Comment les communautés énergétiques tentent de se faire une place dans le paysage

Alors que la production d’énergies renouvelables prend une place de plus en plus grande sur l’échiquier énergétique national, comment les communautés énergétiques locales peuvent-elles imposer un modèle ? Encore à leurs débuts, notamment en raison d’avancées réglementaires insuffisantes, elles faisaient l’objet du débat organisé par le pôle de compétitivité DERBI (développement des énergies renouvelables) et la Cleantech Vallée (co-innovation au service de l’industrie des technologies propres) le 3 juin.
Cécile Chaigneau
La startup montpelliéraine Beoga déploie un écosystème et une solution digitale pour permettre le fonctionnement d'une communauté énergétique intelligente et faire émerger un nouveau modèle économique avec l'intervention de consommateurs-producteurs.
La startup montpelliéraine Beoga déploie un écosystème et une solution digitale pour permettre le fonctionnement d'une communauté énergétique intelligente et faire émerger un nouveau modèle économique avec l'intervention de consommateurs-producteurs. (Crédits : Beoga)

« Les énergies renouvelables, ça va secouer !, promet André Joffre, le président du pôle de compétitivité DERBI, dédié au développement des ENR en Occitanie. Les objectifs de production ont été revus à la hausse en Europe, et il y a quelques jours, l'Europe a présenté son programme REPower EU qui vise à supprimer les apports du gaz et du pétrole russes, et à accélérer sur le solaire. De 1 GW solaire par an jusqu'à présent, il faudrait passer à 10 GW en une décennie sur le marché français. En même temps, il faudrait que les trois-quarts des produits installés en Europe soient de fabrication européenne. C'est une opportunité industrielle pour l'Occitanie qui dispose de grosses capacités solaires. »

C'est dans ce contexte que se tenait un débat organisé par DERBI et la Cleantech Vallée, structure publique-privée gardoise, porteuse d'une démarche de co-innovation en soutien de l'industrie des technologies propres, le 3 juin dernier. Le sujet : « Le paysage énergétique de demain dans les territoires : la place des communautés énergétiques et le développement des énergies renouvelables ».

« Les communautés énergétiques locales sont de deux types : renouvelables et citoyennes, informe Mathias Laffont, directeur Usages et Territoires à l'Union Française de l'Electricité. Certaines sont raccordées au réseau d'électricité, d'autres sont autonomes. Mais se déconnecter du réseau contribue à "dés-optimiser" le système... Et l'effet pervers de l'autarcie énergétique, c'est que soit on est capable de modifier fortement ses modes de consommation pour s'adapter au rythme de production d'électricité, soit on investit fortement dans des capacités de stockage, ce qui coûte cher ! »

Rendre les gens acteurs

Dominique Charzat, directeur régional d'Enedis, rappelle que ce sont « les compteurs Linky qui permettent de facturer les échanges d'énergie au sein d'une communauté énergétique », le réseau sécurisant le tout puisqu'en moyenne, la production d'énergie de la communauté permet de couvrir 20% de la consommation seulement.

« Il est important que les consommateurs adaptent leur consommation au système électrique et non l'inverse, en raison du côté intermittent des énergies renouvelables, ce qui est un vrai changement culturel », ajoute-t-il.

Mathias Laffont met d'ailleurs en garde sur un aspect des communautés énergétiques à ne pas négliger, car qui dit communauté dit partage et donc possibles désaccords : « Il faut dire que rentrer dans ces communautés énergétiques, c'est s'engager à changer sa manière de consommation. Ça reste de la vie en communauté, où on partage les avantages mais aussi les inconvénients ».

Dominique Charzat y voit toutefois une vertu : « L'intérêt, c'est que ça rend les gens acteurs, et ça leur fait prendre conscience des pointes de consommation et des puissances requises ».

« Ces communautés énergétiques posent une question de sociologie, ajoute André Joffre. Les élus ont une appétence importante pour ces démarches, car ils se disent que c'est peut-être une piste pour partager une énergie rare et chère. Ils imaginent aussi que s'ils réussissent à faire se parler les gens entre eux, ça va apaiser les relations. »

Les communautés énergétiques peuvent alors revêtir un sens très utile pour les collectivités et les développeurs : contribuer à faire accepter les projets d'énergies renouvelables sur les territoires.

