Crise du bâtiment : le préfet de l’Hérault veut « passer du projet de financement au coup de pelle »

La conjoncture dégradée du logement, et par extension du secteur du bâtiment, continuent d’inquiéter la filière. Dans l’Hérault, où le bâtiment est un pilier de l’économie, la FFB a réuni une cellule de crise le 29 février autour du préfet, François-Xavier Lauch. Objectif : trouver des solutions avant l’effondrement. Le représentant de l’Etat dans l’Hérault l’assure : « On est mobilisé ».
Cécile Chaigneau
Céline Torrès (présidente du pôle Habitat de la FFB Hérault), François-Xavier Lauch (préfet de l'Hérault) et Gilbert Comos (président de la FFB Hérault), lors d'une conférence de presse le 29 février 2024 à Montpellier.
Céline Torrès (présidente du pôle Habitat de la FFB Hérault), François-Xavier Lauch (préfet de l'Hérault) et Gilbert Comos (président de la FFB Hérault), lors d'une conférence de presse le 29 février 2024 à Montpellier. (Crédits : Cécile Chaigneau)

L'alerte a été donnée il y a de longs mois déjà et les professionnels du bâtiment continuent d'agiter le chiffon rouge... La fédération française du bâtiment évoque, au niveau national, une contraction du volume d'activité de -0,6% en 2023, dont -7,8% dans la construction de logements neufs. Elle dit craindre la suppression de 190.000 emplois d'ici 2025 en France, et un manque à gagner en chiffre d'affaires de 14 milliards d'euros en cumul (en euros constants).

Dans l'Hérault, la filière du bâtiment est un pilier économique, notamment parce que le département accueille à lui seul quelque « 15.000 nouveaux habitants chaque année », rappelle le préfet François-Xavier Lauch, en poste depuis le 9 octobre 2023. Le représentant de l'Etat était l'invité de la Fédération française du bâtiment (FFB) de l'Hérault ce 29 février, pour une sorte de réunion de crise pour traverser les perturbations qui affectent le secteur.

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Pour la qualifier, la FFB 34 fait valoir quelques chiffres conjoncturels à fin décembre 2023, compilés par la Cellule Economique Régionale de la Construction (CERC) Occitanie. Le nombre de logements neufs mis en chantier (7.700) est en baisse de -19,4% sur un an, le nombre de logements autorisés (10.000) de -8,8%. Dans le non résidentiel, le nombre de m2 mis en chantier (339.000 m2) est en baisse de -12,5%, mais le nombre de m2 autorisés (595.000 m2) est en hausse de 8,7% (notamment 126.000 m2 dans le secteur public, en hausse de +50,8%).

La FFB annonce une augmentation de 62% du nombre de défaillances d'entreprise en 2023, soi 286 contre 171 en 2022. A la fin du 3e trimestre 2023, la CERC Occitanie annonçait une baisse annuelle de -0,9% de l'emploi salarié et de -10,7% de l'emploi intérimaire dans la construction.

« D'ici 2025, le risque porte sur 3.000 suppressions d'emplois dans l'Hérault, et on craint en particulier la perte de compétences, le risque de rompre la transmission du savoir », ajoute Gilbert Comos, le président de la FFB Hérault.

Selon le préfet, le bâtiment est « la filière la plus en danger dans le département, avec un risque modéré pour les entreprises du petit œuvre, mais important dans le gros œuvre ».

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« Je vois un double mur se dresser devant nous »

« Aujourd'hui, les carnets de commandes sont vides, souligne Gilbert Comos. Heureusement que la commande publique a pris le relai avec la construction de lycées ou de collèges par exemple. Mais ce qui porte notre secteur, c'est le logement, et en particulier le logement neuf. Et je rappelle que ce qu'on produit aujourd'hui, ce qu'on voit en chantier, a été initié en 2020 ou 2021... »

Les professionnels du bâtiment n'évoquent même plus un trou d'air à venir, ils parlent de « gouffre ». A l'issue de la réunion du 29 février, le représentant de l'Etat martèle son engagement et sa volonté de venir en aide à la filière : « Je suis alerté depuis plusieurs mois sur la conjoncture dégradée du logement, et je suis en effet inquiet du volume de logements qui sont produits aujourd'hui dans le département. C'est une inquiétude double : un ralentissement franc de la production, liée à la hausse des taux d'intérêt, au prix du foncier qui demeure haut et à des déterminants locaux comme des espaces qui sont rares et déjà beaucoup utilisés. Je vois un double mur se dresser devant nous : des difficultés encore plus importantes pour les concitoyens à se loger et une forte inquiétude sur la santé économique des entreprises du bâtiment, avec un risque sur l'emploi qui est pourtant un des sujets où il y a le plus d'enjeux dans ce département ».

Rôle d'influence

François-Xavier Lauch veut « des solutions pratiques à faire remonter au ministre du Logement ou à mettre en œuvre ». Parmi elles, il évoque une piste qui va être explorée à court terme : forcer le déblocage des principales opérations de logements de la métropole montpelliéraine.

