Urbanisme : les élus promettent de passer de la métropolisation à une intelligence territoriale

Continuer à construire des logements et à accueillir des entreprises dans une région à forte démographie mais ne disposant pas de grosses réserves foncières, dans un contexte réglementaire contraint : l’équation est source de cauchemars pour les opérateurs de la filière de l’acte de bâtir de l'ex-Languedoc-Roussillon. Réunis en colloque le 12 octobre, ils ont invité les élus régionaux à s'exprimer sur un voeu partagé qu’il faut maintenant mettre en pratique : jouer le rééquilibrage des territoires entre ville centre de Montpellier et villes moyennes. Quelles solutions ? Quelle méthode ? Quelques réponses.
Cécile Chaigneau
Comment échapper au phénomène de métropolisation autour de la ville centre de Montpellier (photo) et favoriser le rééquilibrage des territoires avec les villes moyennes de la région ? C'est l'enjeu posé par les professionnels de l'acte de bâtir aux élus lors d'un colloque le 12 octobre 2021.
Comment échapper au phénomène de métropolisation autour de la ville centre de Montpellier (photo) et favoriser le rééquilibrage des territoires avec les villes moyennes de la région ? C'est l'enjeu posé par les professionnels de l'acte de bâtir aux élus lors d'un colloque le 12 octobre 2021. (Crédits : DR)

C'est une évidence, mais tous les acteurs de l'acte de bâtir s'accordent dessus : on ne construira plus la ville de demain comme hier. Parce que les modes de vie et les attentes ne sont plus les mêmes. Ni les contraintes. Ni les obligations. Ni les défis.

Un an après les élections municipales, les professionnels de l'acte de bâtir réunis au sein de l'Académie du Bâtiment et de la Cité de Demain (ABCD) sur le périmètre de l'ex-Languedoc-Roussillon, s'inquiétant d'un trou d'air en 2022, ont invité les élus au dialogue lors d'un colloque qui se tenait le 12 octobre à La Grande Motte. Objectif : se parler, s'écouter, faire émerger des solutions concrètes.

L'équation du "Zéro artificialisation nette"

Le premier des challenges auquel les opérateurs de la filière disent être confrontés, c'est la rareté du foncier dans une région à la démographie galopante. Et ce n'est pas l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN, objectif à 2050 fixé par la loi Climat et résilience qui demande aux territoires de baisser de 50%, d'ici à la fin de la décennie, le rythme d'artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers) qui est de nature à leur rendre un quelconque optimisme.

« Le département de l'Hérault a besoin de 14.000 logements par an, or en dix ans, on a consommé 266 ha donc on disposera de la moitié, soit 133 ha, pour les dix prochaines années. Ce qui signifie qu'il faudra faire 81,5% des logements sur des terrains déjà artificialisés. »

Avec ce rappel d'Hervé Vanaldewereld, président de l'Union Nationale des Aménageurs (UNAM) du Languedoc-Roussillon, en préambule, le décor est planté.

François Rieussec, président national de l'UNAM renchérit : « Aujourd'hui, on urbanise 1/3000e du territoire par an, ce qui fait qu'en 30 ans, jusqu'en 2050, on aura urbanisé 1% du territoire si on continue au rythme actuel, c'est à dire un rythme faible. On se tire une balle dans le pied ! D'autant qu'on sort de la crise Covid durant laquelle les gens ont regretté de ne pas avoir d'extérieur ou assez d'espace. Et paradoxalement, on vote la loi ZAN. C'est la contradiction de deux modèles... Mais c'est la loi. La première chose à faire, c'est une contractualisation des objectifs entre élus et opérateurs, c'est à dire un urbanisme de la concertation. Nous proposons d'atteindre le net du ZAN par l'opération elle-même, en allant vers des permis d'aménager bioclimatiques ».

« Facteur de rigidité et d'inflation »

« L'État a légiféré sans considérer les dynamiques territoriales, et le ZAN sera l'affaire des collectivités locales, regrette de son côté Alexis Rouque, délégué général de la fédération des promoteurs immobiliers (FPI) France. Le ZAN sera facteur de rigidité et d'inflation, il va mettre le bazar dans la planification et créer de la rareté alors qu'il y a beaucoup de ménages modestes dans la région... On sait construire avec une densité durable et abordable mais on ne pourra pas le faire seuls. Ce sont les élus qui ont la main, nous, on s'adapte. »

Justement, que font les élus locaux ? Comment répondent-ils aux besoins en logements ? Comment préservent-ils à la fois le développement économique et l'équilibre de leurs territoires respectifs ? L'approche par les chiffres explique aujourd'hui l'inquiétude des professionnels de l'acte de bâtir...

Selon le cabinet Adéquation, qui compile les données du logement neuf, si la Métropole de Montpellier et les autres grandes villes de l'ex-Languedoc-Roussillon sont relativement « dans les clous » en 2020 en matière de volumes de construction par rapport aux besoins, il y a souci quand on observe les chiffres des mises en vente en promotion immobilière en 2020 : 2.366 sur la métropole montpelliéraine contre 4.343 en pic haut en 2011, 1.290 sur Montpellier contre 2.394 en 2017, 578 sur l'agglomération de Nîmes contre 889 en 2017, 175 sur Sète Agglopôle contre 815 en 2018, etc. C'est l'alerte moult fois lancée par les promoteurs depuis des mois maintenant...

Alors une autre évidence se fait jour : on ne peut plus penser le logement à l'échelle d'une ville mais d'un territoire.

