Station de ski : l’agacement de Font-Romeu Pyrénées 2000 après le rapport de la chambre régionale des comptes

Le gendarme des comptes publics s’est penché sur l’adaptation des stations de ski pyrénéennes au réchauffement climatique, pointant des failles et des modèles dépassés. Dans les Pyrénées-Orientales, le directeur de la station de Font-Romeu Pyrénées 2000, Jacques Alvarez (Altiservice), s’inscrit en faux et répond point par point, évoquant « une forme d’acharnement ».
Cécile Chaigneau
La station de Font-Romeu Pyrénées 2000, dans les Pyrénées-Orientales, s'apprête à clore la meilleure saison de son histoire, selon son exploitant, Altiservice.
La station de Font-Romeu Pyrénées 2000, dans les Pyrénées-Orientales, s'apprête à clore la meilleure saison de son histoire, selon son exploitant, Altiservice. (Crédits : Altiservice)

Après la publication par la Cour des comptes, début février, d'un rapport national déjà cinglant portant sur l'adaptation d'une quarantaine de stations des différents massifs français au changement climatique, la chambre régionale des comptes (CRC) d'Occitanie a publié le 13 mars un focus sur les massifs montagneux d'Occitanie tout aussi sévère : « Le modèle économique des stations de ski des Pyrénées s'essouffle », alerte Valérie Renet, présidente du gendarme des comptes publics en Occitanie. Une deuxième salve qui ne laisse pas de marbre Jacques Alvarez, le directeur de la station de ski Font-Romeu-Pyrénées 2000 chez Altiservice (prestataire qui gère également en délégation de service public la station de Saint-Lary-Soulan, dans les Hautes-Pyrénées).

« On ne nie pas les effets du changement climatique, et on se bat, mais ce rapport régional est la deuxième charge depuis le début de l'année contre les stations de ski, regrette-t-il. Heureusement que cela n'affecte pas nos usagers... »

Sollicité par La Tribune au lendemain de la publication du rapport consacré à huit stations de ski des Pyrénées françaises (couvrant 17 des 38 domaines skiables des Pyrénées en Occitanie), le dirigeant contient sa colère. Mais pas ses arguments pour répondre aux reproches et inquiétudes évoquées par la chambre régionale des comptes.

Déjà 500.000 journées/skieurs

Font-Romeu Pyrénées 2000 compte 43 pistes de ski alpin et 110 kilomètres de pistes de ski de fond, et annonce une fréquentation de 529.000 journées/skieurs en ski alpin sur sa précédente saison 2022-2023. Son chiffre d'affaires a été de 14,8 millions d'euros en 2022-2023 - « un record », assure Jacques Alvarez - et la station emploie 200 personnes en hiver (dont 35 permanents) « pour 1.200 emplois indirects cette année », précise-t-il.

Dans son rapport, l'institution relève que depuis la fin des années 2010, les générations de baby-boomers arrêtent progressivement la pratique du ski et que, en parallèle, les dispositifs d'incitation et de découverte en direction des jeunes se sont amenuisés.

« A Font-Romeu Pyrénées 2000, nous enregistrons 12.000 skieurs/jour en pointe, avec une moyenne de 4.500 skieurs/jour, et à ce stade de la saison, nous en sommes déjà à 500.000 journées/skieurs, répond Jacques Alvarez. Quant au vieillissement des générations de skieurs, c'est une interprétation. Nous sommes en conquête de nouvelles générations de skieurs, avec par exemple l'opération "les 1000 enfants à la neige" avec les Neiges Catalanes (qui rassemble 8 stations de ski alpin et l'un des plus grand espace nordique des Pyrénées, NDLR) et ça marche, ils reviennent ! Ce n'est pas une fatalité, on agit pour contrecarrer cette tendance, ce n'est donc pas notre réalité locale, les trois dernières saisons le démontrent... »

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Un tourisme fortement générateur de chiffre d'affaires

Le gendarme des finances publiques conteste également le consensus établi selon lequel un euro investi dans le ski génère six euros de retombées économiques sur le territoire, en indiquant que ce ratio n'inclut pas « l'activité générée par ces professionnels l'été alors même que 62% de la fréquentation en montagne occitane a lieu l'été ».

« Nous continuons d'affirmer qu'un euro dépensé sur les forfaits génère 5 à 7 euros de retombées sur l'économie locale, renchérit Jacques Alvarez. On exploite autant l'hiver que l'été, mais les ratios sont différents l'été en raison de façons de consommer différentes : les randonneurs emportent leur casse-croûte, les gens arrivent avec le coffre plein alors que l'hiver, ils consomment dans les restaurants d'altitude. Cette année, les restaurateurs annoncent +20 à +30% de chiffre d'affaires ! Le ski reste un tourisme fortement générateur de chiffre d'affaires... Quant aux 62% de la fréquentation qui se fait l'été, chez nous, c'est plutôt 53% et 47% l'hiver. La saison estivale se joue du 8 avril au 27 octobre, soit 7 mois et 1.959.847 nuitées la saison dernière, et la saison hivernale sur quatre mois pour 1.189.300 nuitées. Le produit d'été représente 1,60% du chiffre d'affaires annuel. Les gens qui pensent qu'on va remplacer le ski par de la randonnée avec un revenu aussi fort se trompent. La réalité des chiffres est différente. »

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« Seulement trois années déficitaires en neige »

L'une des principales mises en garde (et critiques) de la chambre régionale des comptes porte sur le défi que pose le changement climatique alors que les stations ont fait du tourisme l'un des principaux moteurs de leur développement économique.

