Festival du film politique de Carcassonne : « Le cinéma politique, c’est le combat de l’obscurantisme »

INTERVIEW - Pour un peu plus d’un week-end, la cité de Carcassonne devient cité du cinéma politique français et international. Du 11 au 15 janvier, elle accueille la 6e édition du Festival international du film politique, avec notamment en guest stars des poids lourds du cinéma engagé tels que le réalisateur britannique Ken Loach ou l’acteur, réalisateur et scénariste français Vincent Lindon. Entretien croisé avec Etienne Garcia et Henzo Lefèvre, président et directeur du festival, autour d’un art majeur dont la vocation est d’éveiller les consciences citoyennes.
Cécile Chaigneau
Etienne Garcia et Henzo Lefèvre, président et directeur du Festival du film politique de Carcassonne.
Etienne Garcia et Henzo Lefèvre, président et directeur du Festival du film politique de Carcassonne. (Crédits : Hans Lucas, Benoit Durand)

La sixième édition du festival CitéCiné, Festival international du film politique de Carcassonne, a lieu du 11 au 15 janvier 2024. Une manifestation culturelle qui met en lumière un cinéma qui marque les consciences individuelles et collectives, dépassant les frontières des seuls enjeux partisans et électoraux pour proposer un moment de cinéma de citoyenneté.

Le festival*, qui a enregistré une fréquentation de 10.000 personnes en 2022 est monté à 15.900 en 2023. La programmation de l'édition 2024 propose 31 longs métrages et six courts-métrages en avant-première, ainsi que le film Hors Saison (avec Guillaume Canet et Alba Rohrwacher, en salles début 2024) de Stéphane Brizé. Ce dernier, président du jury pour cette édition 2024 du festival, est notamment le réalisateur de La loi du marché, film ayant valu à Vincent Lindon le prix d'interprétation à Cannes en 2015 et César du meilleur acteur.

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LA TRIBUNE - Que range-t-on dans le périmètre du film politique ?

Henzo LEFEVRE, directeur du Festival international du film politique - Il est d'usage de considérer comme films politiques les films qui ont volontairement une dimension politique, qui interpellent, interrogent les citoyens, réveillent les consciences. Ce qui compte, c'est l'intention politique de l'œuvre. On ne parle donc pas uniquement des films, séries, courts-métrages ou documentaires évoquant les coulisses du pouvoir. Le cinéma politique, c'est le combat de l'obscurantisme, l'éclairage de la société. C'est l'idée du siècle des Lumières ! Dans notre travail de programmation, on voit que l'horizon global au niveau mondial est d'environ 350 à 400 longs métrages par an... Vincent Lindon (acteur, réalisateur et scénariste français, NDLR) est invité d'honneur et ouvrira le festival, et Ken Loach (réalisateur britannique, NDLR), qui incarne le cinéma politique, est présent pour la première fois.

Etienne GARCIA, président du festival - On observe logiquement le lancement de projets cinématographiques après de grands faits de société comme les Gilets jaunes ou la crise sanitaire du Covid. Il y a encore peu de films sur l'environnement et l'écologie alors que c'est une priorité des Français. En revanche, il en existe davantage sur le monde du travail. La fiction ne choisit pas la simplicité et les personnages de films sont en général définis dans leur complexité. Les films politiques nous donnent à voir des destins et nous permettent de nous interroger sur des sujets qu'on connaît peut-être mal.

Comment résonne ce festival dans le contexte politique actuel, marqué notamment par une montée de l'extrême-droite partout en Europe ou par des crispations en France autour par exemple de la Loi Immigration ?

Etienne GARCIA - Le public est arrivé à sortir du fait que ce festival n'était pas un festival militant, et d'ailleurs, peu de militants politiques viennent, le festival n'intéresse pas les personnes qui cherchent la polémique. Avec le film politique, on n'est pas dans le fait divers, qui génère de l'émotion instantanée, on est sur de la réflexion de long terme. Le festival n'a pas de couleur politique mais on est aujourd'hui dans un système très libéral, et les réalisateurs, questionnant notre monde tel qu'il est, sont nombreux à dénoncer des dérives comme les superprofits ou un monde du travail déshumanisé. Le festival n'est pas là pour faire passer un message mais pour inciter à s'interroger.

Festival du film politique de Carcassonne, édition 2024

L'affiche 2024 du Festival du film politique de Carcassonne.

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Quel est le contenu du festival ?

Etienne GARCIA - Il présente des fictions, des documentaires, des courts-métrages, et bien sûr quelques séries car il est difficile de ne pas en parler aujourd'hui, vu l'engouement qui existe autour d'elles. Le public du Festival du film politique n'a pas d'attente sur les films et vient chercher une ouverture culturelle.

Henzo LEFEVRE - Des personnes très différentes contribuent à la programmation des films, de sorte à avoir une grande diversité et à attirer un large public. Un public qui se répartit en trois catégories : les scolaires avec plus de 2.000 élèves cette année, le grand public (le festival se déroule à guichet fermés, tous les pass ayant été vendus en amont, NDLR) et les professionnels que nous commençons à développer en organisant des rencontres, par exemple cette année en collaboration avec Occitanie Films et Occitanie Livres & Lecture. Cette programmation compte des films présentés pour la première fois en France, certains qui ne sont pas encore vendus en France, ce qui présente un intérêt pour des distributeurs.

En effet, les agences régionales Occitanie films et Occitanie Livre & Lecture ont choisi de s'associer au festival pour organiser la 2e édition de leur journée professionnelle sur la thématique « Des livres aux écrans ». Elle a lieu ce vendredi 12 janvier et réunit auteurs, éditeurs, scénaristes, producteurs et réalisateurs. Quel est l'angle étudié ?

Etienne GARCIA - Nous analysons ce sujet par le biais des séries, avec une table ronde qui évoque notamment la série Dans l'ombre, adaptée par Pierre Schoeller du livre d'Edouard Philippe et Gilles Boyer, ou la série D'argent et de sang adaptée par Xavier Giannoli du livre de Fabrice Arfi... Les affaires (dans la vraie vie, NDLR) font parfois l'objet de livres et nous examinons les enjeux à les traduire en série. Cet univers de l'adaptation est méconnu . L'idée est d'interroger les intervenants sur l'intérêt de faire vivre des personnages par une œuvre de fiction. Et nous abordons aussi la question de l'implication des auteurs dans le passage du livre à l'écran et la part de liberté des réalisateurs.

En France, sait-on détecter les bonnes idées, travailler les bons scénarii, pour produire des succès d'envergure ?

Je serais prudent dans ma réponse car il y a la problématique de repérage mais aussi celle du courage des chaînes de télévision, qui financent les projets, à aller chercher de l'originalité car il peut y avoir une forme d'appréhension à traiter certains sujets... Il faut aussi voir qu'aujourd'hui, la notion de succès s'évalue différemment : l'offre est colossale comparée à avant, le prix du cinéma a beaucoup augmenté, même si les chiffres restent bons, et l'offre de replay permet une consommation plus à la carte.

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* Budget du festival : 210.000 euros, financés à 30% par des subventions publiques (Ville et Communauté d'agglomération de Carcassonne, Département de l'Aude, Région Occitanie) et 70% par la billetterie et du mécénat d'entreprises.

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 13/01/2024 à 9:06
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Oui mais plus l'inscription d'un combat sémantique sur le long terme qu'une initiative révolutionnaire, les gens ne se révoltent pas à partir de la création d'un artiste tel qu'il soit, peintre, écrivain, cinéaste, sculpteur.... Mais une bonne fictio...

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