Pénurie de riz : une opportunité pour la filière rizicole gardoise ?

Avec seulement 11.500 hectares de surfaces exploitées, dont le quart situé dans le Gard, la filière rizicole de Camargue ne produit que 20% de la consommation française. Pourtant, les professionnels du secteur, bien structurés, ont toutes les cartes en mains pour tourner à plein régime. A condition que… Analyse.
La filière rizicole de Camargue, dont les quelque 160 producteurs sont basés dans le Gard, les Bouches du Rhône et un peu l'Aude, produit 20% de la consommation française de riz.
La filière rizicole de Camargue, dont les quelque 160 producteurs sont basés dans le Gard, les Bouches du Rhône et un peu l'Aude, produit 20% de la consommation française de riz. (Crédits : Ray Wilson)

Après l'huile et la moutarde, le riz va-t-il devenir une denrée rare ? Depuis le début de l'année, la production mondiale est en chute libre. En cause : des conditions météorologiques désastreuses - vagues de chaleurs intenses puis inondations - qui ont touché les deux principaux pays producteurs de riz basmati, l'Inde et le Pakistan, générant une baisse de leur production de 250.000 tonnes.

Si la France produit chaque année 50.000 tonnes de riz, elle en importe près de cinq fois plus. Dans ce contexte tendu, les riziculteurs de Camargue, qui produisent 20% de la consommation française, ont-ils une carte à jouer ?

Une réglementation française contraignante

Alors que dans les années 1950, la Camargue comptait 32.000 hectares de rizières, il n'en reste aujourd'hui plus que 11.500 hectares dont le quart situé dans le département du Gard (le reste se situant dans les Bouches-du-Rhône et un peu dans l'Aude, soit près de 160 producteurs au total). Un grain de riz dans une botte de foin...

« Au cours des dernières décennies, la production s'est effondrée : les cours du riz étant bas, les producteurs se sont désintéressés de cette culture au profit du melon ou des tomates, rappelle l'exploitant gardois Marc Bermond, trésorier au syndicat des riziculteurs de France. La pression de la réglementation française n'a rien arrangé : elle a créé des distorsions de concurrence vis à vis de nos voisins italiens, espagnols ou portugais qui bénéficient de trois fois plus de produits phytosanitaires autorisés alors que nous manquons de solutions de désherbage. Néanmoins, depuis deux ans, le marché du riz est revenu à des valeurs correctes (600 à 650 euros la tonne payée à l'agriculteur, contre 300 euros il y a quatre ans, NDLR). Ces prix vont dans le bon sens pour la riziculture française qui devrait pouvoir se déployer à condition qu'on nous permette de le faire dans des conditions acceptables. »

Jeu d'équilibre entre les différentes cultures

Depuis la guerre en Ukraine, la filière rizicole a vu ses frais exploser : le prix des engrais a doublé, celui du carburant et du fret s'est envolé, les salaires n'ont pas été revalorisés, sans parler des problèmes énergétiques. Ni d'un budget limité, la dernière PAC (Politique Agricole Commune) en 2021 ayant considérablement réduit l'enveloppe allouée à la filière rizicole française : 120 euros par hectare de culture de riz contre 300 euros par hectare en Italie. Malgré ces tensions, la filière l'assure : elle a les capacités de doubler sa production.

« L'impérieuse nécessité de redéployer l'activité du riz est liée à la question de souveraineté alimentaire, analyse Marc Bermond. On pourrait très bien revenir à une production de 22.000 hectares de riz, d'autant que nous avons des atouts. La culture du riz joue un rôle majeur dans le cadre de la préservation de la biosphère de Camargue : l'apport de quantités d'eau douce permet de repousser le sel vers la mer. Mais la gestion de la salinité doit être une et indivisible : il faut entretenir les réseaux hydrauliques, favoriser les apports d'eau douce - en redéveloppant par exemple la culture de la sagne -, veiller à l'entretien des grandes propriétés et des marais de chasse... On ne peut travailler sur ces enjeux environnementaux que par un juste jeu d'équilibre entre les différentes cultures et une gestion de l'eau collégiale. »

Repiquage mécanique du riz

Face aux problèmes de salinité, la filière gardoise (une trentaine de producteurs) teste actuellement des variétés françaises censées être plus résistantes au sel. Les premiers résultats sont attendus d'ici deux ans. Des variétés hybrides à fort potentiel de rendement sont également étudiées par le Centre français du riz. Il est question de 10 tonnes à l'hectare (contre 7 tonnes en conventionnel et 4,5 tonnes en bio).

D'autres initiatives sont également prises pour économiser l'eau et freiner l'utilisation de produits phytosanitaires. Longtemps pratiqué en Camargue, le repiquage manuel a été abandonné suite à une mise en œuvre couteuse (environ 15 personnes/ha) et l'arrivée des premiers herbicides sélectifs riz. Malgré quelques tests de repiquage mécanique dans les années 1990, la piste avait été écartée mais elle refait son apparition.

« C'est une façon de travailler différente : on sème à la volée fin avril et on repique des plants de riz jusqu'en juin. Cela permet de mettre en eau les rizières plus tard », indique Marc Bermond qui, depuis l'an dernier, teste la méthode sur une cinquantaine d'hectares de son domaine Les Montilles de Cabettes, à Saint-Gilles.

Meilleur contrôle du stress en début de cycle, réduction des quantités de semences et de l'utilisation d'herbicides, risque diminué des dégâts des ravageurs, variétés adaptées, amélioration des rendements... Le repiquage présente de multiples avantages. Mais a un coût de départ.

« Il faut accepter d'essuyer les plâtres et d'avoir une vision à terme, estime le trésorier du syndicat des riziculteurs. Nous ne sommes qu'une poignée de producteurs à avoir semé en surdensité et je crains que certains producteurs n'aillent pas jusqu'au bout de la démarche car cela a un coût. Mais ils y reviendront plus tard. »

Une filière structurée dans les starting-blocks

Pour localiser les mauvaises herbes, et ainsi limiter la quantité de produits phytosanitaires, les riziculteurs gardois souhaiteraient obtenir l'accord de l'administration pour utiliser des drones. D'autant que cette pratique est déjà actée pour le pilotage de la fertilisation azotée des parcelles de blé, d'orge ou de colza. Le bénéfice de désherbage par drone est estimé à 10 euros/ha, contre 30 euros/ha en conventionnel.

Avec ses silos de collecte pour usiner le riz et le conditionner, la filière gardoise est bien structurée. Sur un marché porteur, il ne lui manque plus que la superficie.

« Nous avons rencontré les acheteurs du groupe Invivo (premier groupe coopératif agricole français, NDLR) qui sont très intéressés par le riz IGP de Camargue, indique Marc Bermond. L'objectif est vraiment de revenir à 20.000 ha de riz mais pour cela, nous avons besoin d'autorisations et d'une meilleure écoute de la part de l'administration. Le greenwashing a été un carnage pour la riziculture, or nous défendons une écologie nourricière participative. C'est bien de parler d'agriculture raisonnée mais il serait temps de se diriger vers une agriculture raisonnable. »

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