Souveraineté agricole : Ludovic Aventin (Terra Hominis) appelle à miser sur l’épargne des Français

Le fondateur de Terra Hominis (financement participatif et de long terme de foncier viticole), Ludovic Aventin, appelle le gouvernement à miser sur l'épargne des Français pour reprendre le contrôle des terres agricoles. Il défend la création d’un nouvel outil de portage foncier, le Groupement Foncier Agricole d'Épargnants (GFAE), et redoute l’orientation que prend l’exécutif, qui selon lui reviendrait à financiariser le foncier agricole.
Cécile Chaigneau
Ludovic Aventin, fondateur et dirigeant de Terra Hominis, dans l'Hérault, défend l'évolution des modèles agricoles.
Ludovic Aventin, fondateur et dirigeant de Terra Hominis, dans l'Hérault, défend l'évolution des modèles agricoles. (Crédits : Terra Hominis)

Il n'est pas vigneron lui-même, mais il monte au créneau à chaque fois qu'il le juge nécessaire. Le Biterrois Ludovic Aventin, fondateur et dirigeant de la société à mission Terra Hominis à Boujan-sur-Libron (Hérault), défend bec et ongles la profession de viticulteur, au-delà de la seule activité de son entreprise. Celle-ci propose un dispositif de financement participatif (non réglementé) pour aider des vignerons à s'installer ou à développer leur vignoble. Le principe : la prise de parts dans des vignobles en copropriété (via une SCI ou un groupement foncier agricole, adossé à un contrat de fermage pour le vigneron) avec la perspective de rester dans l'aventure durablement, de créer du lien avec les vignerons et les autres actionnaires-investisseurs en participant à la vie du domaine. Et de n'en tirer comme dividendes que quelques bouteilles de vin. Une philosophie sur laquelle Ludovic Aventin veille farouchement, s'assurant avant tout engagement des intentions réelles de l'investisseurs.

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Depuis sa création, en 2011, Terra Hominis annonce avoir permis l'acquisition de 235 hectares de vignes pour 31 vignobles accompagnés, se situant en Occitanie essentiellement, mais aussi à Cognac, dans le Bordelais, le Beaujolais ou la Loire. Terra Hominis a ainsi mobilisé à ce jour près de 4.000 associés (apports moyen : 1.500 euros).

La crise du monde agricole (notamment viticole) sévissant, Ludovic Aventin est allé au-delà du seul financement. Il a créé une plateforme associative, sur laquelle Terra Hominis ne prend pas de marge, qui distribue le vin des vignerons aux restaurateurs, aux cavistes et à l'export. Il a lancé une trentaine de clubs de dégustation en France pour faire connaître les vins. Et il y a un an et demi, il a créé, en partenariat avec la Safer, l'association "Vignerons demain" qui compte aujourd'hui 96 personnes projetant de s'installer un jour et qui viennent y chercher une entraide collaborative et gratuite.

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« Attirer les convoitises »

Observateur attentif du monde viticole, le dirigeant plaide l'existence d'autres modèles agricoles possibles, avec une obsession : favoriser l'installation de viticulteurs. Son combat actuel porte sur l'accès au foncier agricole, frein majeur à l'installation et pourtant facteur-clé de l'équation de souveraineté agricole.

Le monde viticole a fait un constat alarmant : deux tiers des vignerons ont plus de 55 ans alors que la nouvelle génération de vignerons rencontre de réelles difficultés pour financer l'acquisition du foncier nécessaire à leur installation.

Le 5 février dernier, Ludovic Aventin signait une tribune dans le journal Le Monde pour lancer un signal d'alarme et un appel au changement sur les risques de vente massive de terres agricoles à des investisseurs. Suite à la conférence de presse du Premier ministre sur la situation agricole le 21 février dernier, le fondateur de Terra Hominis salue l'objectif d'autonomie annoncé par l'exécutif mais « regrette l'absence de mesures concrètes sur le foncier ».

« En vingt ans seulement, c'est l'équivalent de la surface de l'Italie en terres agricoles qui a changé de main dans le monde, au bénéfice majoritairement de fonds d'investissement, clame-t-il, citant en guise de source le "Bilan de la ruée mondiale sur les terres" (Land Matrix, Rapport Analytique III, 2021). Ce n'est pas ce qui va se passer en France car la Safer empêchera certains pays d'investir chez nous. Mais sur la planète, on manque de terres et évidemment que cela va attirer les convoitises ! En euros constants en France, le prix de la terre agricole équivaut à celui de 1965, c'est la moins chère d'Europe (il cite le rapport "Évolution des modes de portage du foncier", du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, en février 2023, NDLR). Dans ce contexte, la France fait figure de cible de choix ! »

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« Mobiliser 2% des 6.000 milliards d'euros d'épargne »

Pour ne pas « perdre la terre nourricière » et « reprendre le contrôle de nos terres », Ludovic Aventin appelle le gouvernement à miser sur l'épargne des Français. Et défend la création d'un outil de portage foncier : le Groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE).