Ce que confirme Frédéric Roig, le président de l'Association des maires de France dans l'Hérault : « Les solutions seront forcément collectives. Aujourd'hui, 30 millions de personnes vivent en ville, 20 millions en zones périurbaines et 10 millions en zones rurales. Après la crise sanitaire, 10 millions de personnes souhaitent bouger. Le défi est colossal pour les élus. On ne peut pas tout concentrer sur une métropole ! Le président de la métropole de Montpellier Michaël Delafosse passe des conventions avec plusieurs territoires périphériques. Nous avons la chance d'avoir un réseau de villes moyennes, c'est une richesse extraordinaire. Il faut aller vers un rééquilibrage. C'est cette intelligence territoriale qui permettra de répondre à toutes les demandes ».

« Ce type de dossier aurait été explosif »

Si l'ère de la métropolisation semble bien révolue dans tous les esprits, à chaque ville son histoire et ses spécificités, à chaque élu sa méthode.

« Il faut une vision plastique du territoire, préconise Cédric Grail, directeur général du groupe SERM-SA3M (bras armé de la Métropole de Montpellier) et secrétaire général d'ACM Habitat. Il faut analyser les usages, voir ce qui fonctionne. Ce qui peut la déclencher cette révolution culturelle, ce sont des actes politiques et lisibles. Par exemple, rendre les transports en commun gratuits et inciter les gens à les prendre déclenchera de nouvelles pratiques...  Et il faut intéresser les promoteurs à venir construire dans certains quartiers difficiles. »

Ce n'est pas Stephan Rossignol, le maire de La Grande Motte et président de l'agglomération du Pays de l'Or, qui s'opposera au principe d'intelligence territoriale, lui qui compte sur son périmètre de gros projets d'aménagement en frontière avec la métropole montpelliéraine : « Aujourd'hui, on travaille en intelligence avec la métropole. On a compris que si une entreprise ne peut pas être accueillie à Montpellier, elle peut aller sur un territoire voisin. C'est ce qui s'est passé avec notre nouveau parc d'activités PIOM à Mauguio, où deux entreprises montpelliéraines (Zimmer Biomet et MG Développement, ndlr) viennent de s'installer. Avant, ce type de dossier aurait été explosif (comprendre sous le mandat montpelliérain précédent de Philippe Saurel, NDLR). Aujourd'hui, on est dans le dialogue avec la métropole, il n'y a plus de barrières dès lors qu'on franchit les frontières de la métropole, comme par le passé... ».

Sur la ville littorale de Sète, le territoire est contraint, coincé entre mer Méditerranée et étang de Thau. Le maire François Commeinhes, qui a lancé la réhabilitation de l'entrée Est de la ville avec un gros programme de logements, évoque aussi la reconquête de friches industrielles et portuaires : « Il faut faire venir des entreprises qui créent de l'emploi ».

« Mettre les opérateurs au pas »

C'est aussi le crédo du maire de Béziers, Robert Ménard, qui avait consacré son premier mandat à la tête de la ville (2014-2020) à la rénovation du centre-ville, paupérisé. Il évoque plusieurs axes d'une méthode un brin musclée pour donner corps à ses ambitions...

« En arrivant, j'ai vu des aménageurs qui rêvaient de terrains plats pour construire mais aucun qui voulait venir dans le centre-ville, raconte l'élu biterrois. J'ai alors promis un terrain à l'extérieur de la ville à ceux qui développeraient un programme aussi dans le centre-ville... Quant aux grandes surfaces, ça suffit, ça tue les centres-villes ! Il y avait 26% de vacance commerciale à Béziers, on est aujourd'hui à 15%, même si c'est encore trop. Et pourquoi faut-il gagner absolument de la population ? Est-ce que ce sont bien les habitants que je veux voir dans ma ville ? Faut-il toujours plus de logement social pour accueillir toujours plus de pauvres ? Il m'a fallu des années pour mettre les opérateurs au pas. Je comprends qu'ils défendent leurs intérêts mais moi, je défends ceux de ma ville... Aujourd'hui en tant qu'élu, il faut être capable de dire non, notamment aux entreprises qui veulent s'installer sans créer d'emplois. Et ça fonctionne ! »

Concernant les quartiers difficiles, il martèle que les élus doivent s'occuper de sécurité et lutter contre le communautarisme, « source de problèmes et qui fait que les gens ne veulent plus venir »...

« Ne pas se regarder en chien de faïence »

Enfin dans le Gard, l'agglomération de Nîmes doit faire avec un plan de prévention du risque inondation (PPRI) contraignant : « On ne doit pas urbaniser de manière outrancière, il faut préserver le côté taille humaine de la ville, souligne Julien Plantier, 1e adjoint délégué à l'urbanisme à la Ville de Nîmes. Nous réfléchissons comment faire revenir la population en centre-ville. Nous allons créer une foncière commerciale, avec une politique commerciale incitative. Nous créons un nouveau quartier, le quartier du Mas Lombard, avec 1.200 logements qui sortiront de terre d'ici dix ans, dans une démarche d'écoquartier avec 2/3 des espaces consacrés à des zones agricoles. Nous avons également le projet de friche urbaine du marché-gare pour développer des activités tertiaires et commerciales ».

Les agences de développement économique sont désormais l'une des armes favorites des agglomérations et métropoles. Montpellier s'apprête à créer la sienne (probablement pour fin 2021), ainsi qu'une agence de l'urbanisme (2022). A Béziers, c'était chose faite en 2020, et Sète lance officiellement la sienne en ce mois d'octobre. Si une nouvelle intelligence territoriale doit prendre le pas sur la métropolisation, se parlent-elles ?

« Oui, bien sûr qu'on va se parler, il ne faut pas se regarder en chien de faïence ! », promet François Commeinhes.

Cécile Chaigneau

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