Huit questions sur cette unité de valorisation des déchets qui fracture la majorité à Montpellier

Sans exutoire pour 110.000 tonnes de déchets qu’elle envoie vers des incinérateurs ou centres d’enfouissement de la région, la métropole de Montpellier veut créer une unité CSR (combustible solide de récupération). Les écologistes, partenaires électoraux de 2020, fustigent un projet de « four à plastiques » polluant et onéreux, plaidant une incompatibilité avec une stratégie « zéro déchet ». Explications.
Cécile Chaigneau
Les combustibles solides de récupération (CSR) sont destinés à être brûlés dans des chaudières de manière à valoriser énergétiquement certains déchets.
Les combustibles solides de récupération (CSR) sont destinés à être brûlés dans des chaudières de manière à valoriser énergétiquement certains déchets. (Crédits : DR)

Les uns crient au scandale d'exporter par la route chaque année quelque 110.000 tonnes de déchets résiduels vers les départements voisins. Les autres à l'idée de créer une chaudière CSR (combustible solide de récupération) sur le territoire de la métropole montpelliéraine... Dans la capitale languedocienne, le débat autour de la gestion des déchets s'est soudain enflammé et politisé, renvoyant dos à dos deux stratégies, et face à face deux hommes : le président de la Métropole Michaël Delafosse (PS) et son ex-vice-président (défait de sa délégation) à la stratégie déchets, François Vasquez (EELV). Le sujet a fracturé la majorité. Au-delà des querelles politiciennes, le sujet, majeur, est complexe...

Il intervient à la faveur du renouvellement de la délégation de service public (DSP) de l'unité de méthanisation Ametyst pour janvier 2025, évoqué lors du conseil métropolitain le 13 février dernier. En raison de la polémique soulevée, Michaël Delafosse a repoussée la décision au 2 avril, et a lancé des consultations et autres auditions pour tenter de clarifier le débat. La Métropole a-t-elle d'autres alternatives ? La construction d'une unité CSR revient-elle à construire « un four à plastiques », comme l'affirme l'élu écologiste ? Réduit-elle à néant la stratégie « zéro déchet » engagée ?

  • Pas d'exutoire : « on est les affreux de la France ! »

Plantons le décor. La métropole de Montpellier compte 31 communes et bientôt 500.000 habitants (elle en annonce environ 11.000 de plus chaque année). Des données démographiques qui comptent dans l'équation « déchets ».

La stratégie « zéro déchet » a été votée en mars 2022 par le conseil de Métropole en vue de réduire la production des ordures ménagères résiduelles (OMR) de 50% d'ici 2027 et de 65% d'ici 2029. Mais aujourd'hui, la collectivité annonce un tonnage total de 260.000 tonnes de déchets par an, dont 110.000 tonnes d'OMR (44% du total) sans débouché. Depuis la fermeture de la décharge de Castries en 2019, la collectivité se dit ainsi « la seule métropole de France sans exutoire pour ses déchets » (avec Saint-Etienne). Ces déchets sont donc exportés vers des centres d'enfouissement et incinérateurs de la région : Sète, Montblanc et Lunel-Viel (Hérault), Bellegarde (Gard), Montech (Tarn-et-Garonne), Lavaur (Tarn), Narbonne (Aude) ou Calce (Pyrénées-Orientales). Surcoût de l'opération estimé par la Métropole : 27 millions d'euros par an, soit 67,4 millions d'euros depuis 2019. Sans compter les impacts écologiques.

« Chaque année, ce sont 4.500 camions qui transportent ces 110.000 tonnes de déchets à travers toute la région, constate Michaël Delafosse. Ils parcourent 800.000 km, 20 fois le tour de la Terre, avant d'être éliminés ! Ce scandale écologique, moral et financier doit s'arrêter. En complément de notre politique de réduction drastique des déchets, nous réfléchissons à la meilleure façon de valoriser ce qui n'est aujourd'hui pas réemployé, recyclé ou rendu à la terre. »

Carte de l'exportation des déchets de la Métropole de Montpellier en 2023

Carte de l'exportation des déchets de la Métropole de Montpellier en 2023 (© Montpellier Méditerranée Métropole).

