Télétravail, flex office, coworking : comment les entreprises adaptent leur stratégie immobilière à Montpellier

SERIE immobilier de bureaux (1/3) – La crise sanitaire a mis un coup de pied dans l’organisation traditionnelle du travail et a fait prendre un virage au télétravail, au coworking ou au flex office. Le modèle de travail hybride est désormais monnaie courante. Une mini-révolution en route. Quel impact ont ces nouvelles organisations sur les besoins des entreprises et sur le marché immobilier des bureaux ? Décryptage à Montpellier, avec une spécialiste de l’immobilier de bureaux chez Tourny Meyer, l’entreprise de coworking Bureaux & Co, et la startup Sharvy.
Cécile Chaigneau
Les espaces de coworking conçus un peu partout en France par le Montpelliérain Bureaux & Co (photo : Perpignan) sont de plus en plus cosy et empreints de convivialité mais aussi dotés de multiples services afin d'offrir aux coworkers un cadre de travail attractif.
Les espaces de coworking conçus un peu partout en France par le Montpelliérain Bureaux & Co (photo : Perpignan) sont de plus en plus cosy et empreints de convivialité mais aussi dotés de multiples services afin d'offrir aux coworkers un cadre de travail attractif. (Crédits : Bureaux & Co)

« La flexibilité dans les organisations du travail est un progrès : on cherche comment faire mieux avec moins d'espaces aujourd'hui. Quarante ans qu'on était sur des acquis sans une once d'évolution ! Par ailleurs, on ne peut pas continuer cette fuite en avant de toujours plus de construction, il faut reprendre des actifs anciens. »

Dans son analyse des nouvelles organisations du travail, Christèle Marnas, la directrice régionale Languedoc-Roussillon du conseil en immobilier de bureaux Tourny Meyer, ne mâche pas ses mots...

La période post-crise à compter de 2021 a acté de profonds changements dans les organisations du travail, ouvrant un large champ au télétravail, jusqu'alors anecdotique et désormais régulier (en moyenne deux jours par semaine), mais aussi au coworking ou encore au flex office, ces espaces de bureau organisés de manière flexible où la place des salariés n'est plus assignée. Christèle Marnas englobe le tout derrière la notion de « travail nomade ». Dans les entreprises, une nouvelle réflexion s'est ouverte sur leurs besoins réels et sur l'avenir de leurs bureaux avec une question : comment ajuster les surfaces pour tenir compte de la diminution du nombre de collaborateurs présents simultanément sur site ?

« L'entreprise réduit ses m2 privatifs »

« Même si des études sur le télétravail ont démontré une perte de productivité en raison de la perte des interactions qui nourrissent le quotidien des salariés ensemble au bureau et même si c'est l'enfer pour les managers commerciaux ou pour la créativité, on ne reviendra pas en arrière sur le travail nomade, tout le monde a trop pris goût à la liberté que cela procure », ajoute Christèle Marnas, rappelant que « le télétravail, c'est partout sauf au bureau : en coworking, dans le train, à la maison, dans un bar ».

Ce n'est pas Nordine El Ouachmi, le fondateur et dirigeant de Bureaux & Co à Montpellier, qui la contredira : « Le télétravail n'est pas forcément du home-office... Aujourd'hui, les entreprises mettent en place des politiques de coworking qui visent à permettre aux salariés de travailler au plus proche de chez eux tout en bénéficiant des mêmes ressources qu'en entreprise ».

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Les entreprises ont-elles déjà commencé à réviser la superficie de leurs bureaux en intégrant la présence intermittente de leurs salariés ?

« Ce qu'on voit se mettre en place dans les grands groupes, c'est une organisation étoilée : le navire amiral en cœur de zone tertiaire et des espaces loués en périphérie pour les salariés dans conditions similaires à leurs bureaux, répond Christèle Marnas. L'entreprise réduit ses m2 privatifs. Une salle de réunion qui est utilisée à 30% de son temps n'est pas rentable. Aujourd'hui, on considère que 30% des effectifs ne sont pas présents pour des raisons de maladie, de congés, de formation ou de télétravail, donc les entreprises louent des bureaux pour 70% des salariés et s'assurent de la possibilité de réserver des espaces partagés, comme des salles de réunion, dont en plus elles ne gèrent pas l'énergie, le matériel, etc. La tendance est donc aujourd'hui aux immeubles serviciels, offrant cette flexibilité, du coworking, des équipements et des services... Ils sont encore dans une faible proportion, environ 3% de la quantité de m2 en immobilier d'entreprise, mais  il est probable que la volumétrie passe à 30% dans les territoires tertiaires d'ici cinq à six ans, et pas uniquement dans les métropoles et les zones urbaines. Entretemps, les promoteurs auront conçu des immeubles correspondant à ces attentes : moins d'espace pour plus de monde, c'est à dire qu'on passera à une moyenne d'un poste pour 8 à 11 m2, quand on a été à un pour 20m2 pendant vingt ans. »

