Dans un contexte de fragilité du secteur, David Lafarge relève le défi à la tête des librairies Sauramps

Un an après un changement à la tête du groupe de librairies montpelliérain Sauramps, c’est un nouveau directeur qui s’est installé dans le fauteuil de direction. Jamais très loin des livres, dont il se dit passionné, David Lafarge a pris ses fonctions il y a trois mois environ. Il livre son premier « rapport d’étonnement » sur cette institution culturelle montpelliéraine, qui rebat sans cesse les cartes de la réflexion pour se maintenir dans un contexte général de fragilité du secteur.
Cécile Chaigneau
David Lafarge est le nouveau directeur général du groupe de librairies montpelliérain Sauramps.
David Lafarge est le nouveau directeur général du groupe de librairies montpelliérain Sauramps. (Crédits : DR)

L'année 2021, post-Covid, avait été qualifiée d'« exceptionnelle » pour le secteur des librairies. Les créations de librairies avaient atteint un niveau record en 2022. Et l'année 2023 s'était présentée comme « un retour à la normale », selon le Syndicat de la librairie française, avec un chiffre d'affaires stable (+0,8%, +0,5% pour les seules ventes de livres) et même au-dessus du niveau d'activité d'avant la crise sanitaire (+9,2% par rapport à 2019). Pourtant, les professionnels s'inquiétaient « d'évolutions inquiétantes pour le proche avenir »... Ainsi, même si elles sont demeurées inférieures à l'inflation, ce sont les revalorisations des prix appliquées par les éditeurs qui ont permis aux librairies de rester à l'équilibre, les volumes de ventes ayant baissé de 2,9% en moyenne. Les ventes aux collectivités ont reculé de 2,5% en 2023 et même de 4 à 5% dans les plus grandes librairies. Des évolutions qui ne permettent pas de couvrir la forte hausse des charges : +10% pour les salaires et le transport depuis 2021, +150% pour les factures d'électricité dans les grandes librairies, indique le syndicat professionnel.

C'est dans ce contexte qu'est arrivé le nouveau directeur général du groupe de librairies montpelliérain Sauramps, institution locale. David Lafarge a pris ses fonctions début avril, soit un an après l'arrivée de Florence de Mornac, partie début février.

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Un scientifique périgourdin

Après des études de sciences qui ne le prédestinaient pas à la librairie, David Lafarge, qui se dit passionné de lecture depuis toujours, a l'opportunité de rentrer dans la réputée librairie Mollat à Bordeaux, où il restera dix ans, avant de rejoindre la direction commerciale d'une société d'informatique suisse vendant des logiciels de gestion pour les librairies pendant trois ans. C'est dans ce cadre que le Périgourdin fait connaissance avec les librairies Sauramps. Aussi, quand le poste de direction du groupe se libère, Marie-Aurélie Buffet, la directrice de développement de Sauramps, elle aussi ancienne de chez Mollat, pense à lui.

« L'opportunité de diriger une librairie comme Sauramps ne se présente pas tous les quatre matins », sourit aujourd'hui David Lafarge.

La mission relève pourtant du défi : le nouveau pilote des librairies (63 salariés, quatre boutiques : le vaisseau-amiral Montpellier Comédie, Montpellier Odyssée, le Musée Fabre, et Alès) confirme une situation tendue entre recettes et charges.

En février dernier, Jean-François Sportes qui assurait l'intérim à la direction du groupe montpelliérain, annonçait un chiffre d'affaires 2022 de 16,5 millions d'euros (en attendant la clôture de l'exercice 2023). Soit un chiffre en-deçà des 20 millions d'euros de l'année précédente, confirmant que « la filière librairie a marqué le pas en 2022, après une bonne année 2021 post-Covid ». Pour 2023, le nouveau directeur des librairies annonce un chiffre d'affaires de 10 à 11 millions, mathématiquement réduit par la fermeture (provisoire) du magasin Odyssée, dans le centre commercial Odysseum de Montpellier.

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S'inspirer de la librairie Mollat

« Aux Rencontres nationales de la librairie qui se sont tenues à la mi-juin à Strasbourg, une étude d'un cabinet d'audit a révélé qu'à trois ans, il faudrait une croissance annelle de 10% pour être sûr de s'en sortir, indique David Lafarge. C'est une perspective difficile. Le modèle de la librairie tel qu'il est aujourd'hui est fragile, et des réflexions sont en cours dans la profession pour trouver un nouveau modèle, avec de meilleures rentabilités. Il faut aussi faire en sorte de coller davantage aux nouvelles habitudes de consommation. Ainsi par exemple, la mode manga qui existait au moment du lancement du Pass Culture est aujourd'hui remplacée par la romance, un vrai phénomène !... Mais nous avons pleinement le soutien de l'actionnaire (le groupe Hugar, holding de l'architecte François Fontès, NDLR), du point de vue financier mais aussi pour explorer de nouvelles pistes de développement. Nous y travaillons en binôme avec Marie-Aurélie Buffet, tous les deux issus de la librairie Mollat qui est un modèle qui réussit. »