« J'ai demandé aux promoteurs et aux bailleurs une liste ramassée d'opérations à fort enjeux en termes de logements, entre 100 et 500 par opérations, qui me sera transmise pour que je réunisse les banques et joue de mon rôle d'influence pour dire aux banques que c'est le moment d'y aller, explique-t-il. Elles peuvent faire preuve de souplesse et bouger un tout petit peu leur curseur, d'autant que les taux d'intérêt vont potentiellement se desserrer dans l'année... Avec cette liste, je veux aussi mettre autour de la table les services de l'Etat et les collectivités pour faciliter le lancement de certaines opérations au plus vite. Je veux que l'on passe du projet de financement au coup de pelle ! C'est une question de survie. »

D'autres pistes seront explorées, remontées à l'échelle nationale ou débloquées à l'échelle locale, et que liste le préfet : « Des sujets sur les sur-contraintes de réglementation pour que j'use de mon pouvoir d'influence auprès des élus notamment, les questions des recours contentieux contre des opérations de logements avec la nécessité de les encadrer dans le temps - et à ce titre, je suis d'accord pour organiser une réunion avec président du tribunal administratif de Montpellier si ça peut faire avancer les choses -, faire un point d'étape sur l'application des normes environnementales de la RE2020... Il faut aussi que la profession propose de nouveaux modes de construction : comment requalifier les centres villes, les zones d'activité, les zones pavillonnaires anciennes ou les logements de bord de mer ? ».

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« 6.000 à 6.500 logements qui ne sortent pas »

Des propositions qui semblent satisfaire et rassurer les professionnels, notamment Céline Torrès, présidente du pôle Habitat de la FFB Hérault qui s'estime « entendue par le représentant de l'Etat dans le département ».

« Les aménageurs ont commencé à baisser les prix du foncier, mais avec la réglementation énergétique ou la hausse du coût des matériaux, les promoteurs n'arrivent pas à baisser les prix, or en-dessous d'une marge de 5 à 7%, les banques ne financent pas, ajoute-t-elle. Sur la métropole, il y a ainsi 6.000 à 6.500 logements qui ne sortent pas car les opérations ne sont pas finançables par les banques. La SERM (bras armé de la Métropole de Montpellier en matière d'urbanisme, NDLR) a aussi joué le jeu : sur les fonciers dont elle est propriétaire, elle accepte le retour à bonne fortune, c'est à dire la possibilité de baisser le prix du foncier, quitte à ce que l'acheteur reverse un complément dans deux ans si les prix ont augmenté, ce qui permet à des promoteurs de débloquer des opérations. »

Interpellé sur le procès en inaction fait à l'exécutif en matière de politique du logement, le représentant de l'Etat rappelle les gestes que le gouvernement a faits en faveur du BTP, notamment la compensation dont bénéficieront les petites entreprises du secteur en 2024 sur la hausse de la taxe sur le gazole non routier, ou la modification du mode de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) pour les biens de moins de 40 m2, une réforme qui devrait permettre de sortir 140.000 logements de la catégorie des passoires thermiques.

Rénovation des bâtiments publics : « les élus ont joué le jeu »

En matière de rénovation-entretien justement, les professionnels redoutent-ils un coup de mou avec le coup de rabot de 1 milliard d'euros dans le budget de Ma Prime Rénov', aide financière destinée au financement des travaux de rénovation énergétique des particuliers ?

« Sur l'acte de bâtir, le logement pèse 60% de la production, dont 47% dans la construction neuve et 53% en rénovation-entretien, et si notre première réaction a été une déception sur Ma Prime Renov', il faut se rappeler qu'en réalité, l'enveloppe n'a pas été totalement consommée en 2023... », réagit Gilbert Comos.

Et le préfet de surenchérir : « En matière de rénovation des bâtiments publics, dans l'Hérault, l'Etat a distribué 60 millions d'euros de dotations d'investissement, dont 42 millions d'euros du Fonds Vert, et les élus ont joué le jeu, grâce à cette incitation mais aussi parce que c'est une économie de fonctionnement ».

Il conclut, optimiste : « On est mobilisé ! ».

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La Région Occitanie déploie son plan Habitat Durable

Face à la crise du logement, la présidente de Région Occitanie, Carole Delga (PS) a détaillé, le 29 février, les avancées du plan Habitat Durable lancé en décembre dernier : « 150 millions d'euros seront mobilisés au cours des deux prochaines années. Nous travaillons à un rééquilibrage territorial, une augmentation de l'offre de logements sociaux, un soutien aux communes sur l'ingénierie et un accompagnement des professionnels du bâtiment tant sur l'utilisation d'éco-matériaux, que sur l'architecture de qualité ».

L'élue a également signé un nouveau contrat de filière avec la Fédération Française du Bâtiment et la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment Occitanie (CAPEB).

Cécile Chaigneau

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