« Ce dispositif pourrait sécuriser l'intégralité des terres agricoles de l'Hexagone, dont la valeur est estimée à 160 milliards d'euros, en mobilisant 2% seulement des 6.000 milliards d'euros d'épargne financière des Français », assure-t-il.

Dans cette plaidoirie, il rejoint celle de la sénatrice de l'Aube Vanina Paoli-Gagin (groupe Les Indépendants - République et territoires) qui, à l'automne dernier, a présenté une proposition de loi sur la création de ce nouveau véhicule de portage financier associant les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises. C'est-à-dire des groupements fonciers agricoles dont les parts du capital social pourront faire l'objet d'une offre au public, suivant un régime juridique s'inspirant de celui des groupements forestiers d'investissement (GFI). Objectif : faire supporter collectivement le coût d'un foncier de plus en plus onéreux.

Vanina Paoli-Gagin avait alors argumenté en faisant valoir quelques chiffres comme la diminution du nombre d'agriculteurs (de plus de 769.000 en 2000 à 496.000 en 2020), ou le vieillissement de cette population (43% des exploitants devraient partir à la retraite au cours des dix prochaines années).

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Risque de financiarisation des terres

Mais quelque chose chagrine Ludovic Aventin : la commission des finances a proposé de changer le nom de cet outil, pour l'intituler "groupement foncier agricole d'investissement" (GFAI), pour bien marquer leur encadrement par la réglementation applicable aux fonds d'investissement alternatifs. Le vote du Sénat a adopté cette dénomination. Le fondateur de Terra Hominis n'est pas le seul que cela a fait tiquer : le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires, la Confédération paysanne, les Amis de la Terre et Terres de liens ont émis la même inquiétude.

« Derrière le GFAI, il y a le risque de financiarisation des terres et donc de spéculation : les investisseurs vont demander de la rentabilité, or le montant du fermage est bas et la rentabilité très faible, donc ils seront tentés de contourner la bail de fermage, un bail rural à long terme dont le montant est fixé par arrêté préfectoral, au profit d'un bail emphytéotique dont le montant est libre », plaide Ludovic Aventin.

Interpellée par La Tribune, la sénatrice répond : « L'objectif de ma proposition de loi est de permettre aux épargnants de donner du sens à leur épargne, en leur permettant d'acquérir du foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme. Ce dispositif ne remet aucunement en cause le statut du fermage ni le rôle des Safer. Il s'agit seulement d'attirer de nouveaux capitaux pour qu'il y ait plus de foncier disponible pour les agriculteurs, notamment pour les jeunes qui n'ont pas toujours les moyens d'acquérir des terres au moment de leur installation. La meilleure façon de lutter contre le renchérissement du foncier, c'est d'agrandir la surface agricole utile ».

« Met-on la nécessité de nourrir au-dessus de tout ? »

Dans l'entourage de la sénatrice, on indique qu'elle a « accepté la dénomination de GFAI dans un esprit de compromis, d'autant qu'au niveau juridique, ça ne change rien »...

Vanina Paoli-Gagin ne compte pas sur la navette parlementaire pour faire aboutir le texte mais aimerait qu'il soit intégré au futur projet de loi d'orientation agricole du gouvernement.

Mais Ludovic Aventin tempête : « Une démarche d'épargne populaire s'inscrit dans l'intérêt commun, et on peut penser emploi, environnement, écologie, alimentation pour tous, et non spéculation. Met-on la nécessité de nourrir au-dessus de tout ? C'est la question. Si on permet financiarisation de la terre agricole, après avoir financiarisé le blé ou le maïs, on franchit une étape de plus alors qu'on pourrait faire autrement. Et c'est l'agriculteur et le consommateur qui en paieront les conséquences ».

Le Biterrois se dit en contact avec des conseillers du ministre de l'Agriculture et envisage de « monter à Matignon »... Il plaide une démarche « citoyenne », qu'il assure déconnectée de tout intérêt pour Terra Hominis : « Le GFAE contraint de passer par une société de gestion qui prendrait environ 30% des dividendes de nos associés, qui sont sous forme de bouteilles de vin uniquement, donc nous préférons éviter de rentrer dans ce système. D'autant qu'avec l'offre publique d'épargne, nous ne pourrions plus refuser les personnes qui ne correspondent pas à nos valeurs. Le succès de Terra Hominis réside dans le partage de valeurs communes et nous ne voulons pas faire entrer le loup dans la bergerie ! ».

Cécile Chaigneau

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