Climat, « 2120 sans vin ? » : Arthur Keller appelle à un sursaut de la viticulture

Lors d’une récente conférence sur le changement climatique à l’Institut Agro de Montpellier, Arthur Keller, spécialiste du risque systémique et des stratégies de résilience, a alerté les viticulteurs de la région languedocienne sur les bouleversements inédits que subit la planète, et les disruptions conséquentes qui vont en découler. Il les invite à prendre leur destin en main, à faire évoluer leurs pratiques culturales ou à s’intéresser à l’agriculture régénératrice.
Arthur Keller, spécialiste du risque systémique et des stratégies de résilience, invité par le réseau Vinséo à Montpellier le 16 novembre 2023.
Arthur Keller, spécialiste du risque systémique et des stratégies de résilience, invité par le réseau Vinséo à Montpellier le 16 novembre 2023. (Crédits : Michèle Trévoux)

« Il va falloir se bouger car nos petites vies vont être bouleversées. La vie sur terre est en train de s'effondrer. C'est l'habitabilité de la planète qui est en jeu, tout va se jouer dans les vingt à trente prochaines années. Et nous... on regarde Netflix ! ».

Arthur Keller, spécialiste du risque systémique et des stratégies de résilience, a délivré un message musclé le 16 novembre dernier, devant un auditoire nombreux de viticulteurs et représentants de la filière viticole, réunis à l'Institut Agro à Montpellier, à l'invitation de Vinséo. Constitué de plus de 100 fournisseurs de la filière viticole, ce réseau régional avait organisé une matinée de conférence sur la viticulture face au changement climatique, et posait cette question en forme de jeu de mots, mais pas si drôle que ça : « Risquons-nous un 2120 sans vin ? ».

Plus exactement, le conférencier interroge quels types de vins on pourrait trouver en Occitanie en 2050... Si aucune réponse précise n'a été donnée à ces questions, l'urgence à « engager des changements forts si on ne veut pas les subir », a été abondamment argumentée par Arthur Keller.

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Six des neuf seuils d'alerte déjà dépassés

« Le changement climatique est certes un problème vital, mais ce n'est qu'un symptôme de la poly-crise qui secoue notre planète, alerte Arthur Keller. On ne résoudra rien par des solutions à ce seul symptôme. Tous ces efforts seront vains si on ne s'attaque pas au fond du problème qui est la pression trop forte que nous exerçons sur les ressources de cette planète, qui dépasse sa capacité à se régénérer. Les chercheurs internationaux ont défini des seuils à ne pas dépasser dans neuf processus pour ne pas mettre en péril l'habitabilité de la planète : le changement climatique, l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, l'utilisation mondiale de l'eau, l'introduction d'entités nouvelles dans l'environnement (pollution chimique), l'acidification des océans, l'appauvrissement de la couche d'ozone, et l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère. Les six premiers seuils ont d'ores et déjà été dépassés, l'acidification des océans est en passe de l'être. »

Face à ce constat alarmant, la seule option possible reste, selon lui, la diminution de la pression sur les ressources naturelles : « Il faut amorcer la décroissance plutôt que la subir. D'ici dix à vingt ans, nous allons sortir de l'ère du pétrole et du gaz naturel bon marché. Cela va impacter tous nos modèles économiques » prédit-il.

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Expérimenter des modèles radicalement différents

L' expert invite donc les viticulteurs à revoir profondément leur modèle de production.

« Vous devez devenir les acteurs d'un changement sociétal ou a minima d'un changement au niveau du territoire. Vous travaillez avec le vivant, faites évoluer vos pratiques culturales, intéressez vous à l'agriculture régénératrice, éviter tout ce qui est destructeur. En parallèle, il faut expérimenter des modèles radicalement différents : il est annoncé que le vignoble va, au moins en partie, se relocaliser vers le nord. A vous d'imaginer d'autres productions, d'introduire de la diversification, de trouver des alternatives moins dépendantes de chaînes d'approvisionnement qu'on ne maîtrise pas ».

Dans un rapport rendu en 2021 sur la stratégie de la filière viticole face au changement climatique, l'Institut de la vigne et du vin, France Agrimer, l'INRAE et l'INAO présentaient une feuille de route sur l'adaptation de la filière vitivinicole française. Un travail collectif qui a identifié des leviers rapidement mobilisables pour l'adaptation et l'atténuation à horizon 2050. Quatre scénarios possibles ont été proposés : conservateur (qui n'intègre que des changements à la marge et une adaptation passive), innovant (qui ouvre l'ensemble des vignobles à une large gamme d'innovations techniques), nomade (qui met en avant les possibilités de relocalisation des vignobles en fonction des conditions climatiques) et libéral (qui permet de tester une situation où « tout est possible partout »). Sept domaines d'actions prioritaires ont été proposés : améliorer la connaissance des zones viticoles, agir sur les conditions de production, favoriser un matériel végétal adapté, agir sur les pratiques œnologiques, faire évoluer les marchés et garantir la production, accélérer sur le volet "recherche, développement, transfert et formation", et contribuer à l'atténuation du changement climatique.

Vaste chantier pour que cette étude prospective et autres stratégies d'adaptation établies sur le sujet (voir encadré) ne restent pas des voeux pieux.

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