Accès au foncier agricole : comment Terra Hominis et la Safer Occitanie se mobilisent

SERIE (1/2) - La question de l’accès au foncier agricole constitue un enjeu essentiel pour la viticulture française. Or on sait que le coût du foncier est un frein majeur à l'installation. L’Occitanie, soumise à une forte pression démographique urbaine, est une région particulièrement concernée par cette difficulté. La SAFER et l’entreprise héraultaise Terra Hominis (financement participatif pour soutenir du foncier viticole) évoquent quelques solutions.
Cécile Chaigneau
Le monde viticole fait un constat alarmant : deux-tiers des vignerons ont plus de 55 ans alors que la nouvelle génération de vignerons rencontre de réelles difficultés pour financer l'acquisition du foncier nécessaire à leur installation.
Le monde viticole fait un constat alarmant : deux-tiers des vignerons ont plus de 55 ans alors que la nouvelle génération de vignerons rencontre de réelles difficultés pour financer l'acquisition du foncier nécessaire à leur installation. (Crédits : Patrice Thebault - Région Occitanie)

Depuis plusieurs décennies, la situation du foncier agricole est critique et la pression urbaine est de plus en plus forte, notamment en Occitanie, une région où une population de plus en plus nombreuse cherche à s'installer, et en particulier dans l'Hérault.

« Les SAFER s'efforcent de maintenir le foncier agricole à un prix agricole et accessible, mais ça devient difficile dans les périphéries d'agglomérations, particulièrement autour de Montpellier, confirme Frédéric André, le directeur général de la SAFER Occitanie, à La Tribune. Ces situations d'attentisme sont l'une des raisons de l'augmentation des friches, des bandes de terres agricoles qui ne sont plus exploitées car les propriétaires ne veulent plus les mettre en fermage. Et ce alors qu'on a besoin de foncier pour permettre des installations d'agriculteurs... Il y a une proportion importante d'agriculteurs vieillissants, on parle du fameux mur des générations. Et sur la vigne, on aura un triple effet : le vieillissement des exploitants, l'accroissement des normes de qualité qui demandent aux petites caves d'investir beaucoup, et les aléas climatiques qui se succèdent, notamment le gel. Autant d'éléments qui peuvent faire peur. »

Le monde viticole fait un constat alarmant : deux-tiers des vignerons ont plus de 55 ans alors que la nouvelle génération de vignerons rencontre de réelles difficultés pour financer l'acquisition du foncier nécessaire à leur installation.

Le 20 octobre dernier, le député héraultais Philippe Huppé, qui est aussi le président de l'association nationale des élus de la vigne et du vin (ANEV), organisait un colloque à l'Assemblée nationale, intitulé "Foncier agricole, entreprise à mission, respect de l'environnement, la révolution culturelle de la viticulture". Objectif : présenter à ses homologues le modèle économique développé par l'entreprise héraultaise Terra Hominis : le financement participatif (non réglementé) pour aider des vignerons à s'installer ou à développer leur vignoble.

« La viticulture, ce sont d'abord des hommes »

Ludovic Aventin, le président-fondateur de Terra Hominis, confirme en effet qu'on enregistrait en France « 34 % d'installations agricoles en moins entre 2014 et 2017 » et qu'en 2018, la SAFER annonçait « seulement 437.000 exploitations agricoles en 2016, contre 2 millions en 1955 ».

« On est allés pour témoigner à l'Assemblée nationale combien la transmission du foncier agricole est importante, déclare Ludovic Aventin. Ce qui fait la force de notre viticulture en France, c'est la diversité des territoires et on est en train de la perdre. Notamment parce que pour devenir vignerons, il faut aussi être chef d'entreprise car il y a de plus en plus d'administratif. Or l'investissement est lourd, les banques ne suivent pas les jeunes viticulteurs, et les aléas climatiques de plus en plus fréquents peuvent rebuter à la fois les candidats à l'installation et les banques... Nous voulons montrer que des solutions existent. Chez Terra Hominis, nous sommes petits mais nous prouvons qu'il est possible d'installer des jeunes, de sauver des vignobles avec l'investissement participatif (depuis la création, 39 projets accompagnés en Occitanie essentiellement, mais aussi à Cognac, dans le Bordelais, le Beaujolais et la Loire, réunissant plus de 2.900 associés, NDLR). Aujourd'hui, nous sommes surtout présents en Occitanie mais notre modèle peut s'exporter ailleurs.  Les députés qui se sont déplacés le 20 octobre se sont montrés intéressés... L'objectif, c'est de faire prendre conscience qu'il y a de moins en moins d'agriculteurs et de viticulteurs en France, et qu'on risque d'aller vers une standardisation de l'agriculture alors que la viticulture, ce sont d'abord des hommes. »

« Du foncier, des bras et des financements »

La SAFER met en relation l'offre et la demande. Elle annonce 2.500 actes signés pour 20.000 ha par an en Occitanie.