La librairie montpelliéraine doit notamment encore progresser sur le volet digital, sur lequel David Lafarge concède un retard : « Le site internet a été refait à l'été 2023, nous sommes en croissance mais on peut encore progresser. Car malgré de très gros acteurs très implantés qui dominent le marché, il y a de la place pour les libraires indépendantes, notamment pour servir une clientèle éloignée des boutiques. Chez Sauramps aujourd'hui, les ventes en ligne représentent 4,5% du chiffre d'affaires, et l'objectif est de réaliser 10% de chiffre d'affaires supplémentaire en ligne... Ce qui nous protège en France, c'est qu'Amazon ne peut pas jouer sur le tarif des livres, et qu'il existe encore un vrai tissu de librairies qui maintiennent le marché. Mais à Alès par exemple, la librairie en face de la nôtre a fermé et ce n'est jamais un bon signal ».

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Odyssée : décision à l'automne

Depuis maintenant un an et demi environ, le magasin Odyssée (dont le loyer très élevé obérait fortement la rentabilité) a donc été fermé et remplacé par un pop-up de 170 m2 en attendant que la future librairie prenne ses quartiers dans l'ancien magasin Zara (1.400 m2). En avril 2023, l'ouverture était annoncée pour... novembre 2023. Une ouverture qui n'a pas eu lieu et qui est vraisemblablement incertaine. Et une situation qui inquiète les salariés, selon l'un de leurs représentants.

« Les travaux n'ont pas commencé donc c'est décalé, indique David Lafarge. Et une réévaluation du risque et de la pertinence d'un magasin à cet endroit est en cours dans la mesure où le Casino est train de fermer (le magasin n'a pas trouvé de repreneur dans le cadre de la cession des hyper et supermarchés Casino au groupement Les Mousquetaires et à Auchan Retail France, NDLR) On prend notre temps, la décision devrait être prise à l'automne. En attendant, le pop-up, qui était orienté BD jeunesse et manga, est enrichi cet été d'un rayon littérature. »

Du côté de la librairie de la Comédie, malgré les aménagements et rénovations qui ont eu lieu, le site reste une passoire énergétique et ne répond toujours pas à certaines normes. Un dossier au long cours, qui s'embourbe dans une complexité notamment liée à la multiplicité des propriétaires. Il y a un an déjà, Florence de Mornac évoquait « des pistes avec les différents propriétaires ». Un an plus tard, le dossier semble en être au même point...

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« Voir comment le moteur fonctionne »

Quelle feuille de route pour le nouveau dirigeant des librairies, dans ce contexte difficile : « Nous réaménageons la librairie Comédie pour remettre la littérature à l'entrée principale, nous rationnalisons les achats avec la demande expresse auprès des libraires de ne pas être uniquement des vendeurs de livres mais aussi des gestionnaires de leur propre rayon afin d'avoir une meilleure rotation des stocks. Il faut qu'ils soient plus commerçants, comme l'avait déjà impulsé Florence de Mornac, mais ils doivent aussi être responsabilisés sur la fragilité du modèle, grâce à une meilleure connaissance des chiffres. Nous avons décidé de libérer un espace de rencontre des auteurs pour être à nouveau vrai acteur culturel de la métropole. L'objectif est de se créer un nouveau public, notamment de lecteurs plus jeunes. Le Pass Culture a fait venir les jeunes, ce qui nous montre qu'ils sont en demande, c'est pourquoi cet espace de rencontre pourrait accueillir des clubs de lecture pour des ados. Enfin, nous allons également améliorer le volet communication et notre présence sur les réseaux sociaux, tout ce qui peut créer des visites sur le site internet avec un meilleur taux de transformation. »

Si ces nouvelles fonctions l'éloignent des rayons de livres, David Lafarge évoque « un autre métier, passionnant, qui permet de voir comment le moteur fonctionne, de trouver les bons réglages ».

« Une librairie, c'est plein de métiers pour vendre des livres, qu'il faut faire fonctionner ensemble, décrypte-t-il. Et au-delà de cette mission de chef d'orchestre, il y a aussi un peu de composition car il faut imaginer l'avenir du métier et ne pas subir les changements. »

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 12/07/2024 à 13:23
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C'est tout de même le 4e ou 5e directeur depuis le rachat par le groupe Ametis, du jamais vu, on finit par ne plus y croire. D'autant que ce que dit Mr Lafarge est en contradiction totale avec les propos récemment tenus par le délégué syndical de la ...

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