L’architecture doit-elle être clinquante ? « Non », répond l’architecte Yann Legouis à Montpellier

Montpellier s’enorgueillit de ses immeubles à l’architecture un peu folle, qui font du beau dans la ville et de l’image à l’extérieur. Comme l’Arbre blanc… Mais dans le même temps, la crise du logement toque à la porte et laisse de nombreux ménages dans l’incapacité de se loger. A rebours des postures applaudissant ces gestes architecturaux hors normes, le jeune architecte montpelliérain Yann Legouis porte un regard nouveau, celui de sa génération, inquiète du changement climatique et de la disparition d’un certain bon sens dans la fabrique du logement, plus modeste mais de meilleure qualité. Loin de l’esbroufe et de ce qu’il considère comme de la vanité.
Cécile Chaigneau
L'Arbre blanc, inauguré en 2019, et le bâtiment construit dans les années 1960 et baptisé l'arbre gris par l'architecte Yann Legouis, se font face à Montpellier.
L'Arbre blanc, inauguré en 2019, et le bâtiment construit dans les années 1960 et baptisé "l'arbre gris" par l'architecte Yann Legouis, se font face à Montpellier. (Crédits : DR - Google Street)

Elles avaient été lancées lors du mandat du maire Hélène Mandroux, en 2012 : douze Folies architecturales dans la ville, en écho aux Folies du XVIIIe siècle (élégantes demeures bâties à Montpellier et en périphérie). Seules deux ont été construites, la Folie divine (signée Farshid Moussavi) et l'Arbre blanc (signé Sou Foujimoto, Nicolas Laisné, Dimitri Roussel et Manal Rachdi), avant que l'initiative soit stoppée en 2014 par le nouveau maire, Philippe Saurel. Mais en 2022, Michaël Delafosse, élu deux ans plus tôt, relançait la démarche et dévoilait 13 sites retenus pour accueillir un projet de Folies. Les premiers projets sont connus (pas encore bâtis), chacun rivalisant d'une fantaisie allant crescendo...

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La démarche est une façon, pour la ville de Montpellier, de réaffirmer son caractère de terre d'hospitalité pour l'architecture contemporaine et de rayonner au national comme à l'international. Ainsi, sa plus célèbre bâtisse, L'Arbre blanc (17 étages sur les rives du Lez), a été inauguré en juin 2019. Depuis que la première esquisse de cet immeuble aux blanches ramifications a fait sa première apparition dans la presse, cet atypique programme résidentiel est devenu un véritable phénomène médiatique, offrant à la capitale languedocienne une visibilité originale. L'office de tourisme l'a même inscrit dans un circuit touristique baptisé « Montpellier contemporain » qui passe également par la Folie Divine, le Nuage ou le RBC Center. Et en 2020, le promoteur sétois Promeo, l'un des co-promoteur du programme de L'Arbre blanc, faisait état d'un « buzz total sur Instagram »...

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Une parole libre

Mais au-delà des vertus promotionnelles de cet objet architectural et de sa dimension esthétique dans la ville, la question de son intérêt mérite d'être posée, d'autant plus quand la crise du logement devient aiguë... Plus nombreux sont pourtant ceux prompts à s'enthousiasmer et à applaudir quand l'élu choisit de mettre du beau dans la ville. En relançant le programme, en juillet 2022, Michaël Delafosse avait déclaré vouloir « reprendre ce qui marche dans les Folies, tout en y ajoutant de nouveaux critères, environnementaux, économiques et solidaires, ainsi qu'une obligation d'inclure du logement social chaque projets résidentiels afin de favoriser la mixité sociale ».

Pourtant, dans le monde feutré et prudent des architectes, il en est un, à Montpellier, qui ne mâche pas ses mots et ne se prive pas d'une critique sévère sur les envolées architecturales lyriques qu'il oppose à une conception d'immeuble de bon sens qui privilégierait le bien-vivre : Yann Legouis, 36 ans, architecte de l'agence Sapiens Architecte (basée à Montpellier et Paris) et maître de conférence à l'École nationale supérieure d'architecture de Montpellier (ENSAM). En janvier dernier, son post sur Linkedin (voir encadré), intitulé « L'arbre gris », en opposition à L'Arbre Blanc, avait été très commenté et relayé... Une parole libre et à rebours des postures les plus fréquemment exprimées sur l'architecture, sur sa place dans la ville et sur les gestes architecturaux hors normes. Pour lui, les Folies architecturales relèvent de « d'une architecture instrumentalisée à des fins de communication »...

Yann Legouis, architecte de l'agence Sapiens Architecte à Montpellier et Paris

Yann Legouis, architecte de l'agence Sapiens Architecte à Montpellier et Paris (© DR).

Ce Toulousain d'origine, âgé de 36 ans et formé à Paris, est venu s'installer à Montpellier il y a sept ans. Il explique d'où vient sa liberté de ton : « L'architecte est un courtisan, obligé de travailler avec les politiques locaux et ceux qui ont l'argent, il est dans un jeu étrange avec le pouvoir... La spécificité de notre agence, c'est de travailler peu là où on vit, mais davantage pour le monde rural, notamment en Dordogne, à Orléans, Toulouse ou Carcassonne. N'étant pas lié au réseau local de la décision, j'ai donc une grande liberté de parole ».

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« Du marketing urbain »

Le jeune architecte prend donc le contre-pied et préfère s'extasier sur ce qu'il appelle « l'arbre gris », « un bâtiment ordinaire d'une époque pas si lointaine où n'existaient pas encore les médailles en chocolats décernées par des sites agrégeant sans discernement tout le contenu architectural mondial ».