René Revol, vice-président de la Métropole, délégué à la Gestion raisonnée, écologique et solidaire de l'eau et de l'assainissement, abonde : « Ce sont des solutions de bricolage ! Cette crise est le résultat de décennies de négligence, de choix imparfaits ou discutables et d'une absence d'anticipation... Jusqu'en 2006, on a jeté des déchets dans une décharge publique près des étangs, qui émet encore du méthane ! On n'en a eu rien à faire pendant 40 ans, on est les affreux de la France ! ».

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  • La Région, planificateur de la gestion des déchets

D'autant que la Métropole fait aussi valoir les perspectives de réduction des capacités d'accueil des installations régionales existantes, programmées par le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET, en cours de révision pour intégrer les exigences de la loi AGEC, anti-gaspillage pour une économie circulaire), induisant des tensions à venir sur le marché de traitement des déchets.

Agnès Langevine, vice-présidente de la Région Occitanie, déléguée au Climat, Pacte vert et à l'Habitat durable, confirme : « La loi impose une trajectoire de réduction des déchets à croiser avec les capacités régionales de traitement des déchets existantes, soit une autorisation d'un million de tonnes de déchets par an pour l'Occitanie. Nous avons estimé que nous n'avions pas besoin de nouvelles installations. Mais une métropole comme Montpellier ne peut pas compter uniquement sur l'extérieur pour gérer ses déchets, même s'il faut aussi des coopérations. D'autant que le maire de Lunel, par exemple, s'est politiquement engagé à fermer un des fours de son unité d'incinération ».

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  • Pourquoi choisir le CSR

À ce jour, l'ADEME annonce l'existence de « 18 projets industriels CSR conventionnés pour 211 millions d'euros de subventions, dont deux en fonctionnement pour 1,2 million de tonnes de CSR valorisés » en France. Auxquels il faut ajouter le site de Trifyl dans le Tarn. Une unité CSR initiée par un industriel existe également à Laval, alimentant un réseau de chaleur urbain. Par ailleurs, il existe 47 unités CSR en Europe.

Antea Group, cabinet d'ingénierie et de conseil en environnement qui travaille avec la Métropole en assistance à maîtrise d'ouvrage, voit trois risques principaux à ne pas infléchir la politique de traitement des déchets de la Métropole : « Un risque financier avec une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP, ndlr) qui va augmenter et peser sur les finances de la collectivité à hauteur de 2 à 3 millions d'euros par an, une augmentation de leurs prix par les installations d'accueil des déchets, et un coût des transports qui va croître... Par ailleurs, la diminution des tonnages imposée par la loi aux décharges et incinérateurs régionaux réduira les possibilités de la Métropole sur ces exutoires. Enfin, la loi AGEC et le "socle commun" (réglementation sur les matières fertilisantes et supports de culture, NDLR) font que le compost des OMR, pollué, ne sera plus accepté pour retourner à la terre, générant 36.000 tonnes de refus en plus à traiter ».

« Il faut profiter du renouvellement de la DSP d'Ametyst, reliée au réseau de chaleur du quartier des Grisettes, pour augmenter la valorisation énergétique des déchets, ajoute Catherine Marquet, directrice de projet chez Antea. Ametyst produit 34 GWh d'énergie : 21 partent en électricité et 13 en production de chaleur dont 4 dans le process de méthanisation et 9 dans le réseau de chaleur. La chaudière CSR produirait 57 GWh d'énergie en plus, dont une part alimenterait le réseau de chaleur qui va devoir monter en puissance avec son extension et l'arrivée de nouveaux consommateurs. »

Mais François Vasquez s'insurge : « Depuis la guerre en Ukraine, l'Etat français encourage les unités CSR au nom de l'indépendance en énergie. Mais brûler des déchets pour faire de l'énergie signifie qu'on ne réduit pas les déchets ! C'est illogique, et on ne fait que répondre qu'aux intérêts des lobbies industriels ! ».

