Le "train des primeurs" redémarre (enfin) entre Perpignan Saint-Charles et Rungis

Le presque mythique "train des primeurs", stoppé depuis plus de deux ans, est reparti ce vendredi 22 octobre depuis Perpignan en direction du ventre de Paris, Rungis, en présence notamment du Premier ministre Jean Castex. Une épopée pour cette ligne de fret ferroviaire qui acheminait jusqu’en 2019 quelque 400.000 tonnes de fruits et légumes, et qui redémarre dans une configuration moindre, jugée insuffisante pour certains. Des projets d’autoroutes ferroviaires devraient venir la compléter.
Le train des primeurs est reparti le 22 octobre de Perpignan en direction de Rungis, après deux années d'interruption.
Le train des primeurs est reparti le 22 octobre de Perpignan en direction de Rungis, après deux années d'interruption. (Crédits : DR)

L'événement valait bien une triple visite ministérielle... Ce 22 octobre, le Premier ministre Jean Castex, accompagné de Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, et de Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué en charge des Transports, assistait au redémarrage de la ligne de fret ferroviaire baptisée le "train des primeurs" depuis Perpignan. Une présence appuyée destinée à souligner la volonté du gouvernement de relancer le fret ferroviaire.

Cette ligne de 800 km entre la plateforme Saint-Charles International à Perpignan - l'un des principaux sites d'approvisionnement en fruits et légumes du pays - et le marché d'intérêt national (MIN) de Rungis, en région parisienne, est à l'arrêt depuis juillet 2019. Elle permettait notamment, jusqu'alors, l'acheminement, sous température dirigée, de quelque 400.000 tonnes par an de fruits et légumes en provenance du Sud de la France, d'Espagne et du Maroc. Soit l'équivalent d'un « trafic de 9.000 camions par an », selon le ministère des Transports.

L'appel à manifestation d'intérêt pour la reprise d'un "train des primeurs", lancé en décembre 2020 par Jean-Baptiste Djebbari avec pour objectif une reprise annoncée du trafic à l'été 2021, a été remporté par Rail Logistics Europe (filiale de fret ferroviaire de la SNCF) selon une convention courant jusqu'à fin 2024, et le transporteur Primever.

Deux ans après son interruption, le "train des primeurs" reprend donc le rail....

Une histoire à rebondissements

A l'été 2019, refroidis par la vétusté du matériel et les importants investissements nécessaires pour en financer la modernisation, les sociétés de transport Rey et Roca, clients historiques de la ligne, n'avaient pas renouvelé le contrat.

Pressenti pour affréter des trains dès décembre 2019 avec une solution de transport combiné (caisses de camions sur les wagons du train), l'opérateur de transport combiné Novatrans (ancienne filiale de la SNCF, propriété du groupe Charles André depuis 2013) s'était heurté à l'incompatibilité des quais de Rungis, pas adaptés à la solution "combinée". Une ligne entre le marché de Perpignan et la plate-forme multimodale de Valenton avait alors été imaginée par Novatrans, mais sur des créneaux horaires peu adaptés. Des transporteurs s'étaient désengagés et faute de volumes et de rentabilité économique, Novatrans avait fini par jeter l'éponge...

« Une victoire des cheminots »

Le premier train opéré par Rail Logistics Europe quittait le marché Saint-Charles de Perpignan à 16h28 ce vendredi 22 octobre, pour arriver à Rungis samedi à 3h08. Il circulera cinq fois par semaine de novembre à juillet.

La nouvelle liaison ferroviaire reprend le même principe qu'en 2019, mais avec des convois deux fois moins longs, soit seulement douze wagons (au lieu d'une trentaine), dans lesquels on charge directement des palettes et qui transporteront, à 140 km/h, autant de fruits et légumes que 18 camions.

« Pour le jugement de l'offre, il fallait avoir des clients qui s'engagent et on a trouvé Primever qui garantit qu'il remplira les douze wagons », déclare Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe à l'AFP.

Si elle se dit satisfaite de la renaissance du train des primeurs, la Fédération nationale du transport routier affichait toutefois un certain scepticisme, soulignant que « ce nouveau départ laisse un goût quelque peu amer aux transporteurs routiers ».

« Il ne faut pas opposer les modes de transport, pointe Françoise Gleize, déléguée régionale de la FRTP, quelques heures avant l'inauguration. Nous sommes favorables au ferroviaire, dont nous sommes les clients. On regrette un peu d'apprendre par la presse que le train refait surface et que les transporteurs n'en aient pas été informés. Certains étaient peut-être prêts à étudier la possibilité de compléter le train à l'aller et au retour. »

Alors la FRTP interroge : « Vrai nouveau départ et développement du transport ferroviaire ou effet d'annonce ? ». Et pose quelques questions : « Le nombre de wagons peut-il augmenter ? Les retours seront-ils optimisés ou à vide ? Quel développement de l'offre prévu dans les semaines à venir ? Quel soutien technique et financier peut attendre la profession dans son ensemble de la part de la puissance publique ? Quelle est la volonté collective en faveur du transport intermodal ? ».