Gérer l'empreinte immobilière

Le spécialiste montpelliérain du coworking a le vent en poupe : Bureaux & Co compte désormais six espaces de coworking à Montpellier, et un 7e est en cours de construction, soit plus de 20.000 m2. La crise ayant sérieusement écorné l'attractivité de la capitale, où le marché du coworking est par ailleurs « proche de la saturation », selon le cabinet d'études Xerfi, l'offre de coworking progresse vite dans les métropoles régionales. Bureaux & Co est ainsi également présent à Nantes, Rennes, Paris, Sarcelles, Valence, Lyon, Dardilly, Malakoff, Toulouse, Marseille, Perpignan, Sète, et des espaces sont en cours de travaux à Aix-en-Provence, Béziers ou Bordeaux. Des lieux dont la taille moyenne est aujourd'hui de plus de 3.000 m2 pour 300 postes, contre 700 m2 à ses débuts.

« Bureaux & Co est dans le top 10 du class des professionnels de l'immobilier en termes de m2, plus de 40.000 m2 aujourd'hui, et l'an prochain, nous serons à 60.000 m2, indique Nordine El Ouarchmi. Nous ambitionnons de doubler nos positions et nous sommes à l'affut de toutes les opportunités... Au départ, on créait du bureau simple et aujourd'hui, nous sommes la marque qui propose le plus de services intégrés et gérés en interne : Ethik Sport Club, restauration, mini-crèche, animation, et même quelques sites avec des services paramédicaux... Ce qui nous démarque de tout le monde. Aujourd'hui, l'immobilier de bureaux doit être serviciel, et c'est comme ça qu'on séduit des entreprises comme IBM, Bpifrance, Doctolib, PMU, Uber ou des banques. Nous sommes passés de 0 à 50% de notre chiffre d'affaires réalisé auprès de grands comptes alors qu'historiquement, Bureaux & Co répondait au tissu économique local de TPE-PME qui ont des difficultés à trouver de petites surfaces flexibles. Les entreprises ont pris conscience, post-Covid, que les salariés savaient télétravailler et que les charges immobilières étaient très lourdes pour des m2 vacants inexploités et sans flexibilité en raison de baux longs. D'où une recrudescence de demandes de grands comptes qui gèrent ainsi leur empreinte immobilière. »

Le dirigeant annonce qu'à Montpellier, où exercent pourtant des concurrents comme Rebus, Newton ou Babel Community, ses espaces de coworking sont « full » : « La plus grosse demande de postes qu'on ait eue porte sur 200 postes de travail sur le même lieu (nom de l'entreprise non communiqué, NDLR). Nous faisons 50% du chiffre d'affaires sur des demandes inférieures à dix postes et des durées d'engagement de 24 mois ».

« La flexibilité est devenue un standard »

« Les nouvelles générations ne connaissent quasiment que le télétravail et chez les startups, aucune ne rêve d'aller signer un bail de 3, 6 ou 9 ans !, ajoute Nordine El Ouachmi. La flexibilité est devenue un standard et le coworking permet aussi aux entreprises de soigner marque employeurs. »

Cette révolution des organisations du travail vient en effet répondre à des attentes nouvelles, notamment chez les plus jeunes débarquant sur le marché du travail : « La génération Z n'a aujourd'hui plus les mêmes attentes dans le tertiaire : ils veulent que l'espace de travail soit lieu de convivialité, avec des services à disposition », insiste Christèle Marnas.

« Dans le projet Roch Plaza (porté par Idec Invest et Bureaux & Co, 5.000 m2 dont la moitié en coworking, NDLR) du quartier Nouveau Saint-Roch à Montpellier, qui sera livré en 2024, nous installons une messagerie urbaine dans le parking et les colis sont ensuite distribués dans le centre-ville par des triporteurs électriques, raconte le dirigeant de Bureaux & Co. On y met aussi un local répare-vélo pour un artisan, et l'immeuble compte aussi une salle de sport, une brasserie ouverte non-stop, une zone évent, un roof-top et une offre de bureaux avec tous les choix de location possibles, du coworking au bail commercial. »

Un taux d'occupation des bureaux de 66%

Ces espaces de travail d'un nouveau genre ouvre davantage la porte au flex office, et ce n'est pas toujours avec l'assentiment des salariés...