  • L'unité CSR dans un schéma global

« Il y a trois niveaux de hiérarchisation dans les modalités de valorisation des déchets : la méthanisation pour la production de biogaz comme à Ametyst, l'incinération, puis l'unité CSR qui s'inscrit non pas comme une installation de traitement des déchets mais de production d'énergie, indique Pierre Vignaud, référent CSR à l'ADEME Occitanie. Ensuite, le déchet ultime peut ensuite être enfoui. »

Petite subtilité : pour bénéficier de la subvention ADEME, la Métropole devra faire valoir d'abord son besoin en énergie, et non celui de trouver un exutoire à ses déchets : « Ce qui fonde un projet de CSR, c'est un besoin en énergie et non parce qu'on ne sait pas quoi faire de ses déchets, rappelle avec fermeté Pierre Vignaud. Les déchets sont une opportunité pour substituer un combustible fossile par le CSR pour un réseau de chaleur. Faire ce choix, c'est opter pour la complexité mais avec un meilleur bilan carbone ».

« L'objectif est de produire un maximum d'énergie donc nous avons délibéré sur l'extension du réseau de chaleur Sud avec à l'issue, des prix stabilisés pour les habitants de ces quartiers », déclarait Michaël Delafosse lors de l'audition du 1e mars dernier.

  • Vertus et problèmes

Pour produire 45.000 tonnes de CSR par an, dimension envisagée à Montpellier, il faudra 100.000 tonnes de déchets pour alimenter une chaudière dont la puissance serait inférieure à 20 MW et qui produirait 57 GWh d'énergie.

« Il faudra de préférence des déchets à haut pouvoir calorifique, qu'on n'aura jamais puisqu'on les trie pour les recycler, critique François Vasquez. Donc on aura un four à plastiques polluants. C'est une catastrophe qui s'annonce. D'autant que sur les 100.000 tonnes, seuls 40.000 brûleront et 60.000 continueront leur destin funeste vers l'exportation, au coût de 250 euros la tonne. »

Le cabinet Antea, de son côté, argue d'un fort abaissement des refus produit par l'installation, « pour arriver à 56.000 tonnes par an comparés aux 110.000 tonnes d'aujourd'hui ».

« L'unité CSR, c'est d'abord un tri très perfectionné qui sépare ce qui peut être récupéré pour une chaudière CSR des matières dangereuses et du plastique chloré, producteur de dioxines, considère René Revol. Ça n'a donc rien d'un "four à plastique" ! J'ai avancé l'idée d'alimenter les cimentiers régionaux qui ont besoin de beaucoup de chaleur. Aujourd'hui, la cimenterie de Narbonne importe du charbon d'Afrique du Sud. Bonjour le bilan carbone ! »

À la critique de la pollution générée par l'installation, l'ADEME précise que « les normes appliquées à l'émission des fumées des unités de valorisation CSR sont les mêmes que celles appliquées aux incinérateurs, soit un niveau parmi les plus élevé dans la réglementation ».

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  • Ce qu'on sait sur le volet financier

Aucun montant d'investissement précis n'est indiqué à ce stade mais René Revol se risque à la projection : « Selon les évaluations par rapport aux autres CSR, on peut avancer le chiffre de 100 millions d'euros pour la modernisation d'Ametyst. C'est un investissement important mais c'est faisable et ça fait disparaître des taxations, donc l'équation économique est jouable ».

« L'Etat finance des filières CSR mais ensuite, il s'en sert comme une pompe à fric en les taxant, single François Vasquez. On sera taxé par la taxe carbone et la taxe sur la valorisation énergétique que l'Etat met en place sur l'incinération. A terme, je suis sûr que ces chaudières CSR seront taxées. C'est un engagement sur vingt ans : on va mettre la Métropole dans une impasse financière gravissime ! »

L'ADEME rappelle pourtant que seuls les centres d'enfouissement et les incinérateurs sont soumis à la TGAP et qu'en dessous de 20 MW de puissance, les sites CSR ne sont pas soumis à la taxe carbone. Mais Pierre Vignaud prévient : « Sont éligibles à l'appel à projet les installations de cogénération de haut rendement, avec un accent qui est mis sur la production électrique donc les chiffres de la Métropole devront être améliorés car 9 GWh d'électricité ne seront pas suffisants ».