« Nous nous attendons à des cessions importantes de fonciers ces prochaines années car certains agriculteurs vont arrêter, notamment dans l'Aude, l'Hérault, le Gard ou les Pyrénées-Orientales, des départements qui souffrent en plus du manque d'eau, pointe Frédéric André. Or pour faire une installation agricole, il faut du foncier, des bras et des financements... Face aux difficultés rencontrées par les candidats à l'installation, nous avons pris quelques initiatives. Par exemple, des frais d'intervention préférentiels pour les jeunes agriculteurs qui s'installent. Ou la mise en œuvre, votée en 2019, d'un fonds d'aide à l'installation sur nos fonds propres, permettant de prendre en charge les frais notariés du jeune qui s'installe. Ce dispositif a permis de soutenir 120 dossiers, soit 240.000 euros d'aides directes. Nous avons aussi rencontré les banques, et la Région Occitanie met en place un projet de Foncière agricole, une structure qui permet de porter le foncier pour permettre à l'agriculteur de ne pas subir les charges d'amortissement de l'emprunt jusqu'à ce qu'il puisse acheter le foncier. »

La SAFER et Terra Hominis sont partenaires de longue date, et officiellement depuis cinq ans. Selon le directeur général de la SAFER, « le modèle de groupement foncier viticole proposé par Terra Hominis est astucieux ». Il s'agit d'une solution possible pour favoriser l'accès au foncier ou le développement des exploitations pour de jeunes (ou moins jeunes) viticulteurs.

Création du réseau "Vignerons demain"

En 2020, alors que la crise sanitaire liée au Covid-19 touchait fortement le secteur du vin par effet ricochet, les restaurants étant fermés, Ludovic Aventin affirme que les viticulteurs soutenus par Terra Hominis ont pu tirer leur épingle du jeu, voire plus : « Les vignerons ont perdu une partie de la distribution mais les associés ont joué le jeu de la solidarité plein pot et acheté le vin. Certains vignerons ont ainsi fait leurs meilleurs mois ! Et on a observé que de plus de personnes souhaitent prendre des parts dans des vignes en guise d'investissement ».

Ludovic Aventin annonce qu'il est en train de créer un réseau, baptisé "Vignerons demain" et qui devrait être opérationnel d'ici la mi-novembre.

« Actuellement, je fais le suivi de 19 personnes qui veulent s'installer et qui ont souvent l'impression d'être face à un mur : trouver des financements, obtenir des subventions, choisir un comptable, apprendre le fonctionnement des douanes, travailler un cépage qu'on ne connait pas, etc. Je crée ce réseau pour que ceux qui veulent s'installer fassent connaissance car les difficultés et obstacles qu'ils rencontrent sont les mêmes. Quand vous voulez acheter un vignoble, vous êtes dans la situation d'une personne amoureuse et on ne réfléchit pas la technicité, aux compétences, aux connaissances et à l'endurance que ça demande... On leur proposera notamment des visio-conférences avec des experts sur des points précis : par exemple, comment faire le lien entre la chambre d'agriculture et le comptable sur un prévisionnel, comment prendre sa retraite sereinement, etc. Ce réseau ne s'adresse pas uniquement aux personnes qui passent par Terra Hominis... Il y a déjà 11 personnes qui ont signifié leur intérêt, parmi lesquelles un ancien cadre supérieur d'un grand groupe en reconversion professionnelle, un couple de Parisien qui, suite à la crise Covid, veulent acheter un domaine dans les Pyrénées-Orientales, deux jeunes garçons qui ont fini leurs études et veulent s'installer l'un sur Saumur, l'autre dans l'Aveyron. »

Associer les étudiants

En 2022, Terra Hominis lancera d'ailleurs "Les Associés du cœur", une action destinée à soutenir des étudiants qui aimeraient investir dans du financement participatif sur du foncier viticole.

« Nous avons régulièrement affaire à des étudiants qui veulent acheter des parts dans une vigne car ils sont passionnés de vin, explique Ludovic Aventin. Nous refusons de prendre leur argent car ils en auront besoin pour leurs études. L'idée, c'est d'associer moralement pendant cinq ans et avec les mêmes avantages qu'un associé les plus motivés. Nous allons viser les écoles d'œnologie et de sommellerie. Tout le monde y gagnera car ce sont de potentiels futurs acheteurs et futurs prescripteurs. »

Lire aussi le 2e épisode de la série : TerrAES, ce partenariat inédit qui favorise l'agroécologie dans le Gard et l'Hérault

Cécile Chaigneau

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