« C'est une victoire des cheminots, notamment de la CGT, ainsi que des usagers et des élus locaux, écrivent les élu-e-s communistes, républicains et citoyens de la Région Occitanie (groupe CRC) dans un communiqué. Mais nous regrettons que le processus de concertation et de travail avec toutes les parties prenantes, qui avait été initié par la Région Occitanie, ait été interrompu par le ministère : pas de concertation avec la Région, ni avec les syndicats, les opérateurs et les fournisseurs. (...) Il faut amplifier le nombre de wagons et investir dans la durée. Des questions restent ouvertes. (...) La reprise des circulations est une étape indispensable, mais pas suffisante. »

Autoroutes ferroviaires

En décembre 2020, l'État s'était dit prêt à accompagner financièrement si nécessaire. Le train des primeurs bénéficie en effet d'une subvention de 14 millions d'euros sur la durée de la convention jusqu'à la fin 2024, selon Matignon. Le train des primeurs, qui fournira près de 10% des flux de fruits et légumes absorbés par Rungis, ne devrait pas rouler au-delà de cette date car les wagons réfrigérés seront à bout de souffle.

L'idée est alors de faire circuler, à partir de 2025, une autoroute ferroviaire de Barcelone à Anvers qui s'arrêterait à Perpignan et Rungis. Mais il faudra pour cela construire un terminal adapté sur le marché de gros francilien pour faire débarquer des conteneurs ou des camions. Selon Frédéric Delorme, « un projet ambitieux » d'installation de transport combiné rail-route capable d'accueillir trois trains par jour serait dans les cartons, « ce qui n'arrêterait pas pour autant Le Boulou-Gennevilliers ».

Le projet retenu de Rail Logistics Europe comprend en effet aussi la création d'une "autoroute ferroviaire" (chargeant des semi-remorques et des conteneurs sur des trains) du Boulou (Pyrénées-Orientales) jusqu'au port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), qui doit être lancée d'ici à la fin de l'année. Elle permettra d'acheminer des produits plus variés et de charger des marchandises dans le sens inverse nord-sud, contrairement au "train des primeurs" qui rentre à vide.

« J'avais pris l'engagement en juillet 2020 de rouvrir le train des primeurs, a déclaré Jean Castex depuis la plateforme Saint-Charles International. Aujourd'hui, nous n'inaugurons qu'une partie de cet engagement. L'offre retenue est en fait double : le train des primeurs et la fameuse autoroute ferroviaire jusqu'à Gennevilliers en décembre 2021. Il y aura les deux, soit 26.000 camions équivalents (par an, NDLR) qui seront retirés des routes ou 25.000 tonnes de CO2 évités. »

« Une stratégie de reconquête globale »

Ce déplacement ministériel dans les Pyrénées-Orientales était aussi l'occasion, pour le Premier ministre, de présenter le plan d'investissement pour le fret ferroviaire préparé dans le cadre du plan France Relance.

Il signait ainsi quatre conventions de financement avec SNCF Réseau pour engager la modernisation du terminal du Boulou, accélérer la régénération des voies de service, digitaliser la commande des créneaux de circulation de dernière minute des opérateurs ferroviaires et renforcer la puissance électrique entre Dijon et Lyon. Ces investissements, de 47 millions d'euros, s'inscrivent dans l'objectif repris par le gouvernement de doubler la part du fret ferroviaire, de 9% à 18%, d'ici à 2030.

« Depuis 2000, les volumes transportés par le train ont diminué de 43%, a souligné Jean Castex. Le fret ferroviaire français a aujourd'hui une part de transport par le fret de 9% tandis que la moyenne européenne est du double, 18%. Et elle continue d'augmenter quand nous continuons de décroitre ! Il n'y a pas de fatalité pour qui connaît l'histoire de la SNCF ! (...) Aujourd'hui, il y a au moins un consensus clair sur l'objectif : réparer cette insulte au bon sens et à l'avenir. (...) L'inauguration de ce jour s'inscrit dans une stratégie de reconquête globale, qui sera compliquée car la concurrence est rude et nous partons de loin. Nous avons fait deux catégories de dépenses : des dépenses d'investissement de structures dédiées au fret, 1 milliard d'euros et j'ai rajouté 250 millions dans le cadre du plan de relance - et les conventions que nous venons de signer en sont une traduction opérationnelle - (...) et des moyens pour lutter contre la distorsion de concurrence entre le rail et la route. »

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Commentaires 2
à écrit le 23/10/2021 à 19:58
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9000 camions en moins chaque année, merci le train.

à écrit le 23/10/2021 à 8:32
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Il parait que ce tant célébré train des primeurs, qui ne fait que ressusciter une offre que la SNCF de M. Pépy avait soigneusement fait disparaître, remplacera douze circulations de poids lourds par jour, cinq fois par semaine hormis jours de grève. ...

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