« L'enjeu est d'autant plus fort que les stations de montagne sont généralement situées à des altitudes qui les rendent plus vulnérables aux conséquences du réchauffement climatique sur la fiabilité de l'enneigement », souligne le gendarme des comptes publics. Valérie Renet ajoute même que « Font-Romeu Pyrénées 2000 qui envisage une clientèle stable sur 25 ans, ce sont, selon nous, des prévisions à risque ! »...

Pourtant à Font-Romeu, Jacques Alvarez conteste l'indice de vulnérabilité d'enneigement cité par la chambre régionale des comptes, et en réponse, fait valoir l'étude ClimSnow, réalisée par Météo France et Dianeige (taxée d'« étude commerciale » par la CRC), portant sur l'impact du changement climatique sur l'enneigement des domaines skiables à l'horizon 2050. S'appuyant sur ses résultats, il assure que « le domaine n'est pas en danger, les 120 jours d'exploitation nécessaires pour faire vivre l'économie locale sont garantis ». Et le dirigeant dégaine les chiffres.

« Quel industriel a 25 ans de visibilité ?!, interroge-t-il. Les magistrats de la CRC sont-ils plus aguerris que les ingénieurs de Météo France et de l'INRAE ? Je peux donner des chiffres en guise de preuve : en 25 ans d'enregistrement des hauteurs de neige, je ne trouve que trois années déficitaires sur le mois de février. Les saisons 2006-2007 mais c'était catastrophique partout, 2011-2012 et c'était pareil dans toutes les Pyrénées et seules les stations qui avaient amélioré leurs capacités en neige de culture comme Font-Romeu ou Peyragudes s'en sont bien sorties, et cette année 2023-2024 avec beaucoup de stations des Pyrénées en difficulté sauf Font-Romeu qui a déjà enregistré 500.000 journées/skieur. »

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« L'épaisseur du trait »

Le dirigeant martèle que la station ne prélève jamais, pour les besoins de la neige de culture, la totalité des 540.000 m3 d'eau autorisés, la moyenne étant de 433.000 m3 prélevés sur les quinze dernières saisons. Quant aux perspectives d'amenuisement de la ressource en eau, Jacques Alvarez balaie les inquiétudes : « Nous achetons l'eau à la société qui exploite l'usine d'hydroélectricité du barrage des Bouillouses, ce qui nous incite à l'économie. Et nous prélevons à peine 500.000 m3 sur les 5 millions de m3 de ce sous-bassin versant qui représente seulement 3% de l'ensemble des sous-bassins versants. J'ajoute que 83% de la ressource en eau prélevée dans les Pyrénées-Orientales l'est pour l'agriculture, 16% pour l'eau potable et seulement 3,9% pour l'industrie et le tourisme... On considère qu'il y a une forme d'acharnement à stigmatiser la neige de culture alors qu'en réalité, on ne représente que l'épaisseur du trait ».

L'exploitant dit continuer à investir sur les installations d'eau comme sur le reste, avec un plan d'investissement en cours de 30 millions d'euros entre 2023 et 2025. Des investissements « dont 83% ont une utilisation hiver et été ».

« Cela fait 30 ans que nous faisons de l'exploitation d'été et nous avons accéléré le pas depuis deux ans, par exemple sur les télésièges et télécabines pour que l'usage soit double. Mais je précise que tous les investissements réalisés pour animer la saison estivale sont subventionnés par l'argent du ski, par exemple la luge sur rail de 3 millions d'euros... »

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« Pas un euro d'argent public »

Le dirigeant répond également au reproche de subventionnement public de l'activité émis par la CRC : « Les exploitants privés ne sont pas aidés et dans notre modèle d'exploitation, on ne touche pas un euro d'argent public, ni du plan Montagne ni de la Région ! ».

Enfin, concernant la vétusté de l'hébergement, dont la CRC dit qu'il compte de nombreuses passoires thermiques en raison de l'âge des stations (en moyenne 30 ans), là aussi, Jacques Alvarez nuance : « La station a 104 ans. Nous comptons 40.000 lits touristiques sur Font-Romeu et Bolquère, et depuis quinze ans, une forte modernisation du parc a été engagée, avec aujourd'hui 25.000 à 26.000 lits dans des hébergement de bonne qualité, les logements trop vétustes restant en général inoccupés ».

Pour lui, le moral est au beau fixe, la saison qui se terminera le 8 avril pourrait être « la meilleure de notre histoire ».

Cécile Chaigneau

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