la Société du canal de Provence qui distribue l'eau... Ce qui est intéressant avec la Californie, c'est qu'ils sont en avance sur les problématiques liées au changement climatique et que leurs solutions d'irrigations appropriées donnent des résultats. »

« Les cavaliers de l'Apocalypse »

En France, il reste un chemin à parcourir sur la question de l'irrigation des vignes, où des freins à la fois culturel et réglementaire dressent encore des barrières.

« Les vignerons en AOC et AOP n'ont pas le droit d'irriguer, sauf arrêté préfectoral entre le 15 juin et le 15 août, alors qu'on a constaté qu'aujourd'hui, l'irrigation est importante aussi après le 15 août, rappelle ainsi le cofondateur de Fruition Sciences. Depuis quelques années, on a l'impression que les cavaliers de l'Apocalypse débarquent sur le vignoble français ! Grosses sécheresses, gel inédit (en avril 2021, NDLR), beaucoup de pluie cet été où les rendements en France seront les pires depuis la 2nd Guerre mondiale... Pourtant, sur nos 150 clients, un tiers sont aux États-Unis en Californie, en France sur la Provence et le Bordelais (où les vignerons n'irriguent pas mais utilisent 360viti pour comprendre le stress hydrique, NDLR), ainsi qu'au Chili, en Italie, en Argentine et en Australie. Le profil type de nos clients, c'est ceux qui veulent faire évoluer leurs pratiques. Or, concernant l'irrigation, on ne pourra pas faire autrement qu'y venir en France, et notamment dans le Languedoc-Roussillon. »

Fruition Sciences emploie douze salariés en France et quatre aux États-Unis, des chercheurs, des ingénieurs œno-viti, des développeurs informatiques et des experts en data sciences. Son chiffre d'affaires est « stable depuis deux ou trois ans, autour de 1,5 million d'euros », indique Sébastien Payen.

« Avec le Covid-19, l'année 2020 aura été difficile pour nous comme pour tout le monde du vin. Nous avons diminué de 20% notre chiffre d'affaires. En 2021, le secteur du vin est en convalescence... Chaque année, le vignoble rencontre, selon les pays, des problèmes liés au changement climatique ou à des facteurs économiques comme des taxes. Nous voulons nous déployer à l'international et adresser tous les marchés. »

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 18/08/2021 à 22:09
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Nous allons tout doucement vers un arrosage des vignes en tout temps et ce sera la mort des AOC, déjà que la viticulture Française fait appel de plus en plus à des labos des "spécialistes" ce qui tend à une uniformisation des vins. Nous avons de meil...

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