« A Montpellier, le marché immobilier est tiré par le logement neuf, qu'on conçoit comme un produit financier, regrette Yann Legouis. Ce qui fait que l'architecture n'est pas au bon endroit : l'architecte est confiné au rôle d'artiste et on ne se bat pas pour la qualité du logement, on est sur du marketing urbain... Les immeubles ont quasiment tous les mêmes défauts de logements non traversant, avec une attention uniquement portée à la peau de l'immeuble et non à l'espace. Sur les quarante dernières années, on a amélioré les performances acoustiques et énergétiques mais le bâtiment s'est restreint en espace. Dans nos climats méditerranéens, ça fait reposer l'architecture sur la climatisation notamment. L'"arbre gris" des années 1960 a des qualités d'usage plus humbles mais bien meilleures, avec par exemple une fenêtre par pièce ou une cage d'escalier éclairée par la lumière du jour. Aujourd'hui, tout repose sur l'électricité, mais quelque chose m'obsède : en cas de coupure, et on va vers un monde où les coupures seront possibles, on n'a plus d'ascenseur, plus de clim, plus d'eau... Dans l'Arbre blanc, on ne voit jamais personne sur les balcons, car il y a souvent beaucoup de vent et c'est très désagréable ! Il vaut mieux habiter dans l'"arbre gris" et profiter de la vue sur l'Arbre blanc ! »

Et de regretter que « ce soit des élus, qui ne savent pas lire un plan et jugent le spectaculaire, qui décident de qu'est ce qui est beau ou pas : l'architecture reste dans le temps, et démocratiquement, est-ce le bon cap ? », interroge-t-il.

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Agence d'urbanisme et métropolisation

L'architecte enfonce le clou : « Dans toutes les villes de France, on trouve un système de production, une politique de la ville qui fait qu'on ne peut pas sortir d'un certain schéma et faire de la qualité ! Et en réalité, qui sont les élus ou les promoteurs qui habitent dans les ZAC ? Aucun... Je ne souhaite pas participer à ça. »

Il propose deux axes pour sortir des schémas instaurés, deux axes sur lesquels il rejoindrait presque le maire de Montpellier s'ils étaient mis en œuvre : créer une agence d'urbanisme (Michaël Delafosse l'a annoncée mais rien n'a encore été fait) et stopper l'ultra-métropolisation, que l'élu montpelliérain pointe souvent lui aussi comme une stratégie à déployer.

« Une agence d'urbanisme serait une bonne idée et alors qu'il y en a partout dans les grandes villes de France, rien à Montpellier, c'est inexplicable, souligne-t-il. Or il faut une vision à long terme sur l'urbanisme, avoir un point d'entrée urbanisme et architecture où trouver de la matière non orientée, permettant de sortir du cercle des copains ! Quant à la métropolisation, c'est un problème national d'aménagement du territoire : pourquoi continuer d'attirer toujours plus de monde au même endroit ? Michaël Delafosse prône la dé-métropolisation mais pour autant, quand il fait le choc de l'offre, tout est sur la métropole de Montpellier... »

Sollicitée par La Tribune, la Métropole de Montpellier n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

« Construire peut attendre »

Pendant ce temps, la crise du logement grandit, le marché immobilier s'est bloqué, les ménages n'ont plus les capacités financières de décrocher des prêts pour acheter des logements dont les prix sont restés hauts.

Yann Legouis pronostique un retournement dans la fabrique de la ville, « impossible autrement, ne serait-ce que pour des questions d'énergie ou de ZAN (zéro artificialisation nette, NDLR) ». Et revient à une autre consommation de l'espace.

« On laisse plein d'endroits où il existe une vraie qualité de vie. Et construire peut attendre, et contrairement à ce qu'on dit, construire en hauteur génère une consommation importante d'espaces en marge de la construction, par exemple pour traiter les déchets ou gérer les voitures. La seule voie de sortie honorable, c'est de reconquérir des villes moyennes... »

Dans ses cours à l'ENSAM, Yann Legouis assure qu' « on apprend vraiment à faire du logement » : « Le clinquant, ce n'est pas l'avenir. Je m'efforce de donner aux étudiants l'envie de faire, je leur apprends la rénovation car transformer des lieux, c'est aussi de l'architecture. Je suis la première génération à porter ça, mais ça pousse derrière ».

L'Arbre blanc, sans parasol Orangina...

Morceaux choisis du post Linkedin de Yann Legouis, en janvier 2024 : « En 1969, on ne confondait pas encore la recherche de l'authenticité et celle de l'excentricité. Ce bâtiment ordinaire, un vieil Arbre Gris, n'est certes pas le « plus beau bâtiment du monde », mais a de nombreuses qualités qui font cruellement défaut à son blanc voisin. (...) Ces loggias, ont progressivement été habitées, parasitées, appropriées par les habitants, alors que juste de l'autre côté du fleuve, rien de cette vie simple ne transparait sur les balcons aseptisés de l'arbre blanc. C'est qu'à Montpellier, il y a du vent, obligeant sur les plongeoirs de l'arbre blanc à installer un mobilier lesté ... et normé. On ne va quand même pas flinguer le feed Instagram des influenceurs mondiaux avec un parasol Orangina ? (...) Si vous cherchez à vivre à Montpellier, un conseil d'architecte : privilégiez le Gris au Blanc. Et avec l'argent économisé, allez prendre un café sur le fameux Rooftop de l'Arbre Blanc : on y voit notre mer, et plus le vaniteux bâtiment ».

Cécile Chaigneau

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Commentaire 1
à écrit le 27/04/2024 à 11:53
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Bien entendu et les architectes s'ils n'étaient pas infiltrés par tout un tas de fils de avec un réseau long comme le bras mais aux talents proches de zéro ils seraient invités dans tous les types de projets, il faudrait les faire se concerter sur l'...

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