« On pilote un avion alors que la queue n'est pas finie de construire, simplifie Christèle Marnas, sceptique. C'est une question d'appropriation et en effet, le flex office est compliqué et encore non résolu en France... C'est une question de culture, et sur ce sujet, il faut rééduquer tout le monde ! »

A Montpellier, une startup s'est engouffrée dans la brèche : Sharvy. Conceptrice d'une solution de gestion intelligente des places de parking d'entreprises, elle l'a déclinée sur l'optimisation des espaces de travail et sur les restaurants d'entreprises.

« Cette solution de gestion du flex office, que nous avons lancée il y a un an, pèse aujourd'hui environ 10% de notre activité, indique Stéphane Seigneurin, fondateur et dirigeant de Sharvy (une quinzaine de salariés, 1 million d'euros de chiffre d'affaires 2022). Mais on voit se développer la généralisation d'une pratique : les personnes vont réserver différentes ressources : salles de réunion, salle de repos, bureaux, casiers... On l'observe dans les grandes entreprises : dans le scénario qui s'est mis en place post-Covid, le télétravail s'est développé. Le taux d'occupation des bureaux est de 66% en France aujourd'hui, avec certains jours où ils sont très vides, ce qui pousse les entreprises à agir : elles se demandent comment mieux occuper l'espace et comment redonner de l'attractivité au bureau... Presque 60% des entreprises veulent passer au flex office, pour gagner des m2 et optimiser ce taux d'occupation. Mais c'est un changement qui s'accompagne si on veut que la perception des salariés soit bonne. Ça ne se fait pas en un jour, il faut essayer, faire des équipes pilotes, communiquer pour générer de l'adoption. Et ne jamais sous-estimer la complexité des changements d'organisation. »

« Le flex office ne s'improvise pas »

A la fin de l'été dernier, Sharvy a publié un livre blanc proposant « huit règles d'or pour réussir la transition des entreprises du tertiaire vers le flex office », s'appuyant son expérience « mais aussi sur des études, des retours d'expériences et des paroles d'experts ».

« L'objectif, c'est d'expliquer comment procéder sans négliger les freins, les a priori des salariés, commente Stéphane Seignerin. Le flex office ne s'improvise pas. Il faut une diversité de types de postes de travail, une gestion dynamique des bureaux entre équipes, réaménager les espaces pour un meilleur bien-être... Ce qui signifie que la nouvelle organisation génèrera sans doute des coûts d'installation - cabines acoustiques, cloisons, équipements, mais aussi  outils de gestion comme Sharvy - avant qu'on en perçoive les économies générées par la baisse des surfaces occupées. »

Parmi les règles d'or pour réussir cette transition : identifier les attentes et besoins des collaborateurs, proposer une charte du flex office co-construite, réorganiser les espaces de travail, assurer un poste à chaque salarié à tout moment, calculer le taux de foisonnement des bureaux, investir sur l'écosystème digital, tester avant d'imposer.

« Construire moins et mieux »

Le monde de l'immobilier d'entreprise est donc encore dans une phase de transition et de digestion des changements. Une transition qui se heurte à une double inertie : celle de l'entreprise où les habitudes d'organisation sont souvent difficiles à bousculer, et celle de l'immobilier où les virages se prennent souvent en décalage avec l'évolution des usages.

« C'est positif que les choses évoluent mais c'est très perturbant car le temps de mutation est très rapide alors que le temps de l'immobilier et de la conception d'immeubles est un temps long, confirme Christèle Marnas chez Tourny-Meyer. Le home-office va évoluer avec l'évolution des logements : on voit qu'aujourd'hui, la Métropole de Montpellier impose quasiment un espace de coworking dans tous les immeubles pour offrir des conditions de télétravail comme au bureau. »

Chez Bureaux & Co, Nordine El Ouachmi reprend à son compte cette phrase qui pourrait faire consensus en période de zéro artificialisation nette : « Il faut construire moins et mieux ». Le dirigeant regrette que certains bâtiments qui sortent actuellement de terre soient « déjà obsolètes » car leur conception ne s'est préoccupée que de la dimension environnementale (désormais incontournable et c'est tant mieux) mais pas suffisamment des usages.

« On est encore sur les vieux schémas de plateaux à diviser en grandes surfaces alors que 90% des entreprises ont moins de dix salariés, s'étonne-t-il. C'est là que les brokers s'arrachent les cheveux : l'entreprise qui cherche des locaux est obligée de s'adapter à ce qu'on lui propose, alors qu'on devrait pouvoir découper un bâtiment en fonction des besoins des entreprises. »

Cécile Chaigneau

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