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  • Stratégie zéro déchets : compatible ou non ?

Agnès Langevine avance un autre argument : « On arrive à un écueil du modèle économique du traitement des déchets : on ne peut plus raisonner sur une rémunération au tonnage sinon on ne peut pas enclencher la réduction des déchets. Donc il faut inclure, dans le cahier des charges de l'opérateur, de rémunérer le déchet évité ». Un angle d'attaque qui vient contrer l'un des principaux arguments des détracteurs du projet CSR : sa non-compatibilité avec la stratégie « zéro déchet ».

« J'ai conclu un accord politique avec Michaël Delafosse sur cette stratégie, rappelle François Vasquez, qui s'estime trahi. Mais rien n'a été fait, je suis dans une colère indicible... L'alternative que je propose, c'est une usine de compostage et de méthanisation exclusivement de biodéchets triés à la source, et d'élargir le territoire en allant chercher des biodéchets à 50 km autour de Montpellier. Il faut mutualiser à l'échelle d'un territoire d'un million d'habitants. Par exemple, Sète et Lunel sont obligés de réduire leurs volumes donc ils pourraient envoyer leurs biodéchets à Montpellier qui, en retour, leur enverrait des déchets résiduels à brûler. »

Jean-Louis Roumegas, porte-parole d'EELV Montpellier, est catégorique : « Une solution CSR figerait les volumes de déchets car elle a besoin de tonnages. Réduire les déchets ou produire du combustible, il faut choisir ! D'ici sept ou huit ans, on aura réduit les déchets, et même s'il y a des déchets résiduels, il vaut mieux de l'enfouissement bien géré ».

Agnès Langevine indique pourtant qu'il suffira d'« inscrire dans le contrat de performance cette trajectoire de réduction »...

  • Trajectoire politique de la décision

Et maintenant ? Le président de la Métropole poursuit sa mission d'information et ses auditions (le préfet à venir notamment), en attendant le prochain conseil de métropole le 2 avril, qui remettra le renouvellement de la DSP d'Ametyst au menu. Avec une projection de livraison d'une unité CSR en 2029.

La Métropole n'a plus de vice-présidence déléguée aux déchets. Mais le déchu François Vasquez poursuit le combat, notamment au travers de réunions publiques organisées par EELV : «  J'ai alerté, à chacun de cautionner ou de combattre. Si ce projet passe, il faudra qu'il soit cassé aux prochaines élections municipales et ça coûtera cher en pénalités... Les hommes politiques ne pourront plus s'exonérer de leurs responsabilités en matière de santé publique et dire qu'on ne savait pas ! Tous ceux qui voteront le 2 avril pour la filière CSR seront responsables des conséquences induites. Maintenant, j'attends aussi une réaction citoyenne ».

René Revol a un autre calendrier en tête : « Je ne crois pas que ce sera un enjeu des prochaines municipales. Si on fait un renouvellement de DSP avec un cahier des charges maîtrisé, elle sera finie en juillet 2025. Il y a la volonté politique de ne pas vouloir mettre les choses sous le tapis : on y va en prenant les meilleures options... Quant à faire le jeu des lobbies capitalistes, je précise que je suis contre l'idée de confier la gestion de services publics au privé et partisan de garder la régie publique de l'énergie. »

« Une unité CSR n'est pas la solution miracle, ça s'inscrit dans une stratégie de réduction des déchets mais on sait qu'il restera de l'incompressible. L'enjeu, c'est de limiter au maximum ce qu'on envoie à l'extérieur », conclut Michaël Delafosse.

Cécile Chaigneau

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