« L'une des principales difficultés qu'on a pour développer les énergies renouvelables, c'est leur acceptabilité citoyenne, confirme Virginie Monnier-Mangue, présidente de la Cleantech Vallée. Les communautés énergétiques répondent à ce sujet car elles supposent un engagement fort des citoyens ou des entreprises qui y participent, ce qui permet de lever les freins à l'acceptabilité. »

Beoga, une expérimentation en cours...

Le Cleantech Booster, accélérateur de startups créé par la Cleantech Vallée, a ainsi accompagné la startup montpelliéraine Beoga, pionnière de la communauté énergétique.

Créée en octobre 2019 par Amaury Pachurka, Beoga déploie un écosystème et une solution digitale pour permettre le fonctionnement d'une communauté énergétique intelligente et faire émerger un nouveau modèle économique avec l'intervention de consommateurs-producteurs.

Sa première expérimentation, baptisée Smart Lou Quila et située dans le village du Cailar (Gard), était officiellement lancée en mars 2021, en partenariat avec Enedis et le fournisseur d'énergies 100% renouvelables Planète Oui. Le projet : le partage entre les différents membres de la communauté d'une électricité 100% renouvelable et locale, produite par des panneaux photovoltaïques installés sur leurs toits et sur celui du stade municipal (cinq installations pour 18 kWc). Cette communauté énergétique dispose, en complément, de trois équipements de stockage, des batteries stationnaires de 10 kWh chacune, ainsi que deux véhicules électriques, des vehicules-to-grid (V2G), et des bornes bidirectionnelles.

« Aujourd'hui, la communauté énergétique du Cailar n'est plus démonstrateur mais un projet commercial, indique Amaury Pachurka. Elle compte 15 membres et l'objectif est d'en avoir 150 dans un an. On produit 30 KW et on a atteint les 100% d'autoconsommation, ce qui couvre 15 à 20% des besoins et génère a minima 15% d'économie sur la facture d'électricité. »

... et en difficulté

Le 14 février dernier, Beoga a pourtant été placée en redressement judiciaire pour une période d'observation de six mois, en raison d'une situation de cessation de paiement.

« Nous sommes aujourd'hui dans une situation d'actionnariat incompatible, explique le dirigeant de Beoga, qui emploie six salariés. Il a donc été impossible de lever des fonds et de faire entrer de nouveaux investisseurs ! Notre objectif est de sortir vite du redressement judiciaire. Nous voulons lever des fonds pour poursuivre la R&D, notamment pour intégrer les mobilités avec un véhicule dont la première fonction sera de stocker de l'énergie sur sa batterie et qui ne servira que si on n'a pas besoin de cette énergie stockée... Nous aurons besoin de recruter des technico-commerciaux et des développeurs. Nous avons une soixantaine de projets en cours en France et même  en Belgique, avec des profils de collectivités ou d'industriels. Sur la soixantaine de projets identifiés, quatre sont signés dans l'Hérault, le Gard, l'Oise et à Montpellier où nous avons été retenus en début d'année, suite à un appel à manifestation d'intérêt, pour un projet-pilote baptisé Le rochet Vert. Cela consistera à créer une communauté d'énergie de dix membres avec un véhicule-batterie en smart-charging et le surplus d'électricité injecté qui sera transformé en kilomètres gratuits pour les usagers de la communauté. Le projet devrait être opérationnel en fin d'année. »

Une communauté d'entreprises à Perpignan

Dans les Pyrénées-Orientales, un autre projet de communauté énergétique est en préparation, porté par les entreprises des zones d'activités Tecnosud 1 et 2 à Perpignan.

« Le projet Agora Sun comptera 150 points de livraison d'énergie, explique André Joffre, qui est également le fondateur-dirigeant de Tecsol, dont Agora Sun est une filiale. Nous avons proposé à ces entreprises de partager de l'électricité produite par des parties communes, des ombrières par exemple, sur des terrains de l'agglomération de Perpignan. On construit un premier lot de 500 KW sur un parking. A terme, on arrivera à 3 ou 4 MW de production. »

La phase en cours de définition réglementaire sur le sujet des communautés énergétiques constitue aujourd'hui un frein à leur développement.

 « Des dizaines de projets de communautés énergétiques existent en France, mais tant qu'on n'est pas au clair du point de vue réglementaire, ça n'avance pas, confirme André Joffre. Par exemple, on va imposer de mettre des panneaux solaires sur tous les bâtiments neufs mais la directive européenne n'est pas encore transposée dans le droit français... Mais aujourd'hui, les ENR, qui ont coûté de l'argent, en rapporte à l'Etat ! Ça incite donc à pousser les feux. Je suis optimiste ! »

Cécile Chaigneau

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