Pêche : pourquoi l’avenir de la telline est menacée (le changement climatique en première ligne)

En vingt ans, la production héraultaise de tellines est passée de près de 200 tonnes à moins de 10 tonnes par an. Cette raréfaction du mollusque a entraîné une baisse significative du nombre de pêcheurs et, conséquemment, une hausse de prix sur les étals. Le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) d’Occitanie mène une étude pour tenter d’expliquer les raisons de cette diminution et les facteurs environnementaux arrivent en première ligne.
Les facteurs environnementaux, notamment le changement climatique, pourraient bien expliquer la chute de la pêche à la telline en Méditerranée.
Les facteurs environnementaux, notamment le changement climatique, pourraient bien expliquer la chute de la pêche à la telline en Méditerranée. (Crédits : DR)

En 2022, les Directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ont délivré aux pêcheurs professionnels des départements du Gard et de l'Hérault 40 licences tellines, contre 140 en 2001. Alors même que tous ne pratiquent pas...

« Beaucoup demandent leur licence mais ne pêchent plus : ils attendent de voir si la situation évolue et si les tellines vont revenir en nombre », souligne le gardois Gérald Sagnier.

A 46 ans, ce pêcheur fait preuve de persévérance. Depuis 1999, il part chaque jour, avant le lever du soleil, sur le gisement du Grau-du-Roi (Gard), des Saintes-Maries-de-la-Mer ou de Beauduc (Bouches-du-Rhône) faire des passes (en moyenne trois ou quatre passes d'une heure chacune), harnaché et équipé d'un filet et d'une drague, pour tenter de ramasser quelques kilos de tellines. Sur le secteur, ils ne sont plus qu'une dizaine à perpétuer ce métier.

« Lorsque j'ai commencé, je faisais une cinquantaine de kilos malgré la concurrence, et aujourd'hui, dans le meilleur des cas, c'est plutôt, une dizaine, s'inquiète-t-il. La telline devient un produit d'exception. Mais si ça continue à descendre, il faudra que je trouve une nouvelle activité. »

Des tellines moins nombreuses et plus petites

Si jusqu'à présent aucune étude n'a été réalisée sur la biologie de la telline en France, le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) d'Occitanie s'intéresse de près à la raréfaction de ce coquillage. Dépêchée dans le cadre du projet Medfish, dont l'objectif est d'analyser en profondeur les pêcheries méditerranéennes françaises et espagnoles, Mathilde Charpentier a, dans un premier temps, effectué une bibliographie et s'est entretenue avec pêcheurs à pied et mareyeurs avant de se rendre sur le terrain. Depuis janvier, équipée d'un instrument de mesure, elle prélève plusieurs spécimens qui sont ensuite analysés.

« Nous n'avons par les capacités de prélèvement de l'Ifremer qui nous permettraient de connaître l'état de santé du mollusque, avoue l'observatrice scientifique. En revanche, cette méthode vise à poser les bases d'un suivi par zone et par saison qui nous permettra d'évaluer l'augmentation ou non de la taille de la telline, et si de nouvelles cohortes apparaissent. »

Mais déjà une certitude : les tellines ont non seulement diminué en nombre mais aussi en taille.

« On les tamise sur l'épaisseur : en secouant la grille, les plus petites passent à travers mais celles qui restent ne font guère plus que la maille, soit 2,5 cm, les grosses ont disparu, constate Gérald Sagnier. Je peux parfois sortir 60 kilos et au final, n'en garder que 10 ! »

Un plancton moins énergétique

Une des hypothèses avancées dans la raréfaction de la telline est la surpêche, il y a une vingtaine d'années, et certaines pratiques non durables, mais Mathilde Charpentier reste dubitative : « Quand on voit le nombre de permis octroyés et les quantités débarquées aujourd'hui par rapport aux années 2000, on comprend bien que ce n'est pas ce qui empêche la telline de revenir. D'autant que plusieurs réglementations, dont l'interdiction de la pêche aux échasses et aux bateaux ou la taille minimum de capture, ont été prises pour protéger la ressource et assurer sa durabilité ».

Alors pourquoi le stock de tellines ne se reconstitue-t-il pas ?

« La telline se reproduit lorsqu'il y a une variation brutale de température et/ou de salinité, répond la scientifique. Ce fut le cas, en l'occurrence sur le secteur camarguais, suite aux dernières grandes crues hivernales du Rhône, en 2002-2003. Les années suivantes, 20005-2006, il y a eu pas mal de débarquements de tellines puis les courbes ont chuté, ce qui corrobore l'hypothèse que le changement climatique et les sécheresses de plus en plus fortes nuisent à la telline. »

D'autres éléments sont avancés, comme la montée de températures de la mer, le manque d'apport d'eau douce ou encore l'érosion.

« Les pêcheurs relèvent souvent que les bancs de sable qui étaient autrefois présents au large n'existent plus et que certaines plages disparaissent alors que d'autres apparaissent, note Aurélie Carrié, chargée de mission au CRPMEM Occitanie. Les travaux de ré-ensablement et de pompage de sable dans certaines zones sont aussi très certainement impactants pour l'espèce. »

Une hypothèse partagée par Gérald Sagnier : « Je fais la relation avec les sardines atteintes de nanisme. Après plusieurs années de recherche, l'Ifremer a confirmé l'hypothèse d'un problème d'alimentation : les microalgues sont moins nombreuses et le plancton plus petit, moins énergétique. Or la telline est un animal filtreur qui a besoin de plancton et l'érosion n'arrange rien ! ».

Contamination

A la criée du Grau-du-Roi, le kilo de tellines tourne en ce moment autour de 10 euros mais le pêcheur n'a pas le droit de fournir plus de 21 kilos.

« Les contrôles et la diminution de la taille de la telline font que les acheteurs ne veulent pas prendre de risques, explique Gérald Sagnier. Par contre aux halles ou en poissonneries, les prix peuvent grimper jusqu'à 30 euros. »

Alors que les conditions du milieu marin ne paraissent plus optimales pour la reproduction des tellines, les derniers pêcheurs du golfe du Lion s'inquiètent. Et ce ne sont pas les dernières nouvelles qui vont les rassurer : à la mi-septembre, les préfets du Gard, de l'Hérault et des Bouches-du-Rhône avaient annoncé une nouvelle suspension temporaire de la récolte et de la commercialisation de certains coquillages, dont la telline, en raison de la présence de phycotoxines.

« Ces toxines lipophiles peuvent êtres dangereuses pour la santé et représentent un risque sanitaire significatif, expliquait Mathilde Charpentier. C'est un nouveau coup dur pour la filière ! »

L'interdiction a finalement été levée le 4 octobre dernier. Mais la filière est néanmoins plus que jamais